Survie

« La monarchie marocaine est une véritable dictature »

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Antoine Souef, Aziz Maaras

Comme ses voisins
maghrébins, le Maroc est
secoué par une vague de
révoltes sociales. Une
contestation exprimée
après une décennie
de luttes sur le terrain.
Témoignage d’Aziz Maaras,
militant d’ATTAC/CADTM
Maroc [1].

Cela fait dix ans que l’on est sur le
terrain, et que nous luttons dans
presque toutes les mobilisations
à l’échelle nationale ou bien dans
nos villes. nous avons participé à de
nombreuses mobilisations avec des
mouvements, féministes, syndicalistes,
avec des jeunes, des chômeurs, etc.
Nous luttons pour le droit au logement,
au travail, aux soins, le droit à une vie
meilleure mais aussi contre la dette
marocaine, le gaspillage des fonds
publics, la privatisation de tous les biens
publics et plus généralement contre tous
les projets qui ne sont pas dans l’intérêt
des citoyens marocains.

Quelles sont les entreprises étrangères
qui profitent de la privatisation ?

La plus connue est Veolia, qui
investit dans le traitement de l’eau,
l’assainissement et l’électricité, surtout
à Casablanca et dans les villes du nord
comme Tanger. On voit de grandes
sociétés multinationales, essentiellement
françaises et espagnoles, qui absorbent,
si je puis dire, l’argent de la population
marocaine en leur vendant leur eau, leur
électricité, etc. Les richesses du Maroc
sont vendues aux Marocains par ces
entreprises étrangères.

Un exemple symbolique est le village
de Bensmim, au milieu du Maroc,
dont l’eau abondante et d’excellente
qualité est exploitée en bouteilles par
une filiale du groupe Castel, alors que
la population se retrouve privée de
cette ressource vitale. Les luttes des
villageois contre ce projet ont même
conduit certains d’entre eux devant les
tribunaux.

Plus de 60% de l’investissement direct
dans le Maroc provient de l’Union
européenne (UE), dont une majeure
partie de France. L’UE a accordé au
Maroc le « statut avancé » en 2008,
qui vise à renforcer le partenariat
économique. C’est une politique de
libre échange qui mine une économie
très faible contre un géant économique
tel que l’UE. En ce qui concerne
la pêche par exemple, ce sont des
entreprises européennes, qui exploitent
nos ressources halieutiques.

L’accord de pêche avec l’Europe vient
d’être renouvelé. Les populations
locales ne gagnent rien dans ces accords
car tout ce qui est pêché est destiné à
l’exportation. Il y a des milliers de
marins pêcheurs marocains, mais qui
ne peuvent pas concurrencer avec les
gros bateaux européens. L’essentiel
des ressources, au large du Sahara
occidental, sont absorbées par les
bateaux venus d’Europe.

Le rattachement au Maroc du Sahara
occidental est-il un sujet toujours aussi
sensible ?

Au Maroc en général, on ne parle
pas de cette question car l’Etat ne
laisse pas faire. Il est établi comme
principe que si tu parles du Sahara,
tu dois être pour le Marocanité du
Sahara. Personnellement, je suis plutôt
favorable à la libération du Sahara dans
la mesure où c’est ce que demande le
peuple sahraoui et je défends son droit à
réclamer l’indépendance… mais à vrai
dire, je rêve plutôt d’une autre Afrique,
ou au moins d’une autre Afrique du
Nord, unie et sans frontières.

Ce sont toujours les peuples qui paient
les conflits. Les victimes sahraouies
sont surtout les pauvres qui croupissent
dans les camps de réfugiés depuis
plus de trente ans, pas les dirigeants
sahraouis. Coté marocain, le peuple est
aussi victime car il paie la politique du
gouvernement marocain qui investit
énormément dans le Sahara afin
d’y attirer les Marocains à coup de
subventions, des produits de base et
autres facilités d’installation.

Du coup, les Marocains pensent qu’ils
vivront mieux une fois ce problème
résolu car ils ne financeront plus tout
cela. D’autre part, les leaders sahraouis
disent au peuple qu’ils vivra mieux
étant indépendants car ils profiteront
des richesses de leur pays. Selon moi,
ce sont de faux arguments car il y a de
nombreux exemples de pays riches en
ressources mais où la population est
toujours pauvre. Le problème est plutôt
que la bourgeoisie profite des richesses
sans redistribuer à la population.

ATTAC/CADTM sont très engagés
dans le mouvement marocain
dit « du 20 février ». Quel est ce
mouvement ?

On peut dire que c’est la fièvre actuelle
du monde arabe, qui gagne un peu tous
les pays d’Afrique du Nord. Pour le
Maroc ce sont des jeunes qui ont pris
l’initiative. Ils ont lancé des appels
sur Facebook pour une mobilisation le
20 février. Les militants marocains ont
fait circuler l’information, et le jour
venu, il y a eu des milliers de jeunes
qui sont descendus dans la rue pour
réclamer des réformes, pour réclamer
le droit au travail, aux soins, etc. C’est
la première fois qu’une très grande
mobilisation à l’échelle nationale au
Maroc réclame des réformes politiques,
dans ce pays où l’on vit sous un régime
monarchique très ancien et très bien
ancré. Les revendications concernaient
en particulier la séparation des
pouvoirs qui sont toujours concentrés
entre les mains du roi. On parle de
dissolution du parlement, de réécrire
la constitution afin qu’elle soit plus
démocratique.

Le 20 février au matin, ATTAC/
CADTM était très engagé. Dans toutes
les villes où il y a eut des arrestations,
il y avait de nos militants, certains se
sont même fait tabasser. Au niveau du
mouvement en lui-même, on laisse des
jeunes diriger la mobilisation. Nous
sommes particulièrement méfiants
vis-à-vis des partis politiques qui
pourraient s’approprier le mouvement,
ce qui reviendrait à le tuer.

C’est un mouvement de jeunesse
avant tout. Si les partis politiques
sont d’accord avec les revendications,
ils peuvent aider au niveau de la
communication, mais ils ne peuvent pas
organiser de manifestation ou parler au
nom du mouvement du 20 février.

Comment ce mouvement
est-il structuré ?

Je peux vous parler d’Agadir, mais ce
n’est pas pareil dans toutes les villes. Ici,
chacun se présente en tant qu’individu
militant, pas en tant qu’organisation.
On fait des assemblées générales et
les décisions sont prises à la majorité.
On essaie de ne pas créer de structure
qui parle au nom du mouvement et
qui risquerait d’étouffer la lutte. C’est
l’assemblée générale qui décide du
programme des actions, qui fait des
communiqués, etc.…

Ce qui est remarquable c’est l’utilisation
des réseaux sociaux comme Facebook,
comme en Tunisie et en Egypte. A la
première réunion à Agadir, il y avait
une centaine de jeunes non-militants
mobilisés grâce à Facebook.

Les contestations ont-elles été
réprimées ?

Il y a eu de la répression mais pas
dans toutes les villes. Il y en a eu à
Marrakech, à Tanger ou à El Hoceïma.
Certains manifestants ont été accusés
d’être des casseurs et condamnés à des
peines allant jusqu’à 10 ans de prison !
En revanche, dans d’autres villes
comme à Agadir, on n’a même pas vu
un policier en tenue. Bien entendu, la
police était présente partout en civil et
la manifestation d’Agadir, longue de 11
km, s’est déroulée sans incidents.

L’Etat marocain a été suffisamment
malin pour ne pas se lancer dans une
répression immédiate tel qu’on l’a vu
dans les pays voisins. Il a laissé certaines
manifestations se dérouler normalement,
dans le calme, pour montrer aux
organisations internationales, aux
défenseurs des droits de l’homme et à la
presse que le gouvernement est souple
et respectueux des droits de l’homme.
Cela permet de donner une bonne image
du Maroc, qui cherche à renforcer ses
liens avec l’UE.

Ils ont donc laissé faire dans certaines
villes pour la manifestation du 20 février
afin de sauver l’image du régime, mais
dès le lendemain, la répression a repris
contre les militants.

Le 26 février, j’ai assisté à une
répression très brutale d’un sit-in
pacifique devant un cinéma. Il y avait
des dizaines de policiers qui sont
intervenus violemment. 45 personnes
au moins sont allées à l’hôpital, certains
avec des fractures, d’autres gravement
blessés tandis que j’étais arrêté. Le
lendemain, la police a continué à
menacer des militants et envoyé des
voyous au domicile d’une de nos
militantes pour la menacer de viol si
elle ne cessait pas sa participation au
mouvement du 20 février. Quelques
jours auparavant, j’avais également
été arrêté avec 22 autres militants
alors que nous nous rendions à
un sit-in en ville. Mais la police a
surtout tapé sur des étudiants, comme
Boumsetri Zahira du mouvement des
« Etudiants révolutionnaires ». Ils
l’avaient traquée et arrêtée à la porte
de la faculté et l’ont frappée, giflée,
et insultée. Lorsque je suis arrivé au
commissariat, je l’ai trouvée toute
rouge, incapable de bouger son pied.
Nous avons eu plus de chance car ils
ne nous ont pas touchés. Ils ont juste
pris des renseignements pour la police
politique. Ils nous disent que nos
revendications ont été entendues, que
l’on doit attendre qu’elles soient prises
en compte. Pour nous, il n’est pas
question d’attendre car ils cherchent à
endormir le mouvement.

Le mouvement va donc continuer tant
qu’il n’y aura pas de changements
malgré la répression. A notre dernière
réunion, beaucoup de blessés ont pris
la parole pour dire qu’ils voulaient
continuer à réclamer leurs droits.

Quels sont les relations avec les
mouvements extérieurs au pays ?

De notre coté, nous exprimons notre
solidarité avec tous les peuples
opprimés, en particulier les Libyens.
Et bien entendu nous espérons du
soutien de la part des militants et des
organisations du monde entier. Surtout
pour montrer la réalité du régime
marocain car le gouvernement travaille
beaucoup pour soigner son image à
l’extérieur. Il faut dénoncer ce régime,
être présent devant lui dans toutes les
réunions internationale pour donner la
vraie image de la monarchie marocaine,
qui est une véritable dictature.

[1ATTAC/CADTM Maroc compte 17
groupes et presque 400 adhérents dans tout le
pays.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 201 - Avril 2011
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