Drôle de saison 2011 pour l’Afrique, dans le style un pas en avant-deux pas en arrière. L’authentique émergence citoyenne en Tunisie et en Égypte a été éclipsée par les guerres de recolonisation en Côte-d’Ivoire et en Libye. On voudrait nous faire avaler l’ensemble dans un même emballage estampillé « Droits de l’homme » et « démocratie ».
Mais, si l’opinion française, tous partis politiques confondus, s’est laissée prendre à cet amalgame grossier, l’opinion africaine, quasi unanime mais inaudible, ne s’y est pas trompée. Elle qui a vu dans les interventions en Côte- d’Ivoire et en Libye une entreprise de reconquête impérialiste.
La puissance dominante, qu’on l’appelle France, ONU, États-Unis, OTAN, décide souverainement de ce qui relève des « Droits de l’homme » et de ce qui est appelé « démocratie ». Ainsi le grand démocrate Alassane Ouattara peut-il nommer aux plus hauts postes de l’armée ivoirienne des responsables de crime contre l’humanité, comme Martin Kouakou Fofié. Ce chef de guerre est accusé, entre autres atrocités, d’avoir, en juin 2004, lors d’un conflit au sein du mouvement rebelle, enfermé et laissé mourir dans un container cinquante personnes. Ce n’est pas cela, pas plus que la persistance des exécutions extrajudiciaires dans les dernières semaines en Côte-d’Ivoire [1] qui va troubler les agapes ducouple Sarkozy recevant dans leur villa du Cap Nègre le couple Ouattara, qui séjournent en France dans leur villa de Mougins. Ces liens personnels entre un président français et un satellite africain, cette confusion entre l’État et le privé, c’est précisément ce que le candidat Sarkozy avait condamné dans le néocolonialisme gaullien. Il fait pire puisque, dans ce passé censé révolu, c’est Foccart qui assumait cette collusion, et non de Gaulle à Colombey.
Quant à la révolte libyenne, dirigée par des ministres de Kadhafi, elle a triomphé grâce aux bombardements et aux fournitures d’armes de certains pays de l’OTAN, la France en tête. Le président du conseil exécutif du CNT (Conseil national de transition), Mahmoud Jibril, qui présidait jusqu’en 2011 le bureau du développement économique national, est un partisan résolu de la privatisation et de la libéralisation de l’économie libyenne. Cette victoire s’accompagne d’un déchaînement d’humiliations, d’exactions, de lynchages et d’assassinats à l’encontre des populations noires vivant en Libye censées être pro-Kadhafi, en fait victimes du racisme des « combattants de la liberté ». On ne décomptera jamais, dans l’info-spectacle, les milliers de disparus dans la fuite éperdue de ces populations en Méditerranée et dans le désert, dégâts collatéraux qui ne pèsent pas lourd face à la récupération du contrôle sur le pétrole libyen.
Pour un tyran abattu, dans des conditions plus que contestables, combien de despotes protégés ? On ne demande pas à la France de faire progresser l’idéal démocratique en bombardant les résidences des présidents africains consacrés par la fraude mais on est en droit d’en attendre au moins un rappel des droits civils et politiques et une restriction des relations avec des potentats qui emprisonnent et tuent leurs opposants, répriment leur population et pillent leur pays.
C’est au contraire la complicité de la France qui va permettre à un parti qui détient le monopole des ressources publiques et a un président installé à perpétuité de se pérenniser le 9 octobre prochain au Cameroun. La France a fourni tout l’arsenal nécessaire à la répression afin de permettre aux multinationales d’exploiter toutes les ressources et tous les services du pays, tandis que la quasi totalité de la population vit dans la misère. Cette nouvelle forme de colonie, c’est sûrement cela qu’on appelle « démocratie » puisque personne, dans la France politico-médiatique, n’y trouve matière à vertueuse indignation.
[1] communiqué de HRW, 5 août 2011