Survie

Mayotte se rebelle

(mis en ligne le 7 novembre 2011) - Pierre Caminade

Le mouvement social qui
ébranle Mayotte depuis
plusieurs semaines révèle
l’envers du décor de la
départementalisation.

Entamé le 27 septembre, ce mouvement
social réclame simplement la baisse des prix des produits de
consommation courante, leur alignement
sur ceux pratiqués à La Réunion. Pourtant,
les reportages tardifs évoquant le sujet ont
eu le soin de souligner la « mauvaise foi des
syndicats.
 » Lorsque le poulet est toujours
étiqueté 29 euros la caisse à Mayotte,
vendu deux fois moins cher en Métropole,
quelques pièces seulement au Cameroun,
faut-il de la mauvaise foi pour protester ?

Les propositions faites le 1er octobre pour
répondre aux revendications contre la vie
chère ont plus sûrement mis le feu aux
poudres puisqu’il s’agissait de baisser de
10 % le prix des sardines et du sac de riz,
et de fixer à moins de 20 euros la caisse
de 10 kg d’ailes de poulet... pendant un
mois. Au lieu de savourer calmement ces
trente jours de bonheur, les Mahorais se
seraient donc laissés entraîner par des
syndicalistes arrivistes dans la prolongation
d’un mouvement ne faisant que le jeu des
casseurs et des vandales, en ruinant l’activité
économique de l’île ! Laquelle ne brille pas
il est vrai par sa productivité, puisque qu’en
la matière on compte principalement sur le
travail des irréguliers [1], dans le bâtiment et
l’agriculture, le reste étant surtout irrigué
par le salaire des fonctionnaires, militaires
et autres métropolitains.

Des réseaux d’importation verrouillés

Les négociations économiques portent donc sur la fixation des prix, toujours
problématique dans une économie
prétendument concurrentielle (ce qui est
discutable lorsque les réseaux d’importation
sont si bien tenus).

Les phénomènes de préemption d’un
marché aux marges confortables et large­
ment arbitraires, contrôlées par quelques
entreprises prédatrices, ici peut-être souvent
basées à la Réunion (Taillefer par exemple),
rappellent furieusement ceux constatés
en Martinique et Guadeloupe à l’époque
des mouvements sociaux comparables.

C’était début 2009, pendant la campagne
sovietoïde à Mayotte pour dire « oui » au
statut de « département ». Le député des
Mahorais clamait alors à ses administrés :
« Bienvenue dans l’égalité républicaine ! »
Un vrai présage.

Rappelons que tout programme d’un
responsable politique mahorais se limitait
à deux points : la départementalisation et
l’expulsion des irréguliers (quasiment les
seuls producteurs de l’île). Le premier étant
acquis, les élites sont fort dépourvues. Que
promettre pour se donner une consistance
masquant l’incurie de leur activité (si l’on
ose le mot) ?

La fausse aubaine du statut

Il resterait à brandir la « Rupéisation »
européenne comme nouveau Graal à
quêter. En effet, l’outremer européen
est classé en régions ultra-périphériques
(RUP), parmi lesquelles nos quatre vrais
DROM (Département et région d’outre-
mer, en droit français) et en PTOM (Pays
et territoires d’outre-mer), parmi lesquels
nos PTOM français, et cette « collectivité
unique appelée Département
 » (pour
reprendre les termes de la loi qui fait depuis
peu de Mayotte un soi-disant DROM).

L’accès à ce statut européen de RUP
permettrait à l’île perturbée « de bénéficier
de 2 millions d’euros
 » [2]. Les institutions
européennes semblent enthousiastes, quitte
à s’asseoir sur le devoir de continuité de
l’État, puisque la quasi-totalité de nos
partenaires de l’EU qui ont voté les vingt
résolutions de l’ONU condamnant la
présence illégale de la France à Mayotte.

Mais faire de cette aubaine la solution
pour régler l’inactivité professionnelle des
Mahorais, leur déconsidération (pour ne
rien maîtriser du destin de leur île en dehors
de référundums plébiscites pour pouvoir
bénéficier des minimas sociaux), et surtout
la question de prédation économique sur
les importations, ce serait une ficelle un
peu trop grosse, même pour une population
qui a une culture politique consistant à se
faire rouler dans la farine par leurs élites
depuis un demi-siècle.

Il faut déjà espérer
que les projecteurs braqués sur Mayotte
suscitent des enquêtes comme celle du
documentaire diffusé en 2009 [3] révélant
une partie des dessous inadmissibles des
préemptions en Martinique et Guadeloupe.

Le gouvernement a promis une enquête
et des sanctions sur ce sujet à Mayotte :
attendons de voir la mise en oeuvre... après
les élections.

Pour l’heure, le blocage de l’île est
inquiétant : la violence y est multiforme,
les barrages empêchent les transports, les
portes-conteneurs repartent sans avoir été
déchargés, et les Mahorais en arrivent à se
rappeler qu’ils ont de la famille vivant sur
les îles voisines, pour les approvisionner.

Les embarcations de fortune amenant les
« clandestins » chargent maintenant aussi
des vivres. L’usage était de voir ces voisins
de l’archipel comorien venir chercher
plus de subsides sur l’île sous perfusion
économique française. C’est maintenant la
solidarité anjouanaise qui aide à palier les
carences mahoraises, ainsi que des réseaux
commerciaux des Comores indépendantes
qui n’ont pas l’habitude d’être sollicités par
Mayotte. Une situation qui ne pourra pas
durer, vu l’importance de Mayotte dans
l’économie d’Anjouan.

Il faut espérer que les Mahorais, voyant leurs
représentants politiques relayer le discours
d’apaisement de Paris sans défendre trop
vigoureusement leurs intérêts, mènent une
réflexion sérieuse sur la façon de reprendre
en main leur destin. Il pourrait commencer
par s’exprimer dans sa comorianité, puisque
dans leur mode de vie, à part la culture de
mendicité politique, les Mahorais ne font
que prouver au quotidien qu’ils ne sont rien
d’autres que des Comoriens, même s’ils le
renient dans une navrante schizophrénie.

Des Mahorais spoliés de leur terre

En attendant, Paris émet des discours ten­tant
vainement d’apaiser ces ingrats, pourtant
fraîchement départementalisés, qui se
rebellent au lieu de remercier. La relabellisa­
tion de Mayotte en « département » n’aura
rien réglé. Rappelons au contraire qu’un
label de ZPG (Zone des pas géométriques)
appuyé sur un cadastre tout neuf permet à
l’État français d’exiger à certains de payer le
terrain sur lequel ils avaient bâti leur maison
à un prix inaccessible, en toute légalité
suivant le statut personnel qui a disparu avec
la départementalisation (Billets d’Afrique
n°200)
.

Le Comité Maore rappelle avec raison dans
un communiqué du 13 octobre que « la
lutte contre la vie chère est au fond une
vive protestation contre un droit commun
français inapplicable à Mayotte... Car,
pour prendre un exemple, les lois françaises
sur la propriété des terrains et des maisons
familiales aboutissent à dépouiller les
Maorais au profit d’immigrés français
 ».

Évidemment, la violence d’État s’exprime
pour l’occasion sous sa forme la plus
banale : blindés, gaz lacrymogènes, flash-
balls à gâchette facile, etc.

Le gouvernement semble espérer que les
dispositions liées au nouveau statut feront
entrer l’île dans la paix sociale : le RSA
(Revenu de solidarité active) au 1er janvier
2012, l’établissement d’un régime de retraite
pour plus de professions, ou l’allocation de
rentrée scolaire revalorisée d’ici à quatre
ans et alignée sur la Métropole, Certains
points restent donc encore des promesses
hypothétiques.

[1Principalement les Comoriens des autres îles
qui, faut-il le rappeler dans Billets sont chez eux
à Mayotte puisque pour l’ONU la France occupe
illégalement cette île comorienne depuis 1975.

[2Malango actualités, 27/10/11

[3Reportage de Romain Bolzinger, Les derniers
maîtres de la Martinique, diffusé le 6 février
2009 sur Canal +.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 207 - novembre 2011
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