Survie

Areva en Afrique, l’affaire Uramin

(mis en ligne le 10 janvier 2012) - Raphaël Granvaud

Le 16 décembre dernier,
le nouveau président du
directoire d’Areva, Luc
Oursel, successeur d’Anne
Lauvergeon, rendait public
un Plan d’action stratégique
pour mettre le groupe à la
diète. Au cœur du problème,
l’affaire Uramin, du nom de
cette société avalée par
Areva en 2007 pour conquérir
de nouveaux gisements en
Afrique.

La santé financière d’Areva laisse
à désirer. On pourrait sourire des
déconvenues du géant du nucléaire,
dont on dénonce depuis longtemps les mé­faits en Afrique et ailleurs, si ce n’étaient les
salariés, européens et africains, qui feront les
frais du milliard d’euros d’économies que le
groupe doit réaliser d’ici 2015.

En cause, les
mésaventures de la construction de l’EPR
finlandais (cinq ans de retard, le double du
prix initialement prévu) et les répercussions
de la catastrophe nucléaire de Fukushima sur
le marché des centrales et du combustible.
Mais aussi une dette importante (3,7 mil­
liards d’euros - dont la note a été dégradée
de « stable » à « négative » par l’agence
Standard & Poor’s), en grande partie liée à
une politique d’acquisition hasardeuse et
aujourd’hui considérée comme suspecte.

Areva à l’assaut du continent africain

Petit rappel des faits. En 2006-2007,
les cours de l’uranium sur le marché
mondial (marché « spot ») flambent sous
l’effet de la spéculation. Cette envolée
et les perspectives euphoriques du
développement de l’énergie nucléaire
dans le monde boostent les activités
des producteurs d’uranium. Dans cette
situation, Areva, comme ses concurrents,
tente de diversifier ses permis miniers,
notamment en Afrique.

Au Niger, où ses
filiales, la Somaïr et la Cominak, exploitent
depuis quarante ans des gisements
historiques, Areva obtient, début 2009,
le permis d’Imouraren, au terme d’un
bras de fer avec le régime de Mamadou
Tandja, et en échange de la bénédiction
donnée par le président français au
putsch constitutionnel préparé par son
homologue nigérien. Avec la promesse
d’un milliard d’euros d’investissements,
il s’agit d’en faire le plus grand gisement
d’uranium en Afrique et le deuxième au
monde.

Mais ce n’est pas tout. Pour ne pas
mettre tous ses œufs dans le même panier,
Areva avait aussi fait l’acquisition de la
société Uramin, une « junior » canadienne
immatriculée dans le paradis fiscal des îles
Vierges, qui possède des permis miniers
au Tchad, au Sénégal, en Centrafrique,
en Namibie et en Afrique du Sud. En
Centrafrique, au terme de négociations
compliquées, et secrètes, avec le général
Bozizé qui exige un « bonus » alors qu’il
prépare sa « réélection », Areva annonce
une reprise de la production sur le site de
Bakouma, découvert depuis longtemps par
les prospecteurs du CEA.

En Namibie, le
site de Trekkopje était présenté comme
« l’un des projets phares du groupe », avec
construction d’une usine de dessalement
d’eau de mer pour le fonctionnement
de la mine. Mais avec la chute des cours
de l’uranium, la donne a changé, et les
espoirs de rentabilité à court terme sur des
gisements difficiles à exploiter s’envolent.

Des contrats perdant-perdant

Depuis quelques semaines, les rumeurs
qui courraient semblent confirmées :
tous ces projets sont (provisoirement ?)
arrêtés. Début octobre, le Premier ministre
nigérien se voyait annoncer par Luc
Oursel un nouveau report de l’exploitation
d’Imouraren, où, croient savoir certains
journalistes, les investissements ont été
gelés (L’express.fr, 14 décembre)
. Fin
octobre, c’était l’annonce de la suspension
de l’exploitation du gisement de Bakouma,
bientôt suivie de celle du gisement de
Trekkopje en Namibie et de Ryst Kuil en
Afrique du Sud. Envolées, les promesses
de partenariat « profondément sincère »
et « gagnant-gagnant » [1] !

A la grande
colère de certains dirigeants africains
qui s’étaient vu promettre des retombées
financières rapides. « Nous nous réservons
le droit de contester notre contrat avec cette
société si les responsables maintiennent
leur position
 », a par exemple déclaré le
directeur général des mines centrafricain,
tandis que, côté Nigérien, « beaucoup
soupçonnent Areva de « ne pas jouer
franc jeu
 » », selon « un haut responsable
nigérien
 » cité par Vincent Hugeux
(L’express.fr, 14 décembre)
.

Depuis,
Areva a officiellement démenti « le gel
de ses investissements dans la mine
d’Imouraren
 » (communiqué à l’APA -
Niamey, 23 décembre
). Une prudence
vraisemblablement liée à la volonté de
préserver ses intérêts miniers déjà existant
dans ce pays et de conjurer un retour en
grâce des entreprises minières chinoises à
ses dépends.

2 milliards partis en fumée

La suspension des projets miniers
d’Uramin est officiellement justifiée par
la chute des cours de l’uranium et les
répercussions de l’accident nucléaire de
Fukushima. Mais si les comptes d’Areva
sont plombés, c’est aussi et surtout lié
aux conditions d’acquisition d’UraMin,
devenu Areva Resources Southern
Africa. Durant les six mois qu’ont duré
les négociations, entre l’achat de 5 % du
capital d’Uramin et l’annonce officielle
de l’OPA amicale, en juin 2007, le cours
de l’action de la junior canadienne, qui
n’a pourtant encore aucun gisement en
exploitation, allait plus que quadrupler à
la Bourse de Toronto, obligeant Areva a
payer le prix fort : 1,8 milliards d’euros.

Des conditions d’achat qui surprennent
les observateurs de l’époque et qui
laissent planer de fort soupçons de délits
d’initiés (Billets d’Afrique n°204 - Juillet
Août 2011)
. « Les grands gagnants
de l’opération seront les actionnaires
d’Uramin. Ils toucheront le jackpot, le
15 juin 2007, au moment du rachat par
Areva. (...) Parmi eux, de vieux routiers
du secteur des mines, comme le Canadien
Stephen Dattels, le créateur de la société,
spécialiste des coups en Bourse. Ou ses
copains Jim Slater et Ian Watson, de la
société Galahad, reconvertis depuis dans
l’agrobusiness au Brésil. On trouve aussi
de grands noms de la finance – Goldman
Sachs, Bear Stearns, Fidelity – et toute une
myriade de fonds opaques, souvent basés
dans des paradis fiscaux.
 » (Parismatch.
com, 20 décembre
) « Pour eux, c’est le
jackpot et le sujet d’un livre – aujourd’hui
introuvable – intitulé U308, UraMin, A
Team Enriched.
 » (LeJdd.fr 25 décembre)

Uramin, a tema enriched

Selon L’Express.fr (26 décembre), « un
rapport de Goldman Sachs, daté du mois
d’avril 2007 et réalisé pour EDF (...)
mettait en relief les coûts de structures
élevés requis pour exploiter les mines
d’uranium africaines de cette junior
entreprise d’origine canadienne. Ce
document, qui alertait sur la rentabilité
à long terme de cet investissement, a
dissuadé la direction d’EDF de co-
investir avec Areva dans UraMin. Hélas,
ce rapport n’a pas été présenté au conseil
de surveillance d’Areva
 ».

Depuis, comme
on l’a déjà dit, le cours de l’uranium a
dégringolé, et les réserves d’uranium
du gisement namibien, où Areva a déjà
investi plus de 700 millions d’euros, ont
été réévaluées à la baisse, presque de
moitié. Aujourd’hui, sur les 2,4 milliards
de dépréciation d’actifs qu’Areva vient
d’inscrire dans ses comptes, 1,46 milliard
d’euros servent à éponger la perte de
valeur d’Uramin, auxquels s’ajoutent les
426 millions d’euros que le groupe avait
déjà provisionné l’année dernière pour le
même motif. Soit au total plus que le prix
d’achat initial d’Uramin !

De la filialisation à la privatisation

En plus des économies annoncées, Areva
prévoit, pour se renflouer, de vendre pour
1,2 milliards d’actifs, à commencer par
sa participation de 26% dans une autre
société minière, Eramet, présente dans
le manganèse en Nouvelle-Calédonie
et au Gabon via la Comilog. Si Uramin
a été une mauvaise affaire, le reste du
pôle minier, le second en volume au
plan mondial, est attractif. Il assure au
groupe de confortables marges et serait,
selon les termes d’Areva « numéro 1
en performance
 » financière devant ses
concurrents (Plan d’action stratégique,
13 décembre
).

Areva compte donc procéder rapidement
à la privatisation – pardon, à l’ouverture
du capital – de ce pôle minier puisque
plus rien ne s’y oppose désormais. A
cette fin, ce dernier a été très récemment
transformé en filiale, pour l’instant détenue
à 100% par Areva, elle-même détenue
directement ou indirectement à 87% par
l’Etat (usinenouvelle.com, 14 décembre)
Et le 14 décembre dernier, le conseil des
ministres a approuvé un décret autorisant
l’ouverture du capital de cette filiale
minière. « Nous n’avons aucune intention
de démanteler le groupe
 », continue
pourtant d’assurer Luc Oursel. (...) « Oui,
nous allons garder les mines, insiste un
nouveau conseiller de la direction... pour
l’instant.
 » (LesEchos.fr, 15 décembre).

Évidemment, personne
n’est
dupe.
C’est
d’ailleurs parce qu’elle
s’opposait à ce scénario
que Anne Lauvergeon
a été débarquée, il y a
quelques mois, de la
direction du groupe. Non
qu’elle se soit opposée à
la privatisation d’Areva,
mais parce qu’elle tenait
à conserver le « modèle
intégré
 »,
rassemblant
dans la même entreprise
toutes les activités du
cycle nucléaire.

Uramin : un feuilleton à rebondissements

A l’inverse, Nicolas
Sarkozy, qui avait déjà tenté de faire
profiter son ami Bouygues du secteur
nucléaire (Le Canard Enchaîné, 14 mai
2008), et son autre ami Henri Proglio,
nommé à la tête d’EDF pour reprendre
les rennes du secteur nucléaire, entend
bien vendre Areva par petits bouts. C’est
pendant la guerre larvée qui les a opposés
à Anne Lauvergeon, laquelle entendait
bien se faire reconduire pour un troisième
mandat à la tête du groupe, qu’est apparue
dans la presse « l’affaire Uramin » en avril
dernier. « Des dossiers ont circulé, [ont
été] envoyés à des politiques
 », révèle
l’éditorialiste du Journal du dimanche
(19 juin)
qui s’interroge : « Manipulation
ou rappel d’une réalité occultée ?
 »

Une
note anonyme sur Uramin, « circule depuis
un mois, dans certaines rédactions. Avec
la bénédiction de Claude Guéant, dit-
on...
 », rapporte La Lettre A (29 avril) qui
précise : « L’histoire a finalement trouvé
preneur, le 21 avril, avec la publication
de deux colonnes sur ce sujet dans
Paris-Match
 ». La note dénonçait une
« transaction financièrement inexplicable
et commercialement contestable
 » et
l’existence d’« intermédiaires en Belgique,
au Luxembourg ou au Canada
 », qui
auraient « exploité cet acharnement
impérieux [à acquérir Uramin] pour se
servir au passage.
 » Des accusations qui
émaneraient « du clan Proglio-Djouhri »
selon « un proche d’Anne Lauvergeon. »
(Challenges.fr, 07 octobre)

Récemment,
Le Canard enchaîné (21 décembre) a
révélé que durant cette même période,
Anne Lauvergeon et son époux, Olivier
Fric, avaient été espionnés par une officine
privée, de même que Daniel Wouters,
embauché par Areva peu avant le rachat
d’Uramin, et qui deviendra le directeur du
développement de cette nouvelle filiale.

Selon la partie du rapport rendue publique,
« les recherches préliminaires menées
sur M. Fric n’ont pas permis d’obtenir
d’informations laissant penser qu’il aurait
pu bénéficier de manière illégitime du
rachat d’UraMin par Areva
 ». D’après
Parismatch.com (22 décembre)
qui ne
cite pas ses sources, le commanditaire de
cette enquête pourrait être Sébastien de
Montessus, patron de la division « Mines »
du groupe Areva. D’après le JDD.fr
(25 décembre)
, « partie de là, l’enquête
abouti à un supplément d’information sur
UraMin consigné dans une note de deux
pages en mai 2010. Conclusion ? Pour
évaluer les réserves des mines convoitées,
« Areva n’a utilisé que les documents et
données proposés par la société SRK, qui
était rémunérée par le vendeur
 ».

Autre
passage important de la note : « Il y a un
faisceau d’indices sérieux et concordants
qui démontrent qu’Areva a été victime
d’une escroquerie.
 » » Toujours selon le
JDD.fr, une autre enquête barbouzarde
commandée par Areva établirait que c’est
le mari d’Anne Lauvergeon qui serait
à l’origine du recrutement en 2006 du
Franco-Belge Daniel Wouters, lequel serait
à l’origine du rachat d’Uramin. Olivier Fric
aurait également « agi en consultant auprès
de United Africa, le partenaire d’UraMin
dans l’usine de dessalement construite
en Namibie pour exploiter la mine de
Trekkopje
 ». Informations démenties par
les intéressés, qui réfutent également toute
accusation de conflit d’intérêts.

Plusieurs enquêtes (administratives et
parlementaire) sont également en cours,
officiellement pour faire la lumière sur les
conditions du rachat d’Uramin. Affaire à
suivre dans le prochain numéro...

[1Discours d’Anne Lauvergeon lors de
l’inauguration d’Imouraren

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 209 - janvier 2012
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