Le 15 décembre se tenait, à Paris, le procès en correctionnelle de Yannick Jadot, alors porte-parole d’Eva Joly et député européen écologiste, attaqué par Ali Bongo en diffamation. Le réquisitoire du ministère public a rejoint la défense : Ali Bongo est sans nul doute un dictateur.
Dans une interview parue dans Libération le 16 juillet dernier, Yannick Jadot avait critiqué la tenue des défilés militaires, et rappelé que ceux du 14 juillet 2009 et 2010 s’étaient faits « devant Bachar al-Assad, ou devant des dictateurs africains comme Ali Bongo. Faire défiler nos armées devant des per sonnes qui massacrent leurs peuples, ce n’est pas un signal très positif envoyé à la République ». Un procès dans la droite ligne de celui intenté, en 2001, par trois chefs d’Etat africains, dont Omar Bongo, à François-Xavier Vershave pour « offense à chef d’Etat » à la sortie de Noir Silence et de la plainte en 2011 de Téodoro Obiang Ngema, président-dictateur de la Guinée équatoriale, contre les auteurs du rapport sur les Biens mal acquis du CCFD [1].
Dans un cas comme dans l’autre, les plaignants ont été déboutés par la justice. Ils ont ainsi doublement perdu : non seulement la justice ne les a pas suivis mais à l’inverse, ces procès ont renforcé leur réputation de dictateurs et confirmé les analyses qui décrivent les systèmes politiques et les gouvernants de ces pays comme totalement corrompus. De surcroît, ces procès à répétition contribuent à diffuser et renforcer le crédit des travaux associatifs et militants sur les agissements de ces dictateurs contre leurs populations.
Qu’espérait donc gagner Ali Bongo avec ce procès ? Pensait-il vraiment qu’il était en mesure de le gagner et de se refaire une image, alors même que tous les voyants de la démocratie sont au rouge au Gabon ? La société civile et les partis d’opposition s’opposant radicalement au pouvoir en boycottant, par exemple, les élections législatives du 17 décembre, deux jours après le procès, avec un taux d’abstention de près de 85% !
L’audition a illustré la nature du régime d’Ali Bongo. En effet, ses avocats (dont Me Patrick Maisonneuve, déjà avocat d’Omar Bongo), dans leurs arguments, usent du même mépris qu’Ali Bongo envers la population gabonaise et envers la démocra tie en général : pour eux, les élections de 2009 se sont passées « normalement », avec « quelques irrégularités », ce qui est normal « en Afrique [où] les choses sont parfois fragiles » car « ça ne fait que 50 ans qu’il y a eu l’indépendance ».
Ils cherchent à discréditer les émeutiers tués à Port Gentil de septembre 20092, qui contestaient l’élection d’Ali Bongo, en les faisant passer pour des pillards. Ils attaquent de la même manière le témoin de la défense. Les seuls arguments qu’ils trouvent à présenter en faveur du régime d’Ali Bongo sont d’ordre symbolique ou cosmétique – comme l’abolition de la peine de mort en 2011 ou la mise en place de la « journée de la veuve et de l’orphelin » (!) – des vitrines peu convaincantes qu’utilise Ali Bongo pour valoriser son régime à l’international.
Face à eux, le militant gabonais Bruno Ondo, témoin de la défense, décrit par le menu la situation sociale et les violations des libertés publiques au Gabon. Si lui n’a plus peur et est prêt à en découdre avec le régime, à l’instar du mouvement social et politique en cours, il rappelle que la peur et la répression règnent au Gabon, ce qui explique notamment le silence sur les morts des émeutes de Port Gentil : « Un massacre ne se compte pas forcément en nombre de morts (...) », d’ailleurs le gouvernement n’a jamais démenti les chiffres avancés par la presse sur la question (...) ce qui est sûr c’est que personne n’en parle plus, personne ne peut oser dire un mot sur ces morts ou lever le petit doigt ». « La coercition n’a jamais été si forte qu’aujourd’hui au Gabon (...) avec la révision de la Constitution, (...) il s’agit d’ériger en règle de droit la dictature ».
Les avocats de l’accusation n’ont pas su convaincre l’auditoire, pas plus qu’ils n’ont infléchi le réquisitoire de la procureure. Car si la jurisprudence sur l’offense à chef d’Etat reste hésitante, la loi française a supprimé son article 36, qui permettait des condamnations pour crime de lèse- majesté. En effet, selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH), « un chef d’Etat doit savoir souffrir la critique » étant, de par sa fonction, exposé à l’expression publique. En outre, un jugement de valeur peut être fait sans forcément prêter à une démonstration de l’exactitude, qui plus est lorsqu’il est porté par un-e élu-e, ce qui relève alors du débat public et de l’expression politique. La procureure a en outre refusé le relativisme des avocats d’Ali Bongo : « La fraude n’a pas besoin d’être massive et généralisée pour choquer les électeurs », « en France, lors des émeutes de 2005, par exemple, où il n’y a eu aucun mort, la mort ne serait-ce que de trois manifestants, on aurait pu parler de massacre ».
On souhaiterait entendre plus souvent ce genre de réquisitoire, et pas seulement dans le prétoire ! Si de ce côté, la justice semble irritée par une utilisation jugée comme abusive par Ali Bongo, de la justice française, on espère que de l’autre, les « procès des biens mal acquis » pourront se tenir sans nouvelles entraves politiques.
Verdict le 9 février 2012, jour anniversaire de naissance d’Ali Bongo. Pas sûr qu’il apprécie le cadeau !
[1] Jean Merckaert et Antoine Dulin, auteurs du Rapport « Bien mal acquis, à qui profite le crime ? », Catherine Gaudard, directrice du plaidoyer et Guy Aurenche, président du CCFD- Terre Solidaire.