Survie

Bongo, un dictateur susceptible...

rédigé le 9 janvier 2012 (mis en ligne le 1er mars 2012) - Juliette Poirson

Le 15 décembre se tenait,
à Paris, le procès en
correctionnelle de Yannick
Jadot, alors porte-parole
d’Eva Joly et député
européen écologiste, attaqué
par Ali Bongo en diffamation.
Le réquisitoire du ministère
public a rejoint la défense :
Ali Bongo est sans nul doute
un dictateur.

Dans une interview parue dans
Libération le 16 juillet dernier,
Yannick Jadot avait critiqué la
tenue des défilés militaires, et rappelé que
ceux du 14 juillet 2009 et 2010 s’étaient
faits « devant Bachar al-Assad, ou devant
des dictateurs africains comme Ali Bongo.
Faire défiler nos armées devant des per­
sonnes qui massacrent leurs peuples, ce
n’est pas un signal très positif envoyé à
la République
 ». Un procès dans la droite
ligne de celui intenté, en 2001, par trois
chefs d’Etat africains, dont Omar Bongo,
à François-Xavier Vershave pour « offense
à chef d’Etat
 » à la sortie de Noir Silence et
de la plainte en 2011 de Téodoro Obiang
Ngema, président-dictateur de la Guinée
équatoriale, contre les auteurs du rapport
sur les Biens mal acquis du CCFD [1].

Dans
un cas comme dans l’autre, les plaignants
ont été déboutés par la justice. Ils ont ainsi
doublement perdu : non seulement la justice
ne les a pas suivis mais à l’inverse, ces procès
ont renforcé leur réputation de dictateurs
et confirmé les analyses qui décrivent les
systèmes politiques et les gouvernants de
ces pays comme totalement corrompus. De
surcroît, ces procès à répétition contribuent
à diffuser et renforcer le crédit des travaux
associatifs et militants sur les agissements
de ces dictateurs contre leurs populations.

Qu’espérait donc gagner Ali Bongo avec
ce procès ? Pensait-il vraiment qu’il était
en mesure de le gagner et de se refaire une
image, alors même que tous les voyants
de la démocratie sont au rouge au Gabon ?
La société civile et les partis d’opposition
s’opposant radicalement au pouvoir en
boycottant, par exemple, les élections
législatives du 17 décembre, deux jours
après le procès, avec un taux d’abstention
de près de 85% !

Bongo invente « la journée de la veuve et de l’orphelin »

L’audition a illustré la nature du régime
d’Ali Bongo. En effet, ses avocats (dont Me
Patrick Maisonneuve, déjà avocat d’Omar
Bongo), dans leurs arguments, usent du
même mépris qu’Ali Bongo envers la
population gabonaise et envers la démocra­
tie en général : pour eux, les élections de
2009 se sont passées « normalement »,
avec « quelques irrégularités », ce qui
est normal « en Afrique [où] les choses
sont parfois fragiles
 » car « ça ne fait que
50 ans qu’il y a eu l’indépendance
 ».

Ils
cherchent à discréditer les émeutiers tués
à Port Gentil de septembre 20092, qui
contestaient l’élection d’Ali Bongo, en
les faisant passer pour des pillards. Ils
attaquent de la même manière le témoin
de la défense. Les seuls arguments qu’ils
trouvent à présenter en faveur du régime
d’Ali Bongo sont d’ordre symbolique ou
cosmétique – comme l’abolition de la peine
de mort en 2011 ou la mise en place de la
« journée de la veuve et de l’orphelin » (!)
– des vitrines peu convaincantes qu’utilise
Ali Bongo pour valoriser son régime à
l’international.

Face à eux, le militant gabonais Bruno
Ondo, témoin de la défense, décrit par le
menu la situation sociale et les violations
des libertés publiques au Gabon. Si lui n’a
plus peur et est prêt à en découdre avec le
régime, à l’instar du mouvement social et
politique en cours, il rappelle que la peur
et la répression règnent au Gabon, ce qui
explique notamment le silence sur les morts
des émeutes de Port Gentil : « Un massacre
ne se compte pas forcément en nombre de
morts (...) », d’ailleurs le gouvernement
n’a jamais démenti les chiffres avancés par
la presse sur la question (...) ce qui est sûr
c’est que personne n’en parle plus, personne
ne peut oser dire un mot sur ces morts ou
lever le petit doigt
 ». « La coercition n’a
jamais été si forte qu’aujourd’hui au Gabon
(...) avec la révision de la Constitution,
(...) il s’agit d’ériger en règle de droit la
dictature
 ».

Les avocats de l’accusation n’ont pas su
convaincre l’auditoire, pas plus qu’ils n’ont
infléchi le réquisitoire de la procureure.
Car si la jurisprudence sur l’offense à
chef d’Etat reste hésitante, la loi française
a supprimé son article 36, qui permettait
des condamnations pour crime de lèse-
majesté. En effet, selon la jurisprudence
de la Cour européenne des Droits de
l’homme (CEDH), « un chef d’Etat doit
savoir souffrir la critique
 » étant, de par sa
fonction, exposé à l’expression publique. En
outre, un jugement de valeur peut être fait
sans forcément prêter à une démonstration
de l’exactitude, qui plus est lorsqu’il est
porté par un-e élu-e, ce qui relève alors du
débat public et de l’expression politique. La
procureure a en outre refusé le relativisme
des avocats d’Ali Bongo : « La fraude n’a
pas besoin d’être massive et généralisée
pour choquer les électeurs
 », « en France,
lors des émeutes de 2005, par exemple, où il
n’y a eu aucun mort, la mort ne serait-ce que
de trois manifestants, on aurait pu parler
de massacre
 ».

On souhaiterait entendre
plus souvent ce genre de réquisitoire, et pas
seulement dans le prétoire ! Si de ce côté,
la justice semble irritée par une utilisation
jugée comme abusive par Ali Bongo, de la
justice française, on espère que de l’autre,
les « procès des biens mal acquis » pourront
se tenir sans nouvelles entraves politiques.

Verdict le 9 février 2012, jour anniversaire
de naissance d’Ali Bongo. Pas sûr qu’il
apprécie le cadeau !

[1Jean Merckaert et Antoine Dulin, auteurs
du Rapport « Bien mal acquis, à qui profite
le crime ?
 », Catherine Gaudard, directrice du
plaidoyer et Guy Aurenche, président du CCFD-
Terre Solidaire.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 209 - janvier 2012
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