Survie

Macky Sall : le changement dans la continuité

rédigé le 1er mars 2012 (mis en ligne le 1er mai 2012) - Baba

Le 1er tour de l’élection
présidentielle s’est déroulé le
26 février dans un calme que
l’agitation de la campagne
électorale ne laissait pas
présager. La cristallisation
du débat politique autour
du passage en force du
président sortant, imposant
sa candidature illégitime,
a eu pour effet d’occulter
tout débat de fond sur les
questions économiques,
sociales et de gouvernance.
Dans ce contexte, les
Sénégalais-es auront à
choisir, au deuxième tour,
entre Wade et son ancien
Premier ministre et héritier
politique déchu, Macky Sall.

Au pouvoir depuis douze ans et
deux mandats, Abdoulaye Wade
l’annonçait à qui voulait l’entendre :
il serait candidat à sa propre succession, quoi
qu’en disent ses détracteurs et il gagnerait au
premier tour. S’il a échoué à se faire réélire
dès le 26 février, le président sortant a bel
et bien participé à une compétition dont les
textes, le bon sens et le peuple l’excluaient
pourtant. Ignorant les appels à retirer
une candidature qu’il déclarait lui-même
anticonstitutionnelle en 2007 [1], qualifiant
de simple « brise » les manifestations
populaires contre sa candidature, pourtant
réprimées dans le sang [2], se réfugiant derrière
la validation légale de sa candidature par un
Conseil constitutionnel aux ordres [3], Wade a
tenu et le peuple sénégalais s’est finalement
résigné à aller voter.

Si des lacunes dans la distribution des cartes
d’électeurs, des tentatives d’intimidation, des
« achats de conscience » et quelques incidents
le jour du vote sont à déplorer, le scrutin s’est
déroulé dans une relative transparence due en
partie à la vigilance de citoyens et journalistes
qui ont retransmis les résultats partiels par la
radio et internet, empêchant ainsi toute fraude
de grande ampleur.

Avec un score inférieur à 35% et un
deuxième tour qui se profile avec un
probable front de l’opposition contre lui,
Wade a échoué. Et en réalité, ce résultat,
s’il est confirmé au second tour, ce qui
est loin d’être acquis, vient sanctionner
une longue tentative de conservation du
pouvoir au sein d’un clan quasi-familial
qui a fini par lasser les Sénégalais-es.

Une stratégie de confiscation du pouvoir

Il faut en effet revenir quelques années en
arrière pour comprendre la logique qui a
conduit à la situation actuelle. Wade ayant
accédé au pouvoir à un âge avancé après
plusieurs années d’opposition, la question
de sa succession s’est rapidement posée.
Tour à tour présentés comme des dauphins
potentiels, Idrissa Seck et Macky Sall,
tous deux anciens Premiers ministres,
ont été écartés du pouvoir et du Parti
démocratique sénégalais (PDS). Petit à
petit, Abdoulaye Wade a fait le vide autour
de lui tout en confiant à son fils Karim des
responsabilités politiques et économiques
démesurées [4], alimentant ainsi la crainte
d’une dévolution monarchique du pouvoir.
Wade a toujours nié ce scénario, criant au
fantasme, mais dans le même temps il n’a
cessé de mettre en avant son fils, vantant
ses « diplômes rares » ou la « qualité de
son travail
 ».

Mais, la défaite de Karim Wade aux
élections municipales de 2009, à Dakar,
a montré que, réelle ou supposée, toute
volonté de transmission du pouvoir de
père en fils se heurterait à la résistance
populaire. Wade s’est donc retrouvé, à
moins de 3 ans de l’élection présidentielle,
sans successeur crédible au sein de son
camp. Ses projets de développement des
infrastructures (aéroport international de
Diass, autoroute à péage, etc), à la base de
sa communication politique, tardaient alors
à porter leurs fruits. De plus, l’opposition
venait de conclure les Assises nationales
qui ont rassemblé pendant près de un an
de nombreux acteurs de la vie publique
sénégalaise et ont permis de dresser un
état des lieux du pays. Cette opposition,
qui continuait de s’organiser au sein du
« Front Siggil Senegaal » et s’est retrouvée
renforcée par les victoires obtenues lors
des élections locales de 2009, représentait
alors un danger pour le PDS.

Danger
accentué par l’accumulation des scandales
de corruption [5] et la situation sociale
explosive du fait d’un taux de chômage
élevé, d’un conflit en Casamance toujours
tendu, d’une grogne liée aux délestages
récurrents et à une série d’inondations mal
gérées par le pouvoir.

C’est alors que Wade, capitaine esseulé
d’un PDS affaibli, décide, dès septembre
2009, de se présenter à nouveau à l’élection
présidentielle, en parfaite continuité avec
sa logique jusqu’au-boutiste de confiscation
du pouvoir. C’est cette même logique qui
a conduit, le 23 juin 2011, à la grossière
tentative de modification de la loi électorale
qui instaurait l’élection simultanée du
président et du vice-président et per­
mettait de déclarer vainqueur le « ticket
présidentiel
 » ayant eu plus de 25% des
suffrages et arrivé en tête au premier tour.

Sans la mobilisation historique contre cette
réforme qui a, de ce fait, été abandonnée,
Abdoulaye Wade aurait été élu dès le
26 février dernier, avec son score de
35%. On peut considérer que c’est à cette
date que le divorce a été définitivement
consommé entre Wade et son peuple. Sur
le plan international, la France et les Etats-Unis ont peu à peu pris leurs distances vis-
à-vis d’un régime soutenu sans réserve [6]
jusque là, malgré les dérives.

Macky Sall qui avait été le directeur de campagne de Wade en 2007 : « J’ai fait son école comme il le dit donc je connais bien les recettes »

Un scrutin biaisé, une démocratie confisquée à reconquérir

C’est dans ce contexte que l’élection
présidentielle s’est déroulée : un scrutin
biaisé par l’obstination d’un homme
et d’un clan, une résistance populaire
déterminée mais aux moyens limités et,
au final, un nécessaire débat démocratique
confisqué. Cette échéance électorale était
l’occasion de lancer une rénovation en
profondeur de l’Etat sénégalais, de changer
les pratiques de gouvernance et donner
une plus grande importance à l’expression
populaire. Ceci, la classe politique dans
son ensemble, au-delà de Wade, a échoué
à le faire. L’opposition, encore une fois
divisée, a échoué à lier le combat qu’elle
a mené contre la candidature de Wade,
c’est-à-dire pour le respect de l’état de
droit, aux aspirations sociales du peuple.

Passée à côté des enjeux véritables de
cette élection, incapable de proposer
une réelle différence de nature avec le
PDS, l’opposition ne peut pas s’étonner
de voir arriver deuxième un Macky Sall
qui partage le bilan du président sortant
pour avoir été au pouvoir pendant 8 ans.
Pour avoir cautionné la quasi-totalité
des forfaitures de Wade, y compris la
loi Ezzan [7], et récupéré plusieurs cadres
du PDS [8], Sall n’offre aucune garantie
de rupture autre que générationnelle. En
matière de relations françafricaines, il
est également bien entouré, ayant noué
des liens avec la famille Bongo et Blaise
Compaoré ; là encore, il faut avoir un
certain optimisme pour s’attendre à un
quelconque bouleversement des pratiques.
C’est finalement Sall lui-même qui illustre
le mieux le potentiel de continuité en
déclarant : « J’ai fait son école comme il
le dit donc je connais bien les recettes
 » [9].

Finalement, l’espoir du pays est peut-être
plutôt à chercher du côté des sentinelles
citoyennes comme le mouvement Y en a
marre qui ont indéniablement contribué
à éveiller les consciences et dont on peut
attendre une certaine vigilance, quelque
soit le vainqueur final de cette élection.

[1Lors d’une conférence de presse, le 1er mars
2007

[2Les manifestations qui ont éclaté dès le
27 janvier un peu partout au Sénégal, ont été
réprimées par les forces de l’ordre, faisant au
total une dizaine de victimes et de nombreux
blessés.

[3Le 9 février 2012, Wade a affirmé avoir
fait arrêter les poursuites contre Idrissa Seck
dans l’affaire dite des chantiers de Thiès,
dont l’instruction était alors confiée à l’actuel
président du Conseil constitutionnel.

[4Des Industries chimiques du Sénégal à
Sénégal Airlines, en passant par la Senelec,
Karim Wade a touché de près ou de loin à
la quasi-totalité des secteurs d’activité du
pays. Il a également géré l’Agence nationale
de l’organisation de la conférence islamique
(ANOCI), dans des conditions opaques
dénoncées par l’Autorité de régulation des
marchés publics et Abdou Latif Coulibaly dans
le livre Contes et mécomptes de l’Anoci.

[5Entre autres, la tentative de corruption de
M. Segura (représentant du FMI sur le départ),
la gestion des fonds taïwanais ou encore l’affaire
des 20 milliards de Sudatel.

[6La corruption patente qui règne au Sénégal et
les alertes de l’ex-ambassadeur Jean-Christophe
Rufin n’ont pas empêché un soutien financier
(Le Canard Enchainé du 24 décembre 2008) et
diplomatique de la France. Et côté américain,
malgré une bonne connaissance de la situation
du pays, comme en témoignent les câbles
WikiLeaks, l’aide du Millenium Challenge
Account a été maintenue.

[7La loi Ezzan d’amnistie des crimes politiques
commis entre 1993 et 2004 en rapport avec les
élections est taillée sur mesure pour libérer les
assassins de M. Babacar Sèye. Wade a toujours
été soupçonné d’être le commanditaire de ce
meurtre en 1993.

[8l a encore récemment essayé de débaucher
Abdoulaye Baldé, coresponsable avec Karim
Wade de la gestion de l’ANOCI

[9Conférence de presse du 29 février 2012

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 211 - mars 2012
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