La politique menée par notre
pays vis-à-vis du Rwanda
de 1990 à 1994 était une
politique secrète, mise en
œuvre par un petit cercle de
hauts responsables politiques
et militaires, sous la houlette
de François Mitterrand.
Une politique criminelle
puisqu’elle a soutenu
ceux qui préparaient, puis
commettaient le génocide des
Tutsi, avant de leur permettre
de s’échapper.
Informés dès l’automne 1990 de la
possibilité d’un génocide des Tutsi,
les dirigeants français ne s’en sont pas
moins engagés dans un soutien politique,
diplomatique et militaire aux extrémistes
hutu, jusqu’à exfiltrer les responsables
du génocide vers le Zaïre sous couvert de
l’opération Turquoise.
Lorsque le génocide est déclenché, le
7 avril 1994, les autorités françaises
ont immédiatement connaissance de
la nature des événements. L’ordre
d’opération d’Amaryllis (opération
d’évacuation des Français et des
Européens), daté du 8 avril 1994, indique
en effet que se déroule à Kigali, depuis
la veille, « l’élimination des opposants
et des Tutsi ». Le gouvernement français
n’ordonne pas à nos troupes de secourir
les victimes, alors que la France est
signataire de la Convention de 1948 sur
la prévention et la répression du crime de
génocide.
Au contraire, ses instructions
sont de ne pas montrer aux médias
« des soldats français n’intervenant pas
pour faire cesser des massacres dont
ils étaient les témoins proches ». Les
employés tutsi du centre culturel français
et de la mission de coopération sont ainsi
abandonnés aux tueurs. Le contraste
est saisissant : l’ambassadeur Marlaud
accueille à l’ambassade de France les
pires extrémistes hutu. Il cautionne la
formation du Gouvernement intérimaire
rwandais (GIR), couverture politique du
coup d’Etat qui vient de se produire avec
l’assassinat des responsables politiques
hutu favorables aux accords de paix
d’Arusha : le Premier ministre, Agathe
Uwilingiyimana, plusieurs ministres, le
président de la Cour constitutionnelle.
Le 21 avril 1994, la France, membre
permanent du Conseil de sécurité de l’ONU,
vote, comme les autres grandes puissances, la
réduction drastique du contingent de Casques
bleus, abandonnant les Rwandais tutsi à
leur sort tragique. Mais elle est le seul pays
occidental a avoir reçu en visite officielle
des membres du GIR. Le 27 avril 1994,
en plein génocide, Jérôme Bicamumpaka,
ministre des Affaires étrangères du GIR, et
Jean-Bosco Barayagwiza, leader du parti
extrémiste le plus anti-tutsi, la CDR, sont
accueillis à l’Elysée par Bruno Delaye,
conseiller Afrique de François Mitterrand,
à Matignon par Edouard Balladur, Premier
ministre, et Alain Juppé, ministre des Affaires
étrangères.
Un mois plus tard, inquiet de l’avancée des
troupes du FPR, c’est à François Mitterrand
que le Président rwandais par intérim,
Théodore Sindikubwabo, écrit en ces
termes : « Le Peuple rwandais vous exprime
ses sentiments de gratitude pour le soutien
moral, diplomatique et matériel que vous
lui avez assuré depuis 1990 jusqu’à ce jour.
En son nom, je fais encore une fois appel à
Votre généreuse compréhension et à celle
du Peuple Français en vous priant de nous
fournir encore une fois Votre appui tant
matériel que diplomatique. » A cette date,
au moins un demi-million de Tutsi et des
milliers de Hutu opposés au génocide ont
déjà été massacrés au Rwanda.
L’appui aux Forces armées rwandaises
(FAR) consiste d’abord à permettre leur
approvisionnement en armes (munitions
surtout) pendant toute la durée du génocide.
La première livraison a lieu pendant
l’opération Amaryllis, dans la nuit du 8 au
9 avril 1994, à l’aéroport de Kanombe. Elle
se déroule en parfaite coordination avec les
FAR. Tout au long du génocide, le colonel
Kayumba, directeur du service financier du
ministère rwandais de la Défense, est reçu
régulièrement à Paris par le général Jean-Pierre Huchon, chef de la Mission militaire
de coopération. Kayumba organise six
livraisons d’armes aux tueurs entre le 18 avril
et le 19 juillet 1994.
Du 9 au 13 mai 1994, le général Huchon
rencontre le lieutenant-colonel Rwabalinda,
conseiller du chef d’Etat-major des FAR
qui encadrent le génocide. Dans son rapport,
Rwabalinda écrit : « Le général Huchon m’a
clairement fait comprendre que les militaires
français ont les mains et les pieds liés pour
faire une intervention quelconque en notre
faveur à cause de l’opinion des médias que
seul le FPR semble piloter. Si rien n’est fait
pour retourner l’image du pays à l’extérieur,
les responsables militaires et politiques du
Rwanda seront tenus pour responsables des
massacres commis au Rwanda. Il est revenu
sur ce point plusieurs fois. Le gouvernement
français [sic], a-t-il conclu, n’acceptera
pas d’être accusé de soutenir des gens que
l’opinion internationale condamne et qui
ne se défendent pas. Le combat des médias
constitue une urgence. Il conditionne d’autres
opérations ultérieures [sic]. »
Ainsi, un
mois après le début du génocide, le général
Huchon ne signifie aucune désapprobation à
son interlocuteur, mais insiste sur la nécessité
urgente de retourner l’opinion internationale
en faveur du GIR. Et d’évoquer, parmi les
« priorités » : « [...] La présence physique
[sic] des militaires français au Rwanda ou
tout au moins d’un contingent d’instructeurs
pour les actions de coup de mains dans le
cadre de la coopération. [...] L’utilisation
indirecte des troupes étrangères régulières
ou non. »
La « présence physique de militaires
français au Rwanda », mercenaires ou non,
aux côtés des génocidaires, est attestée par
des témoignages de plus en plus nombreux.
Ainsi celui de l’ancien chauffeur du colonel
Bagosora, « cerveau » du génocide, qui dit
avoir vu, le 24 avril 1994, deux militaires
français avec deux soldats des FAR et
quatre miliciens Interahamwe. Les deux
Français contrôlaient les cartes d’identité
et « triaient » les Tutsi, livrés ensuite aux
miliciens qui les tuaient. Si ce témoignage
recueilli par Cécile Grenier est fiable, il s’agit
d’une participation directe au génocide.
Georges Ruggiu, l’animateur de la Radio
des Mille Collines, affirme quant à lui avoir
vu à Kigali, puis à Gisenyi, quatre militaires
français arrivés autour du 16 avril 1994
et repartis le 21 mai. Soldats réguliers ou
mercenaires ? Ruggiu ne le dit pas, mais il
décrit ces militaires comme circulant deux
par deux, la plupart du temps avec le général
Bizimungu, chef d’état-major de FAR, et
avec le général Kabiligi, dans des véhicules
camouflés avec forte escorte.
Paul Barril a été aperçu à maintes reprises au
Rwanda avant et pendant le génocide, à la
tête d’un groupe de mercenaires.
Il est temps de l’interroger sérieusement sur
ce qu’il sait de l’attentat du 6 avril 1994, et
l’on peut raisonnablement penser que les
juges Trévidic et Poux vont s’en charger
bientôt. Mais au-delà, Barril a entraîné des
soldats rwandais pendant le génocide.
Le 28 mai 1994, il a signé un contrat
d’assistance avec le Premier ministre du
GIR pour deux millions de cartouches et
des milliers de grenades, utilisées dans la
guerre contre le FPR, mais également pour
commettre le génocide.
L’ancien gendarme de l’Elysée a bel et
bien joué un rôle crucial dans l’implication
française au Rwanda. Il est, selon Patrick
de Saint-Exupéry, « le pivot d’une toile
d’araignée entre l’Elysée de Mitterrand
et les extrémistes qui commettront le
génocide » et ce, bien avant 1994. Au
point qu’en 1993, un des plus hauts gradés
de l’armée française demande à François
Mitterrand : « L’ancien capitaine Barril est-il chargé officiellement ou officieusement
d’une mission [au Rwanda] ? » Mitterrand
lui répond que Barril n’est mandaté par
personne (Complices de l’inavouable,
p.282).
Pourtant, Barril travaillait depuis
1989 pour la sécurité du Président
Habyarimana... après avoir assuré celle de
François Mitterrand au début des années
80. Peut-on alors croire que Barril est un
mercenaire qui travaille pour son propre
compte ? N’est-il pas plutôt un « corsaire
de la République », avec lettres de marque
signées des plus hautes autorités ? Est-ce
pour cela qu’il est intervenu en permanence
dans l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 ?
Est-ce la raison pour laquelle les parlementaires qui réalisaient la Mission d’information de 1998 n’ont jamais pu l’entendre ? [1]
Si les autorités françaises ont suivi
une stratégie indirecte de soutien aux
génocidaires aussi longtemps qu’elles
l’ont pu, elles ont dû pour finir intervenir
directement face à la débâcle militaire de
leurs protégés : c’est l’opération Turquoise.
Le président Mitterrand trouve ainsi urgent, à
la mi-juin 1994, d’agir afin de mettre fin aux
massacres, alors qu’il n’avait pas jugé bon
de le faire en avril. L’opération Turquoise
doit officiellement protéger les populations
menacées. Elle sauvera effectivement de
10 000 à 17 000 Tutsi. Mais les accusations
de viols, de traitements cruels, de livraisons
de rescapés tutsi aux tueurs dans les camps
de réfugiés sous la garde des militaires
français sont nombreuses et font l’objet
d’une instruction confiée maintenant
au Pôle « Génocides et crimes contre
l’humanité » du tribunal de grande
instance de Paris.
A Bisesero, deux mille rescapés Tutsi,
qui, après avoir un temps repoussé les
assauts des tueurs ont réussi à survivre
en se cachant, sont découverts par une
patrouille française le 27 juin 1994. Ils
doivent attendre trois longs jours pour
être évacués. Trois jours de trop pour
un millier d’entre eux, d’autant plus que
pendant ce laps de temps les miliciens et
les soldats des FAR ont redoublé leurs
attaques. Pourquoi ce délai avant de les
secourir ?
La zone Turquoise n’a donc pas empêché
les exactions contre les Tutsi de se
poursuivre. Par contre, elle a été très utile
aux assassins.
La zone humanitaire sûre créée par
l’opération Turquoise à l’ouest du Rwanda
est immédiatement utilisée comme refuge
par les auteurs du génocide, en passe d’être
défaits militairement par le FPR. Face à
cette situation, l’ambassadeur Yannick
Gérard envoie un télégramme à Paris le
15 juillet 1994 en indiquant : « [...] dans
la mesure où nous savons que les autorités
portent une lourde responsabilité dans le
génocide, nous n’avons pas d’autre choix,
quelles que soient les difficultés, que de les
arrêter ou de les mettre immédiatement
en résidence surveillée en attendant que
les instances judiciaires internationales
compétentes se prononcent sur leur cas. »
Les responsables et les auteurs du génocide
présents dans la zone humanitaire sûre
mise en place par Turquoise n’y sont pas
arrêtés.
Au contraire, ils sont laissés libres
d’aller se réfugier au Zaïre, impunément,
souvent avec armes et bagages. Le
numéro d’octobre 1994 de la revue de la
Légion étrangère, Képi blanc, écrit même
que « l’état-major tactique [de Turquoise]
provoque et organise l’évacuation du
gouvernement rwandais vers le Zaïre ».
Le colonel Théoneste Bagosora, principal
architecte du génocide, avait déjà été
évacué par nos soldats début juillet.
Non contentes d’avoir permis aux
génocidaires d’échapper à leur châtiment,
les autorités françaises maintiennent leur
alliance avec eux après le génocide en leur
fournissant de la nourriture, des armes, un
entraînement militaire... A l’été 1995, le
gouvernement français refuse même de
satisfaire la demande du gouvernement
belge d’arrêter et d’extrader le colonel
Bagosora qui faisait, comme d’autres
génocidaires de premier plan, des séjours
dans notre pays.
Au regard de ces faits, il apparaît bel et bien
que les autorités françaises ont rendu notre
pays coupable de complicité de génocide.
En effet, selon la jurisprudence du Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR) :
« [...] un accusé est complice de génocide
s’il a sciemment et volontairement aidé
ou assisté ou provoqué une ou d’autres
personnes à commettre le génocide, sachant
que cette ou ces personnes commettaient
le génocide, même si l’accusé n’avait pas
lui-même l’intention spécifique de détruire
en tout ou en partie le groupe national,
ethnique, racial ou religieux, visé comme
tel. » Au nom de calculs géopolitiques
dictés par une minorité hors de tout contrôle
du fait du prétendu « domaine réservé » du
chef de l’Etat, les dirigeants français ont
consenti sans états d’âme à la préparation
puis à l’exécution du massacre de près d’un
million d’êtres humains. Une fois le crime
accompli, ils n’ont pas rompu leur alliance
avec les assassins. François Mitterrand a
pu dire à des proches, à l’été 1994 : « Vous
savez, dans ces pays-là, un génocide, c’est
pas trop important ».
L’effort constant pour couvrir d’une
chape de plomb faite de secret-défense,
de manipulations judiciaires et de désinformation
médiatique
l’implication
française dans le génocide des Tutsi
semble de plus en plus vain. Les contre-
vérités assénées péremptoirement – le FPR
aurait commis l’attentat du 6 avril 1994, il
aurait perpétré un génocide des Hutu – ne
résistent pas à l’analyse. Pas plus que la
manœuvre consistant à repeindre en rose
la politique menée au Rwanda à partir de
1990.
Il a fallu attendre 1995 pour que le premier
magistrat de notre pays reconnaisse la
participation du régime de Vichy au
génocide des juifs d’Europe. Mais la
République française n’a toujours pas
admis avoir recouru systématiquement à la
torture et aux exécutions extra-judiciaires
en Algérie, un demi-siècle après les faits...
Alors, combien de temps faudra-t-il encore
pour que la complicité de la France dans un
deuxième génocide – celui des Rwandais
tutsi – soit officiellement reconnue ?
[1] Dans une première version de l’article, nous avions écrit par erreur que Paul Quilès n’avait pas convoqué Barril devant la Mission d’information parlementaire de 1998. Cette erreur a été relevée par M. Quilès, et nous avons donc procédé à la rectification du texte. Il est à noter cependant que Paul Barril n’a été convoqué qu’in extremis devant la Mission parlementaire, dans des délais qui font douter d’une réelle volonté d’exploiter les informations qu’auraient pu apporter Barril : celui-ci fut convoqué le 2 décembre 1998 pour être entendu le 9, alors que la Mission rendait public son rapport le 15... Par ailleurs, les responsables politiques de l’époque avaient volontairement fait le choix de ne réaliser qu’une simple Mission d’information parlementaire, plutôt qu’une Commission d’enquête parlementaire où toute personne est alors obligée de déférer à une convocation. Convoqué par la Mission de 98, Barril a simplement déclaré qu’il se trouvait aux USA et ne s’est pas présenté. Lire la suite