Plus d’un mois après le putsch militaire du 22 mars, la tension au Mali, dont la partie Nord échappe au contrôle de Bamako depuis début avril, est à nouveau à son paroxysme.
Une transition intégrant les « forces vives » est devenue chimérique alors que le bras de fer est constamment relancé entre une junte s’arc-boutant sur le pouvoir qui n’inspire plus confiance même à ses soutiens de la première heure et une CEDEAO omniprésente et provocante qui veut coûte que coûte imposer ses solutions pour conquérir une légitimité diplomatique sur la scène internationale.
Fin avril, des combats ont repris à Bamako entre la junte et des éléments de l’armée loyaux vis-à-vis du nouveau gouvernement de transition. Cela fait suite au refus de la junte de lâcher le pouvoir en se soumettant aux décisions de la Cedeao réunie en sommet extraordinaire à Abidjan le 26 avril et qui souhaitait fixer à un an le mandat du gouvernement de transition et demandait le retour des militaires de la junte dans ses casernes. La Cedeao prévoyait également le déploiement d’une force de 600 militaires ouest-africains. En brandissant l’argument de la non ingérence, la junte semble prête à nouveau à une nouvelle escalade avec la CEDEAO, comme dans les premiers jours après sa prise du pouvoir.
C’est seulement avec la débâcle et la prise du Nord par les rebelles, que la junte était rentrée dans le rang en signant sous la houlette d’un médiateur, spécialiste des coups d’Etats, Blaise Compaoré président du Burkina Faso (représenté par son ministre Djibril Bassolé), l’accord-cadre du 6 avril.
Il contenait le retour à l’ordre constitutionnel par la démission de l’ex-président malien ATT et la nomination du Président de l’assemblée nationale par intérim pendant 40 jours, comme stipulé dans la Constitution malienne, puis – entre autres - la constitution d’un « gouvernement d’union nationale composé de personnalités consensuelles ». Mais faisait aussi de la junte, le garant du respect de l’accord. Conséquence : la Cedeao mettait le Mali dans une position forcément instable, vantant le retour à l’ordre constitutionnel mais consacrant deux autorités, celle de la junte et celle du président par intérim.
La junte a depuis montré le peu de respect qu’elle pouvait avoir du pouvoir civil mis en place, en arrêtant arbitrairement une vingtaine de personnalités politiques le 19 avril. Ses membres ont aussi montré que leur attachement à l’accord cadre était purement opportuniste : ayant su imposer trois militaires au sein du gouvernement de transition, ils n’ont pas critiqué l’absence de concertation pour sa constitution mais ils refusent que son mandat passe de 40 jours à un an, menaçant de reprendre à ce terme le pouvoir. Cela révèle enfin le goût qu’ils ont rapidement pris pour le pouvoir, que certains refusent de lâcher.
A commencer par les différentes composantes politiques et sociales : les détracteurs du coup d’Etat, réunis au sein du Front Uni pour la Sauvegarde de la Démocratie et la République (FDR) avaient espéré que l’accord-cadre permettrait un retour à un ordre constitutionnel. Les soutiens de la première heure des putschistes comme la COPAM [1], qui voyaient une opportunité pour le Mali d’une transition intégrant toutes les parties prenantes de la société sont également déçus.
Après une première convention des forces vives, incapable de consensus, le coup de grâce a été, pour elles, la constitution du gouvernement. Contrairement à l’accord- cadre, elles n’ont pas été consultées et les 24 ministres nommés sont prêts à servir les intérêts des nations voisines, éloignés des réalités maliennes ou militaires.
Cheik Modibo Diarra, le 1er Ministre a de très forts liens aux Etats-Unis et en Afrique du Sud.De nombreux ministres étaient expatriés depuis des années. Hamadoun Touré, le Ministre des affaires humanitaires, était récemment le porte- parole de l’ONUCI à Abidjan, au moment où Ouattara accédait au pouvoir grâce à l’armée française. Surtout, le Ministre des affaires étrangères et de la coopération, Sadio Lamine Sow, était jusqu’alors un conseiller très proche du burkinabé Blaise Compaoré, depuis sa prise de pouvoir en 1987 après l’assassinat de Sankara . Quels intérêts va-t-il servir ?
On y retrouve aussi des caciques du régime du dictateur Moussa Traoré tombé en 1991, ainsi que trois militaires. Paradoxalement, le FDR et les autres mouvements se retrouvent sur leur insatisfaction respective, et certains demandent une Convention des forces vives maliennes qui puisse réellement prendre part à la transition.
Depuis le début de la crise au Mali, la Cedeao – soutenue par la France, l’Union Européenne et les Etats-Unis, a voulu faire montre d’une position très ferme vis-à-vis des putschistes, menaçant d’embargo et d’intervention militaire. Les protocoles additionnels de 1999 puis de 2001 de la Cedeao érigent, en effet, comme principe de s’opposer à toute accession au pouvoir de façon non constitutionnelle. Mais surtout, chacun des présidents de la sous- région a des raisons très « personnelles » d’être ferme : le président burkinabé a en tête les mutineries de ses militaires et de sa garde nationale en 2011, le président Ouattara, président de la Cedeao, a accédé au pouvoir en Cote d’Ivoire dans des conditions plus que discutables en 2011 et au Niger le dernier putsch date de 2010, etc.
Mais tout en menaçant de l’usage de la force, la Cedeao joue un rôle trouble vis-à-vis de la junte. Elle a, en effet, légitimé la junte comme dans les négociations ultérieures au détriment du Président par intérim et a accepté un gouvernement composé de militaires tout en éludant les questions qui fâchent, comme la durée de la transition. Il n’est alors pas étonnant que les décisions prises de manière non concertée au Sommet de la Cedeao en présence du Président par intérim et qui remettent en cause la place des putschistes déstabilisent à nouveau Bamako.
Il semble aujourd’hui que l’Ivoirien Ouattara et le burkinabé Compaoré, sous couvert de donner du crédit à la Cedeaoet à l’Ecomog, son bras armé, veuillent surtout rester maîtres de la transition malienne, et, si possible pour Ouattara, éloigner certains anciens rebelles gênants de la Côte d’Ivoire.
[1] Coordination des organisations patriotiques du Mali, dont fait partie le MP22.