Survie

Les Maliens otages du bras de fer entre la junte et la Cedeao

rédigé le 10 mai 2012 (mis en ligne le 3 juillet 2012) - Juliette Poirson

Plus d’un mois après le
putsch militaire du 22 mars,
la tension au Mali, dont la
partie Nord échappe au
contrôle de Bamako depuis
début avril, est à nouveau à
son paroxysme.

Une transition intégrant les « forces
vives
 » est devenue chimérique alors
que le bras de fer est constamment
relancé entre une junte s’arc-boutant sur le
pouvoir qui n’inspire plus confiance même
à ses soutiens de la première heure et une
CEDEAO omniprésente et provocante qui
veut coûte que coûte imposer ses solutions
pour conquérir une légitimité diplomatique
sur la scène internationale.

Fin avril, des combats ont repris à
Bamako entre la junte et des éléments
de l’armée loyaux vis-à-vis du nouveau
gouvernement de transition. Cela fait suite
au refus de la junte de lâcher le pouvoir en
se soumettant aux décisions de la Cedeao
réunie en sommet extraordinaire à Abidjan
le 26 avril et qui souhaitait fixer à un an
le mandat du gouvernement de transition
et demandait le retour des militaires de
la junte dans ses casernes. La Cedeao
prévoyait également le déploiement
d’une force de 600 militaires ouest-africains. En brandissant l’argument de
la non ingérence, la junte semble prête à
nouveau à une nouvelle escalade avec la
CEDEAO, comme dans les premiers jours
après sa prise du pouvoir.

Des militaires accrochés au pouvoir

C’est seulement avec la débâcle et la prise
du Nord par les rebelles, que la junte était
rentrée dans le rang en signant sous la
houlette d’un médiateur, spécialiste des
coups d’Etats, Blaise Compaoré président
du Burkina Faso (représenté par son
ministre Djibril Bassolé), l’accord-cadre
du 6 avril.

Il contenait le retour à l’ordre
constitutionnel par la démission de l’ex-président malien ATT et la nomination
du Président de l’assemblée nationale
par intérim pendant 40 jours, comme
stipulé dans la Constitution malienne,
puis – entre autres - la constitution
d’un « gouvernement d’union nationale
composé de personnalités consensuelles
 ».
Mais faisait aussi de la junte, le garant
du respect de l’accord. Conséquence : la
Cedeao mettait le Mali dans une position
forcément instable, vantant le retour à
l’ordre constitutionnel mais consacrant
deux autorités, celle de la junte et celle du
président par intérim.

La junte a depuis montré le peu de respect
qu’elle pouvait avoir du pouvoir civil mis
en place, en arrêtant arbitrairement une
vingtaine de personnalités politiques le
19 avril. Ses membres ont aussi montré
que leur attachement à l’accord cadre était
purement opportuniste : ayant su imposer
trois militaires au sein du gouvernement de
transition, ils n’ont pas critiqué l’absence
de concertation pour sa constitution mais
ils refusent que son mandat passe de 40
jours à un an, menaçant de reprendre à ce
terme le pouvoir. Cela révèle enfin le goût
qu’ils ont rapidement pris pour le pouvoir,
que certains refusent de lâcher.

Les Maliens, grands perdants

A commencer par les différentes
composantes politiques et sociales : les
détracteurs du coup d’Etat, réunis au
sein du Front Uni pour la Sauvegarde
de la Démocratie et la République
(FDR) avaient espéré que l’accord-cadre permettrait un retour à un ordre
constitutionnel. Les soutiens de la
première heure des putschistes comme la
COPAM [1], qui voyaient une opportunité
pour le Mali d’une transition intégrant
toutes les parties prenantes de la société
sont également déçus.

Après une première convention des forces
vives, incapable de consensus, le coup de
grâce a été, pour elles, la constitution du
gouvernement. Contrairement à l’accord-
cadre, elles n’ont pas été consultées et les
24 ministres nommés sont prêts à servir
les intérêts des nations voisines, éloignés
des réalités maliennes ou militaires.

Cheik Modibo Diarra, le 1er Ministre a
de très forts liens aux Etats-Unis et en
Afrique du Sud.De nombreux ministres
étaient expatriés depuis des années.
Hamadoun Touré, le Ministre des affaires
humanitaires, était récemment le porte-
parole de l’ONUCI à Abidjan, au moment
où Ouattara accédait au pouvoir grâce à
l’armée française. Surtout, le Ministre des
affaires étrangères et de la coopération,
Sadio Lamine Sow, était jusqu’alors un
conseiller très proche du burkinabé Blaise
Compaoré, depuis sa prise de pouvoir en
1987 après l’assassinat de Sankara . Quels
intérêts va-t-il servir ?

On y retrouve aussi des caciques du
régime du dictateur Moussa Traoré
tombé en 1991, ainsi que trois militaires.
Paradoxalement, le FDR et les autres
mouvements se retrouvent sur leur
insatisfaction respective, et certains
demandent une Convention des forces
vives maliennes qui puisse réellement
prendre part à la transition.

Une Cedeao schizophrène

Depuis le début de la crise au Mali, la
Cedeao – soutenue par la France, l’Union
Européenne et les Etats-Unis, a voulu faire
montre d’une position très ferme vis-à-vis des putschistes, menaçant d’embargo
et d’intervention militaire. Les protocoles
additionnels de 1999 puis de 2001 de la
Cedeao érigent, en effet, comme principe
de s’opposer à toute accession au pouvoir
de façon non constitutionnelle. Mais
surtout, chacun des présidents de la sous-
région a des raisons très « personnelles »
d’être ferme : le président burkinabé a en
tête les mutineries de ses militaires et de
sa garde nationale en 2011, le président
Ouattara, président de la Cedeao, a
accédé au pouvoir en Cote d’Ivoire dans
des conditions plus que discutables en
2011 et au Niger le dernier putsch date
de 2010, etc.

Mais tout en menaçant de l’usage de la force,
la Cedeao joue un rôle trouble vis-à-vis de
la junte. Elle a, en effet, légitimé la junte
comme dans les négociations ultérieures
au détriment du Président par intérim et
a accepté un gouvernement composé de
militaires tout en éludant les questions qui
fâchent, comme la durée de la transition. Il
n’est alors pas étonnant que les décisions
prises de manière non concertée au Sommet
de la Cedeao en présence du Président par
intérim et qui remettent en cause la place
des putschistes déstabilisent à nouveau
Bamako.

Il semble aujourd’hui que l’Ivoirien Ouattara
et le burkinabé Compaoré, sous couvert de
donner du crédit à la Cedeaoet à l’Ecomog,
son bras armé, veuillent surtout rester maîtres
de la transition malienne, et, si possible pour
Ouattara, éloigner certains anciens rebelles
gênants de la Côte d’Ivoire.

[1Coordination des organisations
patriotiques du Mali, dont fait partie le MP22.

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 213 - mai 2012
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi