Survie

Que se passe-t-il dans le nord du Mali ?

rédigé le 10 mai 2012 (mis en ligne le 4 juillet 2012) - Grégory Giraud

L’actualité internationale
s’est invitée dans la
campagne présidentielle
française à l’occasion de
l’offensive rebelle entraînant,
au moins provisoirement,
une partition du Mali.
L’occasion pour les experts
de la « menace islamiste »
d’exagérer une nouvelle
fois le rôle des mouvements
salafistes, auxquels les
démocraties occidentales
et leurs alliés dictateurs
seraient évidemment le seul
rempart. Tour de piste des
acteurs en présence.

Le succès de l’offensive fulgurante
des rebelles touaregs maliens
déclenchée mi janvier a surpris :
en quelques semaines, l’armée malienne
étaient en déroute abandonnant les 2/3
nord du pays.

Le Mouvement National de Libération
de l’Azawad (MNLA) qui a mené
l’offensive est une coalition d’anciens
mouvements rebelles touaregs maliens
et d’anciens militaires touaregs maliens
enrôlés en Libye. Son objectif affirmé
est la création d’un État indépendant de
l’Azawad dans le nord du Mali. Plusieurs
observateurs, dont Pierre Boiley,
universitaire spécialiste des Touaregs,
les estiment à environ 2000 combattants,
sans qu’on sache sur quelle base sont
faites ces estimations et donc quel crédit
leur apporter. Mais, quand bien même ils
seraient beaucoup plus nombreux, il leur
serait impossible de maîtriser un territoire
plus grand que la France...

Salafisme et opportunisme

D’autant que le MNLA n’est pas seul sur
le terrain. Alors qu’Al-Qaïda au Maghreb
Islamique (AQMI) était censé être, selon
tous les médias et les commentateurs
appointés, le maître de la région, on ne le
voit pas s’activer au moment des troubles.
En revanche, surgit de nulle part, le groupe
Ançar Dine qui ferait le coup de feu aux
côtés du MNLA. Hormis le fait qu’ils sont
touaregs, tout les séparent : le MNLA veut
un État touareg indépendant et laïc alors
qu’Ançar Dine souhaite imposer la charia
sur un Mali uni... En outre, on voit mal
quel intérêt aurait un mouvement en quête
de reconnaissance internationale comme
le MNLA à se décrédibiliser en s’alliant
avec des salafistes combattants, grands
ennemis de l’Occident.

Qui est donc Ançar Dine ? Son chef, Iyad
Ag Ghali, a un parcours très opportuniste.
Ancien chef rebelle touareg dans les années
90, il devient conseiller à la présidence
malienne, puis négociateur en 2003 pour le
compte de cette dernière dans la libération
des otages européens enlevés par le GSPC
(Groupe Salafiste pour la Prédication et le
Combat, qui deviendra AQMI en 2007).

Ag Ghali revient en arrière-plan dans la
rébellion touareg de 2006, avant d’être
envoyé comme conseiller au consulat
malien de Djeddah en Arabie Saoudite
d’où il se fait expulser en 2010 pour
avoir fréquenté de trop prêt des salafistes.
On le retrouve ensuite, en janvier 2011,
négociateur pour la libération de trois
des otages d’Areva enlevés au Niger. Et
ce genre d’intermédiaires n’hésite pas à
surfacturer sa prestation et à s’attribuer de
très généreuses commissions...

Ançar Dine sur-médiatisé, et l’Algérie en embuscade

Aujourd’hui, la puissance réelle d’Ançar
Dine est douteuse. Contrairement à la
pluie de dépêches et d’articles de presse
relatant la suprématie militaire de ce
groupe sur le MNLA, il semblerait que les
combattants d’Iyad Ag Ghali ne soient pas
très nombreux : principalement d’anciens
compagnons de route et des jeunes attirés
par les possibilités d’enrichissement
rapide à ses côtés (mise à disposition
d’armes, de 4x4...). Leur présence sur le
terrain au début de l’offensive du MNLA
pourrait s’expliquer par le fait que, tels des
vautours, ils laissent le MNLA combattre,
puis, une fois celui-ci passé à l’objectif
suivant – ses effectifs ne lui permettant pas
de laisser beaucoup d’hommes derrière –,
ils prennent le contrôle de la zone, voire
commettent des atrocités comme les
exécutions de soldats maliens à Aguelhoc
en janvier dernier.

Les rivalités tribales
pourraient par contre expliquer leur
montée en puissance : les ex-supplétifs
locaux de l’armée et les tribus opposées
au MNLA se sont sans doute alliées à
Ag Ghali, lui permettant par exemple de
prendre Kidal et de contrôler un certain
nombre d’autres villes. Ils décrédibilisent
ainsi la rébellion et permettent à leur
commanditaire de pouvoir faire pression
sur le MNLA.

Le marionnettiste le plus
probable semble être le DRS algérien
(Département Renseignement Sécurité
de l’armée algérienne, ancienne Sécurité
Militaire) au vu de son savoir-faire dans
la manipulation de groupes islamistes
armés [1], notamment des émirs du GSPC et
d’AQMI avec lesquels Ag Ghali a par le
passé négocié de juteuses rançons.

Mais
la faiblesse structurelle d’Ançar Dine
apparaît quand ils annoncent ne pas
vouloir aller plus loin que le MNLA vers
le sud et vouloir négocier avec le pouvoir
malien, en contradiction complète avec
leur objectif d’imposer la charia sur
l’ensemble du Mali...

Il faut dire qu’un Ançar Dine capable
de brouiller les cartes en pleine
déstabilisation du pouvoir malien par
le MNLA est une aubaine pour l’armée
algérienne, qui n’a pas intérêt à perdre
son allié à Bamako. En effet, depuis
2009, Bamako est condamné à être le
vassal de l’Algérie : après avoir subi
une série de défaites militaires face à un
AQMI manipulé par le DRS, les Maliens
lui ont abandonné le nord, des soldats
algériens allant jusqu’à s’installer dans
les bases militaires maliennes du nord
– les rebelles les ont d’ailleurs laissés
sains et saufs après leurs prises.

Le
MUJAO (Mouvement pour l’Unité
du Jihad en Afrique de l’Ouest),
qui se présente comme une branche
dissidente d’AQMI, a certes enlevé des
diplomates au consulat d’Algérie lors de
sa participation à la prise de la ville de
Gao, cela ne suffit pas à laver Alger de
tout soupçon. Les services algériens ont
à leur actif d’autres coups tordus comme
le vrai-faux enlèvement des époux
Thévenot en 1993.

La France suiviste plutôt qu’à la manœuvre

On sait que les États-Unis mènent depuis
quelques années une politique très active
de coopération militaire avec Bamako,
fournissant matériels et formations.
L’effondrement de l’armée malienne
ne fait donc pas leur affaire, mais leur
capacité d’action paraît réduite et se
cantonne à l’observation.

Quant à la France, on comprend que la
déstabilisation de l’axe Alger-Bamako
ne peut que lui convenir. Le soutien
dont bénéficie le MNLA auprès de la
Mauritanie, où sont installés des cadres du
mouvement qui y tiennent salons ouverts,
est d’ailleurs un bon indicateur de sa
position, la Mauritanie étant un pion de
la Françafrique dans la région. Toutefois,
même si des contacts entre officiels
français et MNLA sont avérés (La Lettre
du continent n°633) il semble que la
France ait plus suivi les événements que
manœuvré en amont.

Les déclarations d’Alain Juppé, ministre
français des Affaires Étrangères, ont
certes ajouté de l’eau au moulin de ceux
qui voient la France derrière le MNLA : il
avait en février demandé « un cessez-le-feu
immédiat
 » car « la rébellion touarègue a
remporté d’importants succès militaires
 »
en ajoutant toutefois qu’« un recours à la
force n’est pas acceptable
 », mais qu’il
faudra quand même « traiter la question
touarègue sur le fond
 ». Cette déclaration
pragmatique, bien que ne ménageant pas
les susceptibilités maliennes, est surtout
symbolique du mépris français vis-à-vis du continent : les officiels français
ne tiendraient jamais de tels propos
publiquement au sujet de pays non-africains confrontés à la même situation.

Mais la position officielle du maintien
de l’unité territoriale malienne et de
discussions pour une plus grande
autonomie du nord Mali semble être la
véritable ligne de conduite de la France,
sans quoi ses alliés de la Communauté
économique des Etats d’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO) ne feraient pas ainsi
bloc sur cette position. C’était d’ailleurs
déjà la ligne défendue par le secrétaire
d’État français à la Coopération, Henri
de Raincourt, le 9 février auprès de
l’ex-président malien.

Les officiels
hexagonaux semblent se soucier de ne pas
ouvrir la boîte de Pandore des sécessions
et des modifications de frontières, au
risque de déstabiliser toute la région et,
accessoirement, de menacer les intérêts
d’Areva dans le nord Niger.

En outre, se
poser en intermédiaire permettrait à la
France de préserver ses intérêts en jouant
sur les deux tableaux et de damer le pion
à l’Algérie dont la tentative de médiation
début janvier a échoué. Cela peut se
faire par délégation : c’est officiellement
la Mauritanie qui mène les discussions
entre le MNLA et le nouveau pouvoir
malien, la France surjouant une retenue
et un alignement sur les positions des
organisations multilatérales. Sans les
influencer, bien entendu.

[1Voir La Françalgérie, crimes et mensonges
d’Etats
, de L. Aggoun et J.B. Rivoire,
La Découverte, Paris, 2004 ; « Enquête
sur l’étrange « Ben Laden du Sahara »
 »
,
de S. Mellah et JB Rivoire, in Le Monde
Diplomatique, 02/2005 ; « « Al-Qaida au
Maghreb », ou la très étrange histoire du GSPC
algérien
 »
,
de F. Gèze et S. Mellah, In Algeria-Watch, 22
septembre 2007 et Sahel, Mauritanie, le chiffon rouge du terrorisme islamiste dans Billets d’Afrique 186 décembre 2009

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 213 - mai 2012
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