Rencontre avec Georges
Mpaga porte-parole du
mouvement gabonais “ Ca
suffit comme ça ! ”, président
du ROLBG et coordinateur
adjoint de PCQVP Gabon [1].
Billets d’Afrique (BDA) : Rappelez-
nous les dernières mobilisations du
mouvement Ça suffit comme ça ! ?
Georges Mpaga (GM) : Ça suffit comme
ça ! a décidé de profiter de la tenue du
New York Forum Africa à Libreville
début juin pour mener un certain nombre
d’actions, parmi lesquelles un contre-forum visant à mobiliser et sensibiliser la
communauté internationale, la presse et
les sommités invitées à cette réunion sur
le vrai visage du Gabon.
En effet, la vérité
de la gouvernance économique au Gabon
est très différente de la vitrine attrayante
présentée par le gouvernement gabonais
dans le but de séduire l’extérieur. En
réalité, le Gabon va mal : la corruption
généralisée entretenue par le système en
place depuis quarante-cinq ans gangrène
une économie nationale sous l’emprise de
l’oligarchie liée à la famille présidentielle [2].
Dans ce contexte, comment envisager un
« Gabon émergent » si l’environnement
économique est défavorable, délétère et
si les pratiques frauduleuses dans la haute
administration empêchent la compétitivité
des entreprises ?
Pendant que les femmes accouchent à
même le sol dans les hôpitaux de province
et même de Libreville, 7 milliards de
francs CFA (10 300 000 euros) ont été
dépensés pour le New York Forum par
le Gabon ! Quand tous les indicateurs
sociaux sont au rouge, il n’est pas
acceptable de dépenser autant pour séduire
la communauté internationale à coups de
spots de communication !
Les tensions sociopolitiques croissent
sans cesse. Actuellement, la nébuleuse
singapourienne OLAM et l’Etat gabonais
veulent chasser des populations de leurs
propriétés foncières ancestrales afin
d’accaparer leurs terres pour la production
d’huile de palme et l’hévéaculture, au
mépris de la législation gabonaise en la
matière. Cela représente jusque 385 000
hectares de forêt ou de terres agricoles
qui seront détruites.
Pour faire face à cet
imbroglio politico-mafieux, les populations se sont unies en collectifs. La brutalité
du pouvoir d’Ali Bongo a aussi atteint son
paroxysme en détruisant manu militari de
nombreuses habitations à Libreville jetant
à la rue de nombreux compatriotes fin
2011. Mais les populations dont Ali Bongo
détruit les maisons sont en train de se
soulever. C’est cette inquiétante situation
que vit le Gabon que nous avons voulu
montrer au monde. Malheureusement, le
gouvernement a usé de la violence pour
empêcher cette activité. (Ndlr : arrestation
de 43 personnes le 8 juin, veille du contre-
forum, qui a été annulé et à la place duquel
s’est tenue une conférence de presse).
BDA : La répression n’a-t-elle finalement
pas mis un coup de projecteur plus
important sur les mobilisations ?
GM : Tout à fait, en voulant museler
la société civile, le gouvernement s’est
trompé. Il s’en est vite rendu compte et
s’est donc empressé de les libérer. Le mal
était fait, le New York forum a été terni
par la répression et de nombreux délégués
ont dû renoncer à venir ; Muhammad
Yunus (ndlr : économiste bangladais,
fondateur de la première institution de
microcrédit, la Grameen Bank, ce qui lui
valut le prix Nobel de la Paix en 2006) a
même interpellé Ali Bongo sur la bonne
gouvernance et sur la corruption.
BDA : Quelles sont les revendications de
Ça Suffit comme ça ! ?
GM : Depuis notre déclaration commune
avec l’opposition du 18 juin 2011, nous
continuons à réclamer la réforme du
système électoral pour des élections
transparentes, fiables et honnêtes. Le
gouvernement a accepté d’introduire
la biométrie pour les élections de 2013
mais la démarche n’est pas transparente,
elle est entourée de corruption et se fait
sans association de l’opposition ni de la
société civile. Un marché de gré à gré de
20 milliards de Franc CFA a été signé
avec la société française Gemalto, pour
500 000 à 600 000 inscrits.
En comparaison, la mise en place de la
biométrie a coûté au Cameroun voisin 7,5
milliards de francs CFA pour 12 millions
d’inscrits. Nous sommes mobilisés pour
dénoncer les conditions d’attribution de ce
marché et demandons une contre-expertise
et le respect des règles de transparence
et d’équité. Nous voulons porter ce
problème devant les autorités françaises
car nous considérons qu’il y a connivence
entre cette société et l’Etat gabonais et
que cette affaire relève de la criminalité
financière. C’est une question cruciale : si
la biométrie est entachée d’irrégularités,
cela affectera tout le processus. Or nous
avons besoin d’élections fiables pour
amorcer la démocratisation.
Nous proposons aussi d’autres réformes
institutionnelles [3] et faisons le constat
qu’il n’y a plus de contre-pouvoir, qu’il
y a une monarchisation. De plus en plus,
les institutions sont vidées de leur contenu
constitutionnel et accaparées par Ali Bongo
et son parti, le PDG. Son clan contrôle
les finances, l’Assemblée nationale n’a
aucun pouvoir, Ali Bongo nomme tout
le monde et retire leurs prérogatives
aux ministères et crée en parallèle des
agences qui dépendent directement de lui.
Cette situation génère une guerre interne
entre lui et le président de l’Assemblée
nationale ainsi que certains membres du
parti. Sans parler de la société en général :
il y a des manifestations dans tout le pays,
un climat très mauvais et un président qui
ferme les yeux !
BDA : Quelle est votre position sur l’affaire
des Biens Mal Acquis et le financement
occulte des partis politiques ?
GM : Nous exigeons que le dossier des
BMA aille à son terme sans interférence.
La justice française doit s’appliquer en
toute indépendance rigoureusement aux
personnes morales et physiques citées
dans ce dossier y compris les complicités
françaises.
Avec François Hollande nous espérons
donc un changement profond de la politique
française concernant tout particulièrement
ce dossier car cet argent détourné est
à l’origine du sous-développement du
Gabon et de la paupérisation généralisée
de sa population.
S’agissant
des
relations
occultes
entretenues depuis près de 50 ans par la
France et le Gabon, il faut que François
Hollande démontre par des actes concrets
son engagement à mettre fin à ce système de
réseautage opaque fondé sur des pratiques
antidémocratiques.
Nous
militons
pour une modernisation des relations
entre la France et le Gabon, enracinée
sur un partenariat stratégique fort et
mutuellement avantageux, qui devrait
intégrer les obligations démocratiques du
Gabon. Il faut rappeler qu’en décembre
2011 [4], le PDG avait insulté le PS car
celui-ci avait condamné les conditions de
tenue des élections législatives de 2011,
tout comme il avait précédemment
condamné l’issue de la présidentielle
anticipée d’août 2009 qui a vu l’élection
contestée d’Ali.
BDA : Comment percevez-vous l’arrivée
de François Hollande et la visite d’Etat
en France qu’effectuera Ali Bongo le
5 juillet ?
GM : Nous avons salué le discours de
François Hollande, anti-dictature et axé
sur la bonne gouvernance. Nous l’avons
interpellé sur la nécessité d’appliquer cette
vision politique, et nous allons continuer
à le faire. Cela passe par l’opposition au
type de gestion par Ali Bongo du Gabon,
par le soutien à la démocratie et à la société
civile et par l’arrêt de toutes les pratiques
et connivences liées à la Françafrique.
La rencontre de début juillet entre Ali
Bongo et François Hollande doit être
une rencontre de rupture, de vérité où
Hollande doit être clair avec Ali Bongo,
lui montrer sa distance par rapport à son
régime.
Les Gabonais ont besoin de changement,
ils ne veulent plus des Bongo. La
déliquescence sociale dure depuis 45
ans. Le Gabon est l’un des pays les
moins avancés de l’Afrique malgré
ses immenses ressources naturelles.
Nous avons besoin que la communauté
internationale –dont la nouvelle France - soutienne la démocratie et la société
civile. Nous jugerons à ses actes la
crédibilité de François Hollande.
Propos recueillis par Juliette Poirson
[1] Réseau des Organisations Libres de la Société Civile pour la Bonne Gouvernance au Gabon / Publiez ce que vous Payez
[2] Ainsi les marchés publics sont accordés
de façon préférentielle et opaque aux
entrepreneurs proches du clan présidentiel.
C’est ainsi que Socoba, Entraco, Mika service
monopolisent toute l’activité du BTP sans
appels d’offres
[3] Parmi les principales réformes demandées
: réforme du Conseil économique et social,
de la Cour constitutionnelle, de l’Assemblée
Nationale, du Senat, du Conseil National de
la Communication, réduction du mandat du
Président de la République de 7 ans à 5 ans
renouvelable une fois etc. Rapport ROLBG
2011
[4] au terme de ces législatives, le parti d’Ali
Bongo le PDG a obtenu 116 députés et 2 élus
issus des partis alliés au PDG sur un total de
120 sièges alors même qu’un peu plus de 90%
des gabonais avait boycotté ces élections.