Survie

“Il faut qu’Areva paie la facture !”

rédigé le 4 décembre 2012 (mis en ligne le 4 février 2013) - Juliette Poirson, Ramatou Solli

Enseignante, Ramatou Solli
est coordinatrice du GREN,
Groupe de réflexion et
d’action sur les industries
extractives au Niger, fondé
en 2006 par dix organisations
de la société civile
nigérienne. De passage en
France, elle témoigne....

Billets d’Afrique : comment est né le
GREN ?

Ramatou Solli : Nous voulions
« mettre notre nez » dans ce qui se passe sur
les industries extractives. De 1968 – début
de l’extraction de l’uranium – à l’an 2000
où l’association Aghir in man a commencé
ses activités à Arlit, aucune organisation
ne s’occupait de ces questions. En 2006,
deux autres organisations se sont mises en
place au niveau national, le GREN donc
qui traite des conditions d’exploitation
(de l’uranium mais aussi du pétrole ou
de l’or), et le ROTAB qui se concentre
sur l’analyse budgétaire.

Nous essayons
de mettre en place des coordinations
régionales. Nous formons les populations
et organisons des séances de sensibilisation
pour expliquer que les personnes sont
confrontées à un danger silencieux lié à
l’exploitation de l’uranium. Au GREN,
nous travaillons surtout sur les impacts
socio-environnementaux, qui sont de trois
ordres : la radioactivité et les montagnes
de stériles, l’eau et la santé des travailleurs
et des populations.

Quels sont les enjeux liés à l’eau ?

Les mines d’arlit exploitées par Areva se
trouvent dans une région désertique, où les
eaux de surface sont très rares. La Cominak
et la Somaïr [les sociétés minières]
prélèvent dans la nappe fossile. Areva, qui
a toujours tendance à tourner les choses en
sa faveur, reconnaît elle-même avoir pompé
dans le sous-sol de la région d’Agadez
270 milliards de litres d’eau de 1968 à
2009.

Le risque c’est que d’ici 30 à 40 ans,
il n’y ait plus une goutte d’eau dans le sous-sol. De plus, l’accès à l’eau potable est une
préoccupation majeure et constante : les
populations de la région n’y ont pas accès
et les habitants d’Arlit ont accès à une eau
potable que nous soupçonnons fortement
d’être contaminée. Il faut savoir qu’Areva
pompe presque gratuitement l’eau. Nous
souhaitons l’installation d’un compteur
sur tous les forages d’Areva pour pouvoir
évaluer la quantité d’eau annuelle utilisée.

En plus de régler sa facture d’eau, Areva
doit prendre les dispositions pour que la
population puisse s’approvisionner en eau
potable.

Comment Areva a-t-elle réagi à la campagne du GREN ?

La première réaction a été de dire que
nous ne savions pas ce que nous faisions,
qu’Areva était une grande entreprise qui
fait très bien son travail, qui paie des
redevance superficielles à l’Etat et donc
qu’elle ne devait rien. Actuellement, nous
sommes en train de vérifier s’il y a dans
les contrats miniers une disposition qui
dispense Areva de payer l’eau. Pour ma
part, j’ai presque mangé le contrat mais
je n’ai pas vu un seul article qui parle de
l’eau. S’il n’y a rien dessus, cela veut dire
qu’Areva doit payer. Il n’y a pas non plus
une seule disposition dans le code minier
qui exonère de payer l’eau.

Les autorités sont-elles en alerte sur
le tarissement probable des nappes
fossiles ?

Il y a eu plusieurs manifestations pour la
cause de l’eau à Arlit mais je n’ai pas vu
une seule autorité locale ou nationale.
Areva n’a fait aucune déclaration.
La signature du contrat d’Imouraren
montre que l’on a plutôt envie de
continuer à piller et à gaspiller cette eau
précieuse : 10 millions de m3 d’eau vont y
être pompés par an.

Quel est l’impact de l’exploitation
uranifère sur la santé des travailleurs et
des populations ?

Pendant 18 ans, les travailleurs embauchés
dans les mines n’ont pas été informés
que l’uranium était radioactif. Selon les
témoignages c’est seulement à partir de
1986 que l’on a commencé à leur dire que
c’était dangereux. Plus largement, d’après
les experts, les conséquences sur la santé
peuvent se déclarer quinze ans après
l’exposition. Alors que les populations
d’Arlit sont là depuis au moins 40 ans, ce
serait malhonnête de dire qu’elles ne sont
pas confrontées à la radioactivité.

En 2010 sous la pression de Sherpa et
de Médecins du Monde et peut-être pour
éviter un procès dans lequel elle avait
beaucoup à perdre, Areva a préféré mettre
en place une stratégie qui sonne comme une
reconnaissance tacite des conséquences de
la radioactivité : les observatoires de la
santé au Gabon et au Niger [1].

Curieusement ces observatoires concernent
uniquement les anciens travailleurs alors que
les mines de Cominak et Somaïr sont toujouts
en activité et que la mine géante d’Imouraren
n’est pas encore en exploitation. Ce n’est
pas tout : dans le cadre de l’observatoire, le
travailleur souffrant d’une maladie pouvant
être liée à l’uranium doit prouver que celle-
ci découle de son activité !

Une chose est sûre : beaucoup de personnes
sont malades. Sur place, il n’y a pas de volonté
d’enquêter sur les liens de cause à effet. Et
le tableau désuet auquel les observatoires de
santé se réfèrent pour l’indemnisation des
maladies professionnelles est très contesté.

Le ROTAB a donc décidé de ne les pas
intégrer , considérant que le processus était
biaisé dès le départ. Au GREN, nous avons
pensé qu’il était de notre responsabilité
de rester à l’assemblée générale de
l’Observatoire de santé de la région
d’Agadez (OSRA) pour voir de près ce qui
s’y passe, avoir des informations et avoir
un regard critique. Cela nous a permis de
constater que, depuis un an, on y fait plus
du folklore que de l’observation. Areva fait
surtout en sorte d’opposer les membres de
la société civile en faisant miroiter quelques
avantages matériels.

Comment le gouvernement perçoit votre
travail ?

On nous traite parfois de bandits, on nous voit
comme des opposants. Parfois, comme c’est
le cas actuellement, nos interventions sont
très appréciées car tout le monde a intérêt à
ce que les revenus des industries extractives
soient revalorisés. Par exemple, nous avons
monté un réseau des parlementaires pour la
transparence de l’industrie minière auprès
duquel le message passe ; la population
et les journalistes apprécient ce que nous
faisons et sont de plus en plus informés.

La constitution de 2010 intègre des
éléments sur l’exploitation des industries
extractives, qu’est ce que cela change
concrètement ?

La VIIe constitution du Niger stipule que
les ressources naturelles sont la propriété
du peuple nigérien ; les revenus issus
du secteur extractif doivent être alloués
en priorité aux secteurs de la santé, de
l’éducation et de l’agriculture ; les montants
versés à l’Etat par entreprise doivent être
présentés de façon désagrégée ; les contrats
doivent être publiés au Journal officiel.

C’est une vraie avancée, fruit de la lutte de
la société civile puisque des militants faisant
partie du conseil consultatif national [en
2010] se sont battus pour qu’elles y soient
intégrées. Mais il faut constater que le seul
changement à ce jour, c’est la publication
systématique des conventions signées avec
les entreprises au Journal officiel. Pour
les autres points, rien de tangible. Il faut
continuer à lutter pour que cela devienne
concret surtout en ce qui concerne la santé,
l’éducation et l’agriculture. Avec le ROTAB
et Alternatives, nous avons remarqué que
malgré les dispositions de la constitution
et les discours du Président Issoufou et de
son Premier ministre, qui prétendaient que
l’éducation allait être financée à hauteur
de 25% du budget national, ce sont en fait
14.5% qui sont alloués à ce secteur clé – et
si l’on regarde de près, c’est 10% qui restent
au niveau des ministères !

En 2012, le prix d’achat de l’uranium par
Areva a été revalorisé. Récemment, le
Président nigérien a haussé le ton après
l’annonce d’un report de l’ouverture de la
mine d’Imouraren. Comment interprétez-
vous cela ?

Le budget du Niger est passé brusquement
de 600 milliards de Francs CFA
(917 millions d’euros) à 1 200 milliards
(1,832 millions d’euros). Le gouvernement
compte beaucoup sur les revenus à venir
de l’exploitation de la mine d’Imouraren
d’où la mauvaise humeur. Il demande donc
la revalorisation du prix de l’uranium. En
novembre, à l’occasion d’un Conseil des
ministres, les autorités ont déclaré que les
industries extractives ne contribuent qu’à
5.6% du budget du Niger mais cela n’a pas
été suivi d’une stratégie, de propositions
concrètes pour mieux tirer profit de cette
industrie. Tout récemment, le président a
contracté une nouvelle dette pour financer
le Plan de développement économique
et social 2012-2015 [qu’il était venu
présenter aux bailleurs mi-novembre
à Paris !] au lieu d’avoir une stratégie
permettant de trouver des moyens de
boucler le budget sans nous endetter.

Les Nigériens avaient de grands espoirs
avec un président ingénieur des mines. Ils
disaient : voilà quelqu’un qui s’y connaît
mieux que Tandja (son prédécesseur),
bien rôdé à la tâche, qui va faire en sorte
que le Niger bénéficie pleinement de ses
ressources. A vrai dire nous sommes très
déçus, nous avons plutôt l’impression
que le Niger cherche des solutions à
court terme.

Propos recueillis par Juliette Poirson

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 219 - décembre 2012
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