Survie

Une croissance sans développement

rédigé le 4 décembre 2012 (mis en ligne le 11 décembre 2012) - Odile Tobner

Industrialisation égale développement égale progrès social : c’est l’équation, qui sert à distinguer les pays dont la population accède en majorité au bien-être matériel, de ceux dont la population est majoritairement démunie. C’est cette conception du développement, non seulement contestable sur le plan philosophique, mais de plus en plus contestée sur le plan politique, que l’Occident a imposée au monde.

L’Asie s’est approprié ce mode de développement, et son industrialisation, entreprise avec ses propres ressources financières, constitue désormais une menace pour le niveau de vie de l’Occident.

Le joug colonial puis néocolonial interdit à l’Afrique de suivre ce chemin. Les seules activités tolérées en Afrique par les compagnies coloniales, puis par les multinationales qui en sont les héritières sont l’extraction, la culture et l’évacuation des matières premières minières ou agricoles. Les dictatures locales ne se contentent pas de protéger les exploitants étrangers ; elles briment par les tracasseries et le racket toute petite entreprise du cru et dépouillent les épargnants locaux. En revanche, les capitaux étrangers tirent des bénéfices considérables de l’appauvrissement des sols et des sous-sols africains.

Un documentaire diffusé sur Arte illustre ce mécanisme. « L’Afrique, le cuivre et les vautours » [1]expose comment la Zambie a été dépossédée de ses mines de cuivre, sur injonction du FMI au prétexte d’acquitter sa dette. La multinationale Glencore a acquis ces mines pour une bouchée de pain et les exploite pratiquement en franchise d’impôts. L’armada d’avocats et de comptables de Glencore a en effet mis en place une cascade de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux, qui réalisent les bénéfices tirés de la commercialisation du cuivre. C’est ainsi que les sociétés étrangères confisquent les matières premières africaines, pendant que les populations sont frappées par une misère endémique et un chômage massif.

Si le groupe Bolloré se flatte d’employer sept mille personnes au Cameroun, dont il détient toute la logistique portuaire et ferroviaire, ce chiffre est à comparer aux vingt mille vendeurs à la sauvette qui se disputent les places au seul marché Mokolo de Yaoundé.

Cette économie de pillage est en peine expansion. Les bons apôtres osent désormais l’encenser sous le nom de croissance, tel Hollande à Dakar. (L’Afrique) « est aussi une terre d’avenir pour l’économie mondiale. Sa croissance, ces dix dernières années, a été supérieure à celle de beaucoup d’autres régions émergentes. »

Le président de la Banque africaine de développement tempère cet enthousiasme en signalant que la croissance en Afrique ne génère ni emplois ni richesse comme elle le devrait. Il en rend responsable la seule kleptocratie locale, qui confisquerait les profits de la croissance, sans évoquer les mécanismes sophistiqués par lesquels les multinationales s’approprient tous les bénéfices de l’exploitation. Selon Joseph Tchoundjang Pouemi [2] seule une économie fondée prioritairement sur les entreprises et les financements locaux peut produire du développement.

Il rappelle que la Corée, pour fonder son industrie, accordait jusqu’à 20 % d’intérêts à ses petits épargnants.

Un discours sur le développement qui ne rend pas compte de la réalité économique n’est qu’une mystification langagière à l’usage de ces nouveaux charlatans que sont les communicants de la publicité et de la politique. « L’histoire retiendra, disait Tchoundjang, que l’Africain de 1980 [ et de 2012 ?] est encore, au mieux, étranger chez lui ».

[1L’Afrique, le cuivre et les vautours documentaire de Christoffer Guldbrandsen (Danemark 2012)

[2Joseph Tchoundjang Pouemi : Monnaie, servitude et liberté, la répression monétaire de l’Afrique, 1981

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 219 - décembre 2012
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