Survie

Guerre au terrorisme : une opportunité pour une tutelle française et européenne renforcée

rédigé le 9 février 2013 (mis en ligne le 5 mars 2013) - Gérard Moreau

Au moment où les opérations militaires laissent la place à la réflexion sur l’avenir, le jeu des intérêts se manifeste clairement. L’opération Serval est la partie visible d’une politique régionale solidement élaborée.

« Je considère qu’il faut faire beaucoup plus au niveau européen que ce qui est fait en ce moment.... Il faut bien voir ce qui est en jeu, ce qui est en jeu c’est l’avenir du Mali, mais c’est l’avenir de l’Afrique toute entière, et c’est l’avenir de l’Europe »

(France Culture, 27 janvier).

Ce point de vue, largement partagé dans la classe politique française, est celui de l’ancien patron du PCF, aujourd’hui chef du MUP (Mouvement unitaire progressiste), Robert Hue par ailleurs sénateur et vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées.

Dans leur livre de prospective Chindiafrique, Boillot et Dembiski analysent les grands équilibres du monde en 2030, « la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain ». Quelle sera alors la place de l’Europe ? Et ils posent la question : « Les Européens vont-ils relever le défi africain à l’heure des grandes migrations de leur voisin immédiat ? »

Quant au monde des affaires, le sentiment d’urgence s’exprime au grand jour : « Quelles qu’elles soient, elles [les entreprises] doivent se presser pendant que les Chinois construisent des routes à péages, les Libanais installent des supermarchés et les Qataris ou les Saoudiens bâtissent de grands hôtels. » Pour la journaliste des Echos (17 janvier) il n’y a pas de temps à perdre ! Jusqu’à présent, les voix chinoises se sont faites plutôt discrètes, mais il ne faudrait pas s’imaginer que les enjeux de concurrence ne seraient pas perçu du côté chinois : le 18 janvier, He Wenping, directrice des Etudes africaines à l’académie chinoise des Sciences sociales (CASS), a publié dans le quotidien chinois Global Times un article intitulé « Il faut se méfier de la légitimation du nouvel interventionnisme, en Afrique », dans lequel elle met en lumière des risques liés à l’intervention française, dont le principal porte sur la légitimation de l’ingérence extérieure.

Il apparaît donc bien clairement que derrière la justification « anti-terroriste » de l’intervention française c’est la mise en œuvre d’un projet politique global.

Militaires français et maliens posant devant l’entrée de la ville de Diabaly

D’une part, et contrairement à ce qui a été affirmé par le président français, il y a bien, dès maintenant, des intérêts économiques au Mali [1], mais si l’on se place dans une perspective prospective, comme le dit Robert Hue, c’est l’intérêt futur de l’Europe qui se joue, dans un pays - le Mali - aux très forts potentiels, et, que la géographie a placé comme clé de voûte de tout l’ouest du Sahel. Pour garder sa place dans le grand jeu de la concurrence économique, la France, dont le tissu industriel est mal en point, reprend, pour le revivifier, sa forte tradition interventionniste : mainmise, logique de tutelle, encadrement, non seulement ingérence, mais encadrement politique - par la force militaire si besoin .

Tout se passe comme si l’indépendance du Mal – pourtant toute relative – avait volé en éclat. Avec l’intervention française on voit s’afficher sans vergogne la tutelle directe. Militaires, politiques, experts, journalistes tout le monde en France sait ce qui est bon pour le Mali et ce qu’il doit faire. Une tutelle de chaque instant, encadrée de toutes parts. Et les Maliens n’ont qu’à appliquer.

« Une mission autant politique que militaire »

D’abord celle du général Lecointre, commandant de la mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali) :

« La guerre n’est pas finie. Il y a un réel besoin sur le long terme. La mission européenne a un objectif, en réalité, au moins autant politique que militaire [2].

Il est de reconstruire l’armée malienne pour restaurer l’intégrité territoriale de l’Etat malien, et de construire une armée respectueuse de la démocratie et de l’Etat de droit... Il faut donc considérer les choses sur le temps long, au moins le temps moyen, et non sur le court terme »

(Blog Bruxelles2, 26 janvier).

Le 16 janvier, l’ambassadeur de France à Bamako, Christian Rouyer, évoquant le décret d’état d’urgence promulgué par le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, explique de façon décomplexée qu’il attend que l’ordre règne à Bamako comme s’il était ministre de l’Intérieur :

« On ne pouvait pas se réveiller un jour sans savoir quelles manifestations allaient entraver la vie publique. L’activité économique était au ralenti et des gens brûlaient des pneus sur les routes. Il y avait d’autres qui criaient des slogans contre le Président ou le Premier ministre (...) L’Etat d’urgence était nécessaire.

L’heure n’est plus aux chicanes ni aux discussions vaines. L’heure est à l’unité. La nation est en danger, le pays doit s’unir contre un adversaire commun ».

Après les militaires et les diplomates, une véritable armada de spécialistes s’active pour infantiliser encore plus les responsables maliens. Gilles Holder, anthropologue, spécialiste du Mali brille par sa franchise : « L’intervention nous donne des responsabilités énormes et coûteuses car le Mali n’a pas les ressources pour se reconstruire. Il doit être pensé par ceux qui y ont intérêt. C’est triste mais c’est ainsi. Ce pays devra être accompagné financièrement. Pourquoi la France, qui n’y a guère d’intérêt économique, ne serait-elle pas légitime à le faire ? Au lieu d’invoquer l’histoire commune passée, imaginons le futur ! » (Le Monde, 28 janvier).

La France a d’ailleurs appelé Bamako à « engager sans plus attendre des discussions avec les représentants légitimes des populations du Nord (élus locaux, société civile) et les groupes armés non terroristes reconnaissant l’intégrité du Mali » (AFP, 30 janvier).

Une forme d’autonomie interne

Pierre Boilley, historien spécialiste du monde touareg, a beau développer des analyses fines et critiques des faits et des groupes, cela ne l’empêche pas de quitter l’objectivité scientifique pour jouer les conseillers politiques : « (...) Je crois qu’il serait maintenant intéressant et fondamentalement utile d’accorder ce qui avait été a minima mis en place dans le pacte [des années 90] c’est-à- dire une forme d’autonomie interne qui permette donc un développement plus accéléré, une prise en main beaucoup plus importante et approfondie des populations du nord et une garantie surtout que l’armée malienne ne viendra pas comme une armée conquérante dans la région avec son lot, hélas, qu’on a pu voir, d’exactions et d’humiliations en 90. (...) ». (France Culture, 31 janvier)

S’il est impératif de prévenir les actes de vengeance, le refus fait à l’armée malienne de pénétrer sur une partie du territoire est une ingérence flagrante.

Et que s’est-il passé quand le président Dioncounda Traoré a présenté sa feuille de route au vote de l’Assemblée nationale du Mali – elle-même prolongée au delà de son mandat ? De fortes réserves ont été émises : « Au sujet de la négociation avec “les groupes armés qui ne remettent pas en cause l’intégrité territoriale et la constitution”, il y a eu un tollé général des députés, selon lesquels il n’y a pas de négociation possible avec le MNLA. » (Koaci, 29 janvier). Les députés voient bien la manœuvre plus que classique : application du principe « diviser pour régner  ».

Pour finir, il a bien fallu voter - comment faire autrement ? - et la feuille de route a été adoptée à l’unanimité ! Réaction de satisfaction à Paris : « Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a salué l’adoption par le Parlement malien mardi d’une « feuille de route » politique pour l’après-guerre. Ce document prévoit une discussion avec certains groupes armés dans le cadre de la « réconciliation nationale » et le président Dioncounda Traoré a déclaré espérer des élections avant le 31 juillet »

Si pour les Maliens toute expression de résistance à cette tutelle est encore délicate, elle se manifeste clairement au Burkina Faso. Chrisogone Zougmoré du Mouvement burkinabè des Droits de l’homme et des peuples (MBDHP) s’indignait :

« De l’intervention de l’armée française, je voudrais d’abord m’inquiéter de la manière dont elle s’opère et surtout de ses conséquences sur la situation au Burkina ainsi que dans les autres pays voisins du Mali. Chose curieuse en effet, c’est par la voix du ministre français de la Défense, sur RFI, que nous avons appris que, dans le cadre de l’opération Serval, la France disposerait d’unités et de matériels militaires déployés au Burkina Faso. Et il l’a annoncé sans sourciller et de la manière la plus naturelle qui soit. C’est inadmissible ! Qui a donc donné l’autorisation à la France, à l’insu des Burkinabè, de déployer ces unités et ce matériel sur notre sol d’Etat indépendant ? Est-il certain qu’elles repartiront une fois l’opération Serval terminée ou les maintiendra-t-on chez nous pour autre chose ? Et lorsqu’on parle d’attitude de type néocolonialiste, certains osent encore s’offusquer »,

(Lefaso.net, 28 janvier).

Une France philantropique ?

Faut-il rappeler qu’à l’origine de la crise d’aujourd’hui se trouve l’affaiblissement complet du Mali et de ses institutions, pourtant déjà fortement encadré et aidé par quantité d’organismes extérieurs. Non seulement les grandes puissances, la France en tête, vont maintenir cet état de fait, mais elle profitera des opportunités ouvertes par l’intervention armée.

L’expérience a montré que les autorités françaises font rarement preuve de philantropie sur le continent. Il est aussi à craindre que, se servant de l’image de libératrice gagnée à coups de canon, la France pourrait aller encore plus loin dans sa mainmise, lâchant quelques miettes à ses bons alliés. Ne faudrait-il pas plutôt respecter la souveraineté du Mali, desserrer l’étau militaire, diplomatique, économique, intellectuel qui a affaibli le pays ? Remettre à plat les codes miniers et fonciers, les modalités de toutes les aides, tirer un trait sur les dettes illégitimes, restaurer le bien public, pour ne pas reprendre tous les outils qui ont conduit le Mali à la déconfiture ?

Le vrai tournant historique serait là.

[1Les références sont nombreuses, voici deux exemples : pour le sol, www.oaklandinstitute.org Pour le sous-sol : www.mining-mali.com

[2souligné par nous

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 221 - février 2013
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