Si certains journalistes français n’ont pas craint de qualifier de « franco- malienne » l’offensive qui a rapidement repoussé les djihadistes vers le Nord, il leur a fallu chercher d’autres qualificatifs à partir de la prise de Kidal.
En effet, « une semaine après [la prise de Kidal], et ce malgré la volonté affichée à Paris de restaurer au plus vite la “souveraineté malienne” sur l’ensemble du territoire, aucune autorité légale n’est retournée sur place. Les militaires français ont pris soin de n’associer aucun Malien à leur opération. C’est avec l’aide de l’armée tchadienne qu’ils tentent de sécuriser les lieux », résume Le Nouvel Observateur, 12 février.
C’est peut dire que cette décision a jeté le trouble chez les autorités politiques et militaires maliennes qui n’étaient « “même pas au courant” de l’initiative française, “en tout cas pas au niveau de l’état-major”. (...) Du côté de la présidence, l’un des plus proches collaborateurs du président de transition Dioncounda Traoré affirme également ne “pas être au courant”, n’avoir “aucune information” et même “être inquiet des réactions sur les réseaux sociaux” ». (Lefigaro.fr, 30 janvier).
La côte de popularité du MNLA, accusé d’avoir ouvert la porte aux groupes djihadistes au Nord du pays, n’est en effet pas à son plus haut niveau au sud du Mali... où des mandats ont été délivrés par la justice malienne à l’encontre des dirigeants du MNLA et d’Ansar Eddine.
Officieusement, cette décision d’écarter l’armée malienne a été justifiée par la volonté « d’éviter des affrontements entre les milices touaregs qui tiennent désormais la ville et les soldats de l’armée malienne » (Ibid), et de ne pas exposer les populations civiles touarègues au risque – réel – de vengeance aveugle de la part des militaires maliens : « “Il y a une haine anti-touareg farouche au Sud. C’est la raison pour laquelle on ne souhaitait pas que les soldats maliens se jettent sur Kidal pour commettre encore plus d’exactions », confie un diplomate.” » (tempsreel.nouvelobs. com, 12 février)
Mais à ce compte-là, il aurait également fallu les tenir écartés de Gao et de toute la boucle du Niger, tant les exactions se sont multipliées dans le sillage de la progression française. Jusqu’au 23 janvier, l’armée française était sourde et aveugle. Répondant aux interpellations de la FIDH, concernant les exécutions sommaires et enlèvements, perpétrés par des éléments de l’armée malienne dans les villes de Sévaré, Niono, Diabali, Gnimi Gnama et Mopti, le porte-parole de l’Etat-major n’avait « aucune indication qui permette de confirmer ces informations ». Il affirmait même : « Si on était témoin de telles actions, on interviendrait pour faire les faire cesser » (20minutes.fr, 23 janvier).
Sur une ligne plus prudente, le ministre de la Défense français mettait en garde l’armée malienne, avertissant qu’« il ne saurait être question pour nous de cautionner des actes que nous reprochons aux terroristes » (lemonde.fr, 24 janvier). Avertissement manifestement resté sans écho côté malien, et sans conséquence côté français puisque ce n’est qu’un mois plus tard, suite à la diffusion d’images par « certains médias internationaux » qu’un communicant de l’armée malienne a annoncé le retrait du front de certains éléments qui avaient « manqué de tact » (AFP, 26 janvier)
En fait, l’armée française ne fait visiblement que poursuivre la mise en œuvre d’un plan préétabli, préparé par les agents de la DGSE. Côté français, comme à la direction du MNLA, on dément l’existence d’un accord secret.
On ne saurait parler de mensonge tant l’accord est visible et peut difficilement être qualifié de secret. Il s’agit d’utiliser le savoir faire du MNLA dans l’Adrar des Ifoghas, pour traquer les mouvements qui s’y sont réfugiés. On compte également sur leur aide pour retrouver les otages français. En échange, l’armée malienne est tenue à l’écart de la zone. La classe politique malienne, à qui la France a imposé de négocier avec le MNLA, s’inquiète aussi des autres contreparties qui ont été promises à ce mouvement par les Français... et qui transparaissent dans diverses réactions françaises concernant l’avenir politique de la région.
Les inquiétudes sont d’autant plus vives que les contacts de la France ne se sont pas arrêtés au MNLA : le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), composé de transfuges d’Ansar Dine, a également été approché par les militaires français. (Lefigaro.fr, 30 janvier) « Tout laisse penser que le MIA était prévenu de leur arrivée à Kidal, le 30 janvier, et qu’il a laissé faire. » « À Kidal, nous sommes dans une situation particulière et nous faisons en sorte d’avoir des relations de bonne intelligence avec les Touaregs », avoue le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Logique. Pour les troupes françaises, les membres du MIA peuvent être des informateurs précieux sur leurs frères d’Ansar Eddine. ” (Jeuneafrique.com, 11 février).
Les journalistes ont également été tenus à l’écart de la zone, mais certaines informations ont néanmoins transpiré : « Dupes ou pas, les militaires français ont rencontré à plusieurs reprises des responsables du MIA et du MNLA à Kidal. (...) La réunion était à huis clos mais chez les Touaregs, tout se sait ». Le sujet ? « ça discutait collaboration pour la libération des otages français » . » (tempsreel.nouvelobs.com, 12 février) La France a finalement officialisé son soutien aux Touaregs du MNLA, qui ont d’ailleurs officiellement « fait allégeance à la France. » (francetvinfo. fr, 20 janvier)
Le porte-parole de l’état- major de l’armée française va même plus loin, affirmant que l’armée française avait décidé de « se coordonner » avec « les groupes qui ont les mêmes objectifs » que Paris (lepoint.fr, 21 février). Echange de bons procédés, ce soutien s’est par exemple traduit par des tirs de l’aviation française contre le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), un mouvement concurrent du MNLA (Rfi.fr, 24 janvier). Cela ne signifie pas pour autant, bien entendu, que ce dernier soit à l’abri d’un retournement d’alliance, si la France ne le juge plus utile à la défense de ses intérêts...
Une opération planifiée de longue date
On a déjà rapporté comment les forces spéciales françaises du COS n’ont pas attendu l’entrée en guerre officielle de la France pour être présente au Mali et dans les pays voisins dans le cadre d’une opération secrète baptisée « Sabre ». Billets d’Afrique le révélait déjà en juin 2012. Le Canard Enchaîné apporte quelques précisions sur les préparatifs français. Ainsi une note militaire classée « confidentiel défense » qui, dès le 31 octobre, recensait, à destination du chef de l’Etat, les moyens militaires aériens nécessaires pour « un soutien direct de l’action de reconquête » (23 janvier). Les avions de surveillance français étaient déjà en activité dans le ciel malien bien avant le déclenchement de l’opération (16 février). Quant au « QG « tactique » attribué à l’armée malienne » sur l’aéroport de Sévaré, et menacé par l’offensive des salafistes sur la ville de Konna qui a précédé le déclenchement de l’opération Serval, il était déjà « contrôlé en fait par les forces françaises » du COS (16 janvier).
Le 8 et le 9 janvier au matin, les habitants de Konna signalent le survol incessant d’avions alors que les djihadistes étaient aux portes de la ville. Dès le 9 janvier au soir, quelques heures seulement après sa prise, Konna a été reprise par ces forces spéciales suivies des supplétifs maliens. C’est sans doute lors de cette contre-offensive que le pilote d’hélicoptère français a été tué alors que les djihadistes avaient capturé des chars anti-aériens abandonnés par l’armée malienne. Au même moment, sans avoir attendu l’appel au secours de Dioncounda Traoré, le 10 janvier, « des troupes d’élite françaises acheminées par avion C-160 et appuyées par des hélicoptères en provenance des forces spéciales stationnées notamment au Burkina et au Tchad. » débarquaient à Sévaré. (Jeuneafrique.com, 14 janvier).