Survie

Opération Serval : d’une force supplétive à l’autre

rédigé le 5 mars 2013 (mis en ligne le 2 mai 2013) - Raphaël Granvaud

Si certains journalistes
français n’ont pas craint
de qualifier de « franco-
malienne » l’offensive qui a
rapidement repoussé les
djihadistes vers le Nord,
il leur a fallu chercher
d’autres qualificatifs à partir
de la prise de Kidal.

En effet, « une semaine après [la
prise de Kidal], et ce malgré
la volonté affichée à Paris de
restaurer au plus vite la “souveraineté
malienne
” sur l’ensemble du territoire,
aucune autorité légale n’est retournée
sur place. Les militaires français ont
pris soin de n’associer aucun Malien
à leur opération. C’est avec l’aide de
l’armée tchadienne qu’ils tentent de
sécuriser les lieux
 », résume Le Nouvel Observateur, 12 février.

C’est peut dire que cette décision a jeté
le trouble chez les autorités politiques
et militaires maliennes qui n’étaient
« “même pas au courant” de l’initiative
française, “en tout cas pas au niveau
de l’état-major”. (...) Du côté de la
présidence, l’un des plus proches
collaborateurs du président de transition
Dioncounda Traoré affirme également
ne “pas être au courant”, n’avoir “aucune
information” et même “être inquiet des
réactions sur les réseaux sociaux”
 ».
(Lefigaro.fr, 30 janvier).

La côte de
popularité du MNLA, accusé d’avoir
ouvert la porte aux groupes djihadistes
au Nord du pays, n’est en effet pas à son
plus haut niveau au sud du Mali... où des
mandats ont été délivrés par la justice
malienne à l’encontre des dirigeants du
MNLA et d’Ansar Eddine.

Officieusement, cette décision d’écarter
l’armée malienne a été justifiée par la
volonté « d’éviter des affrontements
entre les milices touaregs qui tiennent
désormais la ville et les soldats de l’armée
malienne
 » (Ibid), et de ne pas exposer
les populations civiles touarègues au
risque – réel – de vengeance aveugle de la part des militaires maliens : « “Il
y a une haine anti-touareg farouche au
Sud. C’est la raison pour laquelle on ne
souhaitait pas que les soldats maliens
se jettent sur Kidal pour commettre
encore plus d’exactions », confie un
diplomate.”
 »
(tempsreel.nouvelobs.
com, 12 février)

Mais à ce compte-là, il aurait également
fallu les tenir écartés de Gao et de toute
la boucle du Niger, tant les exactions
se sont multipliées dans le sillage de
la progression française. Jusqu’au
23 janvier, l’armée française était sourde
et aveugle. Répondant aux interpellations
de la FIDH, concernant les exécutions
sommaires et enlèvements, perpétrés par
des éléments de l’armée malienne dans
les villes de Sévaré, Niono, Diabali,
Gnimi Gnama et Mopti, le porte-parole de l’Etat-major n’avait « aucune
indication qui permette de confirmer
ces informations
 ». Il affirmait même :
« Si on était témoin de telles actions,
on interviendrait pour faire les faire
cesser
 » (20minutes.fr, 23 janvier).

Sur une ligne plus prudente, le ministre de la
Défense français mettait en garde l’armée
malienne, avertissant qu’« il ne saurait
être question pour nous de cautionner
des actes que nous reprochons aux
terroristes
 » (lemonde.fr, 24 janvier).
Avertissement manifestement resté sans
écho côté malien, et sans conséquence
côté français puisque ce n’est qu’un mois
plus tard, suite à la diffusion d’images
par « certains médias internationaux »
qu’un communicant de l’armée malienne
a annoncé le retrait du front de certains
éléments qui avaient « manqué de tact »
(AFP, 26 janvier)

L’accord – à peine – secret avec le MNLA

En fait, l’armée française ne fait
visiblement que poursuivre la mise en
œuvre d’un plan préétabli, préparé par
les agents de la DGSE
. Côté français,
comme à la direction du MNLA, on
dément l’existence d’un accord secret.

On ne saurait parler de mensonge tant
l’accord est visible et peut difficilement
être qualifié de secret. Il s’agit d’utiliser
le savoir faire du MNLA dans l’Adrar des
Ifoghas, pour traquer les mouvements qui
s’y sont réfugiés. On compte également
sur leur aide pour retrouver les otages
français. En échange, l’armée malienne
est tenue à l’écart de la zone. La classe
politique malienne, à qui la France a
imposé de négocier avec le MNLA,
s’inquiète aussi des autres contreparties
qui ont été promises à ce mouvement par
les Français... et qui transparaissent dans
diverses réactions françaises concernant
l’avenir politique de la région
.

Les inquiétudes sont d’autant plus vives
que les contacts de la France ne se sont
pas arrêtés au MNLA : le Mouvement
islamique de l’Azawad (MIA), composé
de transfuges d’Ansar Dine, a également
été approché par les militaires français.
(Lefigaro.fr, 30 janvier) « Tout laisse
penser que le MIA était prévenu de leur
arrivée à Kidal, le 30 janvier, et qu’il
a laissé faire.
 » « À Kidal, nous sommes
dans une situation particulière et nous
faisons en sorte d’avoir des relations de
bonne intelligence avec les Touaregs
 »,
avoue le ministre français de la Défense,
Jean-Yves Le Drian. Logique. Pour les
troupes françaises, les membres du MIA
peuvent être des informateurs précieux
sur leurs frères d’Ansar Eddine. ”
(Jeuneafrique.com, 11 février).

Les
journalistes ont également été tenus
à l’écart de la zone, mais certaines
informations ont néanmoins transpiré :
« Dupes ou pas, les militaires français
ont rencontré à plusieurs reprises des
responsables du MIA et du MNLA à
Kidal. (...) La réunion était à huis clos
mais chez les Touaregs, tout se sait
 ». Le
sujet ? « ça discutait collaboration pour
la libération des otages français »
. »
(tempsreel.nouvelobs.com, 12 février)
La France a finalement officialisé son
soutien aux Touaregs du MNLA, qui
ont d’ailleurs officiellement «  fait
allégeance à la France.
 » (francetvinfo.
fr, 20 janvier)

Le porte-parole de l’état-
major de l’armée française va même plus
loin, affirmant que l’armée française
avait décidé de « se coordonner »
avec « les groupes qui ont les mêmes
objectifs
 » que Paris (lepoint.fr, 21
février). Echange de bons procédés, ce
soutien s’est par exemple traduit par
des tirs de l’aviation française contre le
Mouvement arabe de l’Azawad (MAA),
un mouvement concurrent du MNLA
(Rfi.fr, 24 janvier). Cela ne signifie
pas pour autant, bien entendu, que ce
dernier soit à l’abri d’un retournement
d’alliance, si la France ne le juge plus
utile à la défense de ses intérêts...

Une opération planifiée de longue date

On a déjà rapporté comment les forces spéciales françaises du COS n’ont
pas attendu l’entrée en guerre officielle de la France pour être présente au
Mali et dans les pays voisins dans le cadre d’une opération secrète baptisée
« Sabre ». Billets d’Afrique le révélait déjà en juin 2012. Le Canard Enchaîné
apporte quelques précisions sur les préparatifs français. Ainsi une note
militaire classée « confidentiel défense » qui, dès le 31 octobre, recensait, à
destination du chef de l’Etat, les moyens militaires aériens nécessaires pour
« un soutien direct de l’action de reconquête » (23 janvier). Les avions de
surveillance français étaient déjà en activité dans le ciel malien bien avant le
déclenchement de l’opération (16 février). Quant au « QG « tactique » attribué
à l’armée malienne
 » sur l’aéroport de Sévaré, et menacé par l’offensive des
salafistes sur la ville de Konna qui a précédé le déclenchement de l’opération
Serval, il était déjà « contrôlé en fait par les forces françaises » du COS (16
janvier).

Le 8 et le 9 janvier au matin, les habitants de Konna signalent le survol
incessant d’avions alors que les djihadistes étaient aux portes de la ville.
Dès le 9 janvier au soir, quelques heures seulement après sa prise, Konna
a été reprise par ces forces spéciales suivies des supplétifs maliens. C’est
sans doute lors de cette contre-offensive que le pilote d’hélicoptère français
a été tué alors que les djihadistes avaient capturé des chars anti-aériens
abandonnés par l’armée malienne. Au même moment, sans avoir attendu
l’appel au secours de Dioncounda Traoré, le 10 janvier, « des troupes d’élite
françaises acheminées par avion C-160 et appuyées par des hélicoptères en
provenance des forces spéciales stationnées notamment au Burkina et au
Tchad.
 » débarquaient à Sévaré. (Jeuneafrique.com, 14 janvier).

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 222 - mars 2013
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