Dans les pays développés, l’opinion publique commence à s’émouvoir de ce
que, au moment où la charge fiscale pèse de plus en plus lourdement sur les
épaules des contribuables, les plus grosses fortunes et surtout les grandes firmes
multinationales y échappent presque totalement.
Sous la pression, les dirigeants européens et américains font mine de découvrir
le phénomène ; tel Hollande énonçant une de ces fortes lapalissades dont il a le
secret au sommet européen du 22 mai : « Plutôt que d’augmenter les taxes, les
taux, les impôts, les prélèvements, mieux vaut aller chercher la matière imposable
où elle se cache ».
Les multinationales ne font pourtant que retourner contre les populations des
pays riches les armes fiscales que les États des pays développés leur ont fournies
depuis les années cinquante pour piller en toute légalité les ressources des pays
pauvres, tout particulièrement d’Afrique [1]. Ce sont en effet les États des pays les
plus riches qui, à travers notamment l’OCDE, club des pays industrialisés, ont créé
les normes fiscales internationales. Ils ont, via un réseau de conventions fiscales,
imposé au monde une fiscalité spécifique des entreprises internationales, et toléré,
voire encouragé l’existence de ces véritables « trous noirs » de la fiscalité que
sont les paradis fiscaux. Ce sont ces mécanismes qui permettent aujourd’hui à
des sociétés telles que Google, Apple ou Amazon de ne pratiquement pas payer
d’impôts dans les pays où ils réalisent leurs bénéfices.
Mais ces instruments ont pour fonction première de permettre aux firmes
multinationales d’exploiter les ressources des pays en développement, notamment
les ressources extractives, sans que jamais celles-ci puissent financer le
développement de ces pays. Le prix fort a été payé surtout par les pays africains,
très vulnérables parce que, dépourvus d’une économie nationale du fait de la
colonisation, ils dépendaient entièrement des capitaux étrangers. Forum Syd
a calculé que les quinze pays où les sorties illicites de capitaux sont les plus
élevées sont en Afrique. Ce sont l’Angola, l’Afrique du Sud, le Cameroun, la Côte
d’Ivoire, l’Ethiopie, le Gabon, le Ghana, Madagascar, le Mozambique, le Nigéria,
la République du Congo, le Soudan, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe. Le
Franc CFA a été et demeure, dans les pays francophones, le canal idéal de cette
fuite. Ces flux illicites ne sont, suivant le spécialiste de ces flux Raymond Baker,
attribuables à la corruption qu’à hauteur de 3 % ; 30 à 35 % sont dus aux activités
criminelles, mais les deux tiers de ces flux sont issus des stratégies d’optimisation
fiscale des multinationales.
Selon Africa Europe Faith and Justice network, « de 1 260 à 1 440 milliards de
dollars US disparaissent chaque année des pays en développement sans laisser
de traces, pour aboutir dans des paradis fiscaux ou des pays riches. La majeure
partie de cette somme est expédiée par des sociétés multinationales qui cherchent
à éviter les taxes là où elles fonctionnent. [...] Des estimations de la fuite illicite de
capitaux à partir de l’Afrique sur une période de trente-neuf ans montrent qu’elle
augmente en moyenne d’environ 12% par an. »
Au moment où les décolonisations semblaient les priver des conquêtes qui fondaient
leur puissance, les soi-disant démocraties avancées ont su imposer au monde
un véritable droit au pillage au bénéfice des firmes multinationales. Aujourd’hui,
le nationalisme républicain bruyamment affiché par la classe dirigeante peine à
dissimuler aux opinions publiques des pays riches qu’une nouvelle féodalité se met
en place, où les charges publiques ne pèsent que sur le peuple et sont de plus en
plus consacrées à financer des matériels militaires et des opérations guerrières au
bénéfice des multinationales.
[1] Cf, l’étude magistrale d’Antonio Gambini pour le CNCD-11-11-11 : Les Mécanismes de l’injustice
fiscale mondiale