Ce qu’il y a de plus troublant avec nos socialistes de gouvernement, c’est qu’on ne sait
jamais exactement s’ils font de l’humour ou s’ils se vautrent simplement dans le cynisme
le plus répugnant. Tel est du moins l’état d’esprit dans lequel on se trouve en lisant la
réponse que le gouvernement a apportée, le 23 juillet dernier, à une question écrite posée
à l’Assemblée nationale par le député EELV Sergio Coronado.
Ce dernier se demandait si le
gouvernement de Jean-Marc
Ayrault partageait l’opinion
exprimée par François Fillon selon
laquelle la guerre féroce que la France a
menée au Cameroun dans les années
1950 et 1960 relevait, comme l’affirmait
crânement l’ancien Premier ministre en
2009, d’une « pure invention » [1].
Rappelons que cette guerre, qui a fait
selon les rapports militaires français eux-mêmes
plusieurs dizaines de milliers de
morts, a eu pour fonction d’écraser le
mouvement nationaliste camerounais,
porté par l’Union des Populations du
Cameroun (UPC), pour installer un
régime « ami » à Yaoundé. Ou, comme
l’écrira plus tard Pierre Messmer, Haut-Commissaire
de la France à Yaoundé de
1956 à 1958 : « La France accordera
l’indépendance à ceux qui la réclamaient
le moins, après avoir éliminé politiquement et
militairement ceux qui la réclamaient
avec la plus d’intransigeance » [2].
La question de Coronado – qui
s’intéressait à un sujet déjà soulevé deux
ans plus tôt par Noël Mamère – était
d’autant plus légitime que les
témoignages et les études s’accumulent
ces dernières années, qui prouvent
aujourd’hui de façon aussi précise
qu’irréfutable que, pour « éliminer » leurs
opposants camerounais, « les
gouvernements français de l’époque ont
mené de violentes opérations de
répression contre [l’UPC] et contre les
populations civiles soupçonnées de [la]
soutenir ». Parmi ces méthodes, le député
relevait, entre autres, les bombardements
intensifs auxquels les populations furent
soumises, la vaste politique de
regroupement forcé de villageois dans
des villages militarisés, la mise en place
d’une guerre psychologique de grande
ampleur et d’un système de torture
généralisée, les multiples exécutions
extrajudiciaires recensées et les forfaits
des sanguinaires milices profrançaises3.
Bref, un arsenal analogue à celui qui était
déployé, au même moment, en Algérie…
Réponse, donc, du ministère des Affaires
Étrangères à Coronado : circulez, il n’y a
rien à voir. Après avoir disserté sur les
lourdes « responsabilités » de la France à
l’époque coloniale et mentionné la
« renégociation » des accords de défense
franco-camerounais,
les petits malins du
Quai d’Orsay ne
s’intéressent à la question
posée par le député Vert
que pour le renvoyer
« aux historiens à qui il
appartient désormais
d’exploiter les archives
rendues disponibles pour
apporter leur éclairage
sur la période. »
Plus
intéressant encore : la
réponse du Quai d’Orsay
(version Laurent Fabius)
reprend mots pour
mots…celle qu’avait
formulée deux ans plus
tôt le même Quai
d’Orsay (version Alain
Juppé) à la question de Noël Mamère !
Faut-il
expliquer aux services du
ministère des Affaires étrangères que des
dizaines de chercheurs, journalistes,
militants ont déjà publié des quantités
d’études et enregistré des centaines de
témoignages qui, tous, confirment que la
France s’est livrée à des atrocités au
Cameroun dans les années qui ont
précédé et suivi l’indépendance de ce
pays, le 1er janvier 1960 ? Non, il faut
simplement comprendre que le pouvoir
socialiste, droit dans ses bottes juppéo-sarkozistes,
n’a nullement l’intention de
suivre le chemin de vérité et de justice
auquel a par exemple consenti le Premier
ministre britannique David Cameron,
pourtant ultra-conservateur,
qui
reconnaissait en juin dernier, devant la
chambre des Communes, les crimes
perpétrés par les Britanniques dans les
années 1950 au Kenya au cours de la
répression des Mau Mau [3].
Imaginons même un instant qu’il faille
encore attendre ces mystérieux
« historiens » auxquels font appel les
gouvernements français successifs
cherchant désespérément à nier
l’évidence [4].
Les déclarations des officiels
français qui, à l’instar des anciens
Premiers ministres Michel Debré ou
Pierre Messmer ou des militaires Jean
Lamberton ou Max Briand, se glorifiaient
ouvertement dans leurs Mémoires ou
dans leurs rapports d’avoir noyé le
nationalisme camerounais
dans le sang, ne justifieraient-elles
pas à elles seules une
enquête interne du côté, par
exemple, des archives
militaires de Vincennes ?
Malheureusement, et on le
sait depuis longtemps, les
héritiers de Guy Mollet et de
François Mitterrand n’aiment
pas plus que leurs
homologues pétainistes ou
gaullistes ces basses
besognes. Outre qu’on risque
de se salir les doigts sur de
vieilles encres et dans des
dossiers poussiéreux, cela
imposerait de déroger à la règle d’or du
socialisme de gouvernement. Lequel met
un point d’honneur à toujours servir les
puissants… en évitant soigneusement de
rendre justice aux « vaincus de
l’Histoire ».
[1] Conférence
de presse, Yaoundé, 21 mai
2009
[2] Question
au gouvernement n° 31918 du 9
juillet 2013. Pour une synthèse, voir Thomas
Deltombe, Manuel Domergue et Jacob
Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux
origines de la Françafrique (19481971),
La
Découverte, Paris, 2011.
[3] Et
débloquait au passage une vingtaine de
millions de livres sterling pour tenter de
« dédommager » les survivants.
[4] Insultant
au passage les travaux réalisés par
Mongo Beti, Achille Mbembe, Richard
Joseph, Abel Eyinga, Piet Konings, Meredith
Terretta, et tant d’autres, parmi lesquels ces
dizaines de jeunes historiens camerounais qui
recensent depuis des années des témoignages
sur les atrocités commises à cette époque par
les troupes françaises et leurs supplétifs.