Survie

La MINUSMA sous contrôle

rédigé le 1er septembre 2013 (mis en ligne le 10 septembre 2013) - Mathieu Lopes

Prenant le relais de la MISMA [1], l’ONU a déployé début juillet sa force de maintien de la paix au Mali, la MINUSMA [2]. Mais la France maintient un certain contrôle sur cette force pourtant sensée introduire une dimension multilatérale à la guerre au Mali.

La nomination du général rwandais Jean-Bosco Kazura à la tête de cette mission a pu faire croire à un recul de l’influence française sur les opérations dans la région, d’autant plus que le Rwandais a été choisi au détriment du général tchadien Bikimo.

Au vu de la forte proximité des autorités françaises avec le régime tchadien, ce choix aurait presque pu sonner comme un désaveu.

Malheureusement, d’après RFI, citant une source onusienne, ce n’est pas «  la présence du Tchad, cette année encore, sur la liste noire des pays utilisant des enfants soldats » qui a joué. Ce sont probablement leur plus grande expérience à l’ONU et dans les opérations de maintien de la paix ainsi que leur proximité avec le gouvernement des ÉtatsUnis qui ont pu les faire préférer.

Multilatéralisme de façade

Mais derrière cette apparente « contre-influence  », la France garde en réalité un rôle important dans le commandement de la MINUSMA. D’une part, comme le met en avant le ministère de la Défense français, « la France participe à la MINUSMA à hauteur d’une quinzaine de militaires déployés dans son état-major  ».

Mais d’autre part « le Rwandais Jean-Bosco Kazura aura essentiellement un rôle de représentation, puisque le chef d’état-major de la mission, le général français Vianney Pillet, est le véritable patron des opérations militaires, en concertation avec les responsables de Serval » [3]. Le pays ne contribue donc pas pour ce qui est des troupes de bases, mais se taille la part du lion dans l’état-major, jusqu’à le diriger.

En plus de cela, le « lien » opérationnel avec Serval est assuré : « La force Serval a mis en place des détachements de liaison et d’appui (DLA) au sein [des] bataillons [de la MINUSMA]. Ils sont sous commandement français et ont pour mission de veiller à la coordination tactique des forces engagées dans une même zone. Ils appuient également les forces africaines dans le domaine du commandement, de la logistique, du renseignement, des appuis feux ».

L’exemple d’un DLA déployé au sein de la MISMA donné en juin sur le site du ministère de la Défense français est évocateur du positionnement de ces détachements français vis-à-vis de troupes souvent africaines. Le ministère met en avant le cas d’une « intégration » au sein d’un bataillon togolais. Les images montrent un soldat français qui marche devant le commandant togolais du bataillon. Le commentaire décrit des Français « parfaitement insérés au sein des forces togolaises » depuis leur arrivée. La proximité historique, la formation des officiers africains dans les écoles françaises, la présence permanente d’officiers français à l’état-major togolais y sont sûrement pour beaucoup.

L’exemple en 2011 de cet officier français visiblement en position de commandement sur des troupes togolaises menaçant un journaliste dans les rues de Lomé illustre pleinement le résultat du néocolonialisme militaire français.

On l’aura compris, les forces françaises sont partout dans la MINUSMA, en position de commandement ou « d’appui au commandement » auprès de forces historiquement placées dans un lien de subordination.

M. Hervé Ladsous, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix

Une force de l’ONU aux relents ivoiriens

De plus, cette mission de l’ONU est bicéphale. Le général rwandais partage son siège avec le néerlandais Bert Koenders. Ce-dernier, qui aurait été imposé par les Français est un habitué des opérations françafricaines puisqu’il dirigeait précédemment l’ONUCI, la force de l’ONU en Côte d’Ivoire. On se souvient que l’ONU y a là aussi joué le rôle de faire-valoir multilatéral de l’agenda français de renversement de Gbagbo et a failli dans son mandat officiel de protection des civils ivoiriens.

Bert Koenders y a notamment couvert les casques bleus lors de l’attaque du camp de Niambly. Ce camp du Haut commissariat aux réfugiés fut attaqué en juillet 2012 notamment par des forces du nouveau régime ivoirien qui brûlèrent le camp et tuèrent plusieurs personnes. Les casques bleus qui en avaient la garde n’y ont pas protégé les réfugiés mais ont été jusqu’à repousser vers une foule hostile ceux qui venaient chercher de l’assistance auprès d’eux.

Mais c’est surtout l’analogie de Serval vis-à-vis de la MINUSMA avec la force Licorne vis-à-vis de l’ONUCI qui est frappante. Serval, comme Licorne, reste une force indépendante intégralement française, qui viendrait théoriquement en appui des casques bleus. L’exemple ivoirien a montré la réalité de tels montages : la France reste maîtresse de sa partition et imprime aux forces onusiennes ce que bon lui semble.

Rappelons enfin que le poste de responsable du DPKO [4] occupé aujourd’hui par Hervé Ladsous est une tradition française, ce qui s’avère bien pratique pour éviter toute discordance entre les Français et les casques bleus sur un théâtre d’opérations.

La France a superbement contourné les contraintes onusiennes en déclenchant l’opération Serval, elle s’est aussi assuré que la MINUSMA mise en place par les Nations unies ne viendra pas contrarier son hégémonie sur le terrain malien.

[1Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine, sous l’égide de la Cédéao

[2Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali

[4La direction des opérations de maintien de la paix à l’ONU

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 227 - septembre 2013
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