Survie

Serval continue !

rédigé le 1er septembre 2013 (mis en ligne le 4 novembre 2013) - Yanis Thomas

Au milieu du tapage médiatique entourant l’élection
présidentielle malienne, on en viendrait presque à croire
que l’opération militaire française est terminée : déjà le
happy end ? C’est en quelque sorte la version de
l’Assemblée nationale, qui a bouclé l’affaire avant la
coupure estivale.

On ne l’attendait pas si tôt ! Le
18 juillet la mission
d’information de la commission
Défense de l’Assemblée Nationale relatif
à l’opération Serval au Mali rendait son
rapport. Si l’on peut saluer le fait que,
pour une fois, la représentation nationale
se soit saisie d’un sujet aussi important
que le déclenchement d’une opération
extérieure (cela n’avait pas été le cas pour
l’opération Harmattan en Libye en
2011…), force est de constater qu’un
bouclage aussi rapide du rapport
d’information laisse dubitatif. C’est à
croire que l’opération serait finie ! Or rien
n’est moins faux : 3 200 soldats étaient
encore présents sur le territoire malien au
22 août, menant des opérations de fouille
de grande ampleur et surveillant la tenue
de l’élection. Le contrôle parlementaire
sur les opérations militaires étant déjà
particulièrement faible, on ne peut que
regretter ce bouclage prématuré.

Glorifions nous les uns les autres

Le rapport est constitué de deux parties :
une partie relative à l’opération et à son
contexte ; une seconde consacrée au
retour sur expérience de cette opération.

Le rapport rappelle tout d’abord
l’importance de la zone sahélienne pour
la France et pose le décor de la situation
malienne : un État faible, un pays
transformé en vaste zone de trafics [1], une
« rébellion touareg » (MNLA)
progressivement évincée par des
« groupes armées djihadistes », une
armée malienne affaiblie.

Vient ensuite
une description de l’activisme français
dans la gestion de la crise malienne (pour
faire adopter des résolutions par le
Conseil de sécurité de l’ONU par
exemple) et du cadre légal dans lequel la
France a cherché à inscrire son
intervention lorsque des groupes rebelles
se sont mis en mouvement vers le Sud
début janvier 2013. S’ouvre alors une
sous partie modestement intitulée « 
l’opération Serval est un succès
remarquable
 » qui glorifie la « capacité à
entrer en premier sur un théâtre
 » de la
France, notamment grâce au statut de
chef des armées du Président, qui permet
de prendre une décision d’intervention de
façon unilatérale, aux forces
prépositionnées en Afrique ainsi qu’à la
réactivité du système de projection de
troupes. S’en suit une description de
l’opération Serval en tant que telle et des
moyens militaires engagés, pour finir par
le soutien apporté par les troupes
africaines.

Pour préparer la prochaine

La seconde partie, plus technique mais
qui intéresse au plus haut point les
députés en cette période de préparation
de la loi de programmation militaire,
s’applique à lister les insuffisances et
faiblesses de l’armée française ainsi que
les pistes de sortie de crise potentielles
pour le Mali. Les auteurs notent ainsi le
manque d’avions de transport, les
lourdeurs de l’action européenne ou
encore la nécessité d’une meilleure
coordination entre les armées.

Surtout, est
abordée l’épineuse question des surcoûts
liés à l’opération, qui sont évalués à 250
millions d’euros à la fin du mois de mai.
Or la somme, déjà importante, risque de
grimper en flèche car le calcul du
ministère de la Défense n’intègre pas les
surcoûts du fait de l’entretien
supplémentaire des matériels. Et avec les
conditions extrêmes du désert malien, la
facture risque d’être salée !

Victimes invisibles

Il faut enfin mentionner quelques
déclarations marquantes des rapporteurs
lors de leur audition par la commission
défense. On apprend ainsi que

« des
chocs psychologiques ont été enregistrés
notamment chez des légionnaires
aguerris qui se sont trouvés face à de tout
jeunes soldats drogués qu’ils n’ont, en
dépit de leurs efforts, pas toujours pu
épargner
 »

Sachant que l’armée
reconnaît que des enfants ont aussi servi à
porter l’eau et les munitions des
djihadistes, combien d’entre eux sont
morts lors de l’opération ? Mais une guerre « propre » est avant tout
une guerre de l’information. Or, même un
des rapporteurs se dit « personnellement
impressionné par l’audition de la
Délégation à l’information et à la
communication de la défense (DIcOD),
qui a bien mis en évidence le rôle crucial
de la communication militaire.
 » Il serait
plus exact de parler de censure militaire,
au point de n’avoir aucun témoignage de
journaliste indépendant sur les
combats…

Tuez les tous…

Pourtant, malgré tous les efforts du
gouvernement et de l’armée, apparaissent
çà et là des couacs dans le concert
médiatique sur une intervention rapide et
efficace au service des droits humains.
Ainsi le général Bernard Barrera, chef de
corps de la 3ème brigade mécanisée et
commandant de la brigade Serval de
février à mai 2013, a accepté de répondre
aux questions du journaliste Jean-Dominique
Merchet
. L’interview nous
apprend la teneur véritable des ordres
donnés aux militaires :

« ma mission était
claire : libérer le pays en localisant et
détruisant les djihadistes. La volonté
politique, telle que l’a exprimée le
président de la République, par exemple
lorsque je l’ai rencontré à Tombouctou,
et nos ordres étaient très clairs. Détruire
ceux d’en face et aller très vite.
 »

Ou
encore : « nous ne voulions pas d’une
campagne où l’on aurait reconquis le
Mali sans tirer un coup de feu. Notre but
était de les détruire.
 » De telles
déclarations va-t-en
guerre soulèvent un
problème de fond : l’armée française a-t-elle
reçu pour consigne de ne pas faire de
quartier ? Car, selon le lieutenant-colonel
Jérome Cario, qui fut responsable
juridique auprès du général commandant
l’Etat-major
de la région Centre à Kaboul
en 2004 et en 2009, «  il est interdit
d’ordonner qu’il n’y ait pas de
survivants, d’en menacer l’adversaire ou
de conduire les hostilités en fonction de
cette décision
 [2] ».

Cette interdiction
s’appuie sur l’article 23d de la
Convention de La Haye de 1907
concernant les lois et coutumes de la
guerre sur terre. Une violation du droit
international de plus à l’actif de la
France...

[1les
auteurs ont l’honnêteté de mentionner
que « Serval n’a [...] pas mis fin à ces trafics
mais a [...] déplacé leurs routes » p.18

[2Jérome
Cario, (2012) : Fondamentaux
juridiques en opérations extérieures,
Lavauzelle

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 227 - septembre 2013
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