Il y a 20 ans, en décembre 1993, les soldats français de l’opération Noroît quittaient
officiellement le Rwanda. Déployée en octobre 1990 à la suite d’une demande de soutien
du président rwandais Habyarimana à François Mitterand, cette opération est allée bien
au-delà de la simple protection des ressortissants européens et a permis au régime
rwandais de se maintenir... jusqu’à la mise en oeuvre du génocide des Tutsi.
Dans un télégramme diplomatique
du 14 décembre 1993 [1],
l’ambassadeur français au
Rwanda, Jean-Michel
Marlaud présente
ce retrait comme un signe que la France
est attachée au respect des accords de
paix d’Arusha.
En effet, ces accords
conclus entre le régime rwandais et le
FPR imposent le « retrait des troupes
étrangères » du Rwanda. Mais ce retrait
intervient avec plus d’un an de retard,
puisqu’il était censé s’effectuer dès août
1992. En fait, un accord de cessez-le-feu
de mars 1991 prévoyait déjà ce retrait,
deux ans et demi plus tôt...
Ce retard n’a rien d’anodin car dans
l’intervalle, l’opération Noroît, bien au-delà
de la mission affichée de protection
des ressortissants étrangers, a servi à
renforcer le régime rwandais en place,
formant notamment les Forces Armées
Rwandaises (FAR) [2], leur fournissant du
renseignement. De plus, en février et
mars 1993, c’est dans le cadre de Noroît
qu’est conduite l’opération Chimère visant
à stopper une offensive du FPR, ce qui,
selon les députés français eux-mêmes,
constitue un cap que l’armée française
« n’aurait pas dû passer » [3]. Durant cette
opération, les Français ont « commandé
indirectement » une « armée d’environ
20.000 hommes » : les forces du régime
rwandais alors en déroute. Selon le
président Habyarimana lui-même [4],
l’aide
de la France « a été essentielle pour
empêcher une victoire militaire du FPR ».
Le télégramme de Jean-Michel
Marlaud,
cité précédemment, rapporte d’ailleurs les
critiques de la Première ministre
démocrate Agathe Uwilingiyimana [5]
« selon laquelle Noroît aurait été au
Rwanda pour défendre le seul président »
Habyarimana.
En décembre 1993, le projet génocidaire
est déjà en marche : des officiers des FAR
anonymes alertent,dans une lettre à la
mission des Nations unies, de l’existence
d’un « plan machiavélique du Président
Habyarimana » suivant lequel des
massacres « sont en train de se préparer
et devront s’étendre sur toutes les régions
du pays à commencer par les régions
dites à forte concentration de l’ethnie
Tutsi [...] Cette stratégie vise à faire
croire à l’opinion qu’il s’agit de troubles à
caractère ethnique et ainsi inciter le FPR,
comme ce fut le cas en février 1993, à
violer le cessez-le-feu,
ce qui servirait de
prétexte à la reprise généralisée des
hostilités ». Selon cette lettre,
l’élimination de responsables politiques
favorables aux accords de paix est
programmée, en particulier celle du
Premier ministre pressenti.
Dans le même
temps, la distribution d’armes aux milices
civiles par les FAR se poursuit [6]. Cette
stratégie, désignée sous le terme de
« Défense civile » par les responsables
rwandais [7], reprend manifestement la
méthode de formation de groupes armés
au sein de la population prônée par la
doctrine de guerre contre-insurrectionnelle,
théorisée puis
enseignée par les penseurs militaires
français [8].
Enfin, le retrait des forces françaises en
décembre 1993 n’est pas complet, puisque
plusieurs dizaines de coopérants
militaires restent au Rwanda. Mais une
note du renseignement belge du 23
décembre 1993 indique que « plusieurs
autres militaires [français]
stationneraient en civil » et précise
notamment qu’un groupe du 13ème
RDP [9] continue de circuler « en tenue ».
En cette fin d’année 1993, la France ne
respecte donc toujours pas les accords de
paix et continue de soutenir le régime qui
est en train d’organiser le génocide des
Tutsi.
[1] Télégramme
diplomatique déclassifié,
Kigali, 14 décembre 1993, Retrait du
détachement Noroît
[2] Les
FAR mettront en oeuvre le génocide
des Tutsi, avec l’aide des milices civiles.
[3] Rapport
de la Mission d’information
parlementaire sur le rôle de la France au
Rwanda, décembre 1998.
[4] Note
déclassifiée du ministère des Affaires
étrangères, 7 octobre 1993, Entretien du
Président de la République François Miterrand
avec le Président Juvenal Habyarimana.
[5] L’assassinat
de la Première ministre,
marquera la prise de pouvoir par les
extrémistes hutu début avril 1994 et la mise en
oeuvre du génocide des Tutsi.
[6] Mgr
Kalibushi, évêque de Nyundo (Ouest
du Rwanda), s’est inquièté publiquement de
ces distributions d’armes à la population;
(Communiqué de presse de Mgr Kalibushi, 28
décembre 1993).
[8] Lire
sur ce sujet, Une Guerre Noire,
enquête sur les origines du génocide
rwandais (19591994),
G. Periès et D.
Servenay, La Découverte, 2007.
[9] 13ème
Régiment de dragons parachutistes.