Survie

Quand la France doit redécouvrir l’Afrique...

rédigé le 5 janvier 2014 (mis en ligne le 3 mars 2014) - Thomas Noirot

Le « rapport Védrine » [1] entend décomplexer les relations
économiques de l’Hexagone avec le continent africain. En
ne se limitant simplement plus au pré-carré...

Rapport - Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France

Commandé par le ministre de
l’économie et des finances à
l’occasion du « Sommet de
l’Elysée
 », le rapport déplore dès
l’introduction que « la France ne semble
pas avoir totalement pris la mesure du
nouveau contexte africain ni de la
bataille économique qu’elle doit y
livrer
 » (p. 17). Principal argument, repris
en boucle par les médias, « la France ne
cesse d’y perdre des parts de marché.
Encore premier exportateur en 2002,
[elle] est, en 2011, le cinquième
exportateur dans la zone, derrière la
Chine, l’Inde, les États-Unis
et
l’Allemagne. Sa part de marché a connu
un recul continu depuis le début des
années 2000, passant de 10,1 % en 2000
à 4,7 % en 2011
 » (p. 52). Horreur, un
recul de moitié !

Pourtant, « en « Zone
CFA », la France fait quasiment jeu égal
avec la Chine en 2011, avec une part de
marché de 17,2 % pour la France contre
17,7 % pour la Chine
 ». Le hasard fait
bien les choses : le bastion historique
résiste mieux... Et, surtout, « la baisse
relative des parts de marché de la France
entre 2000 et 2010 cache en réalité un
doublement des exportations françaises
vers l’Afrique subsaharienne
 » (p. 56) Car quand le gâteau gonfle, une plus
petite part, proportionnellement,
n’empêche pas de manger plus...

« Attitude stérile »

Prétendant rompre avec un « afropessimisme
daté
 » (p. 5), ils égrènent
chiffres et exemples pour démontrer
l’évidence : l’immense réservoir de
matières premières et de consommateurs
que constitue l’Afrique aux yeux des
investisseurs... et le « dynamisme » du
continent, en termes de croissance et
d’attractivité des capitaux. Mais ils
reconnaissent, tout en euphémismes, que
« la croissance économique peine à créer
un développement social et humain
suffisant
 », voire qu’elle « creuse les
inégalités
 » et que « le niveau de tension
sociale et de violences civiles reste élevé
dans les pays à forte croissance
 » (p. 39).
Ne changeons pas de modèle pour autant,
surtout.

En s’abritant régulièrement derrière leurs
« interlocuteurs africains » (tels que des
ministres des finances de la zone Franc,
des hauts-fonctionnaires,
diplomates,
industriels, avocats...) pour tenir les
discours expansionnistes les plus
décomplexés, les auteurs rejettent cette
« attitude stérile » consistant à
polémiquer sur les crimes de la
Françafrique, coupable selon eux de
« rendre invisible aux yeux des Français
la transformation du continent
 » et
d’avoir amené la France à être « la seule
puissance au monde qui se demandait si
ce n’était pas répréhensible en soi
d’avoir "une politique africaine"
 », (p.
81). Eux ont courageusement « laissé
derrière eux le passé et se sont tournés
vers l’avenir, vers l’Afrique d’aujourd’hui
et de demain
 ». Résultat, ils n’ont de
cesse de vanter les « meilleures
performances
 » (p. 26) des pays non
francophones (Afrique du Sud, Nigéria,
Ghana, Kenya, Mozambique, etc), en
signalant que les grandes entreprises
françaises s’y sont déjà redéployées ;
ainsi, « l’Afrique du Sud et le Nigéria
représentent 37 % de la croissance
globale des exportations françaises en
Afrique subsaharienne entre 2000 et
2011
 » (p. 56).

Mais jamais ils n’évoquent
les raisons politiques qui font que le pré-carré
français regorge d’économies
croupions. Cela ne les empêche pas, en
revanche, de légitimer tous les
instruments de l’influence française :
Franc CFA, maillage et formation
militaires, francophonie, médias de masse
(RFI, TV5 Monde..), pénétration des
institutions nationales et
intergouvernementales par les coopérants
techniques...

Extension d’influence

Pour maintenir ou consolider un potentiel
de 200 000 emplois sur son propre
territoire, « l’État français doit mettre au
coeur de sa politique économique le
soutien à la relation d’affaires du secteur
privé et assumer pleinement l’existence
de ses intérêts sur le continent africain
 »
(p.19). Les auteurs développent ainsi
leurs « 15 propositions », que l’on peut
résumer peu ou prou à une seule : étendre
au-delà
de l’ère géographique d’influence
traditionnelle les outils institutionnels qui
ont fait la grandeur de la Françafrique
dans sa version débarrassée des relents
les plus sulfureux.

Élargissement de la
zone Franc, augmentation de la
coopération technique et des relations
diplomatiques, élargissement et
renforcement des mécanismes publics de
soutien à l’investissement privé... La
15ème proposition, aussi fumeuse qu’elle
se veut emblématique, est de « créer au
bénéfice des entreprises africaines et
françaises, une Fondation pour la
promotion des échanges entre l’Afrique et
la France dans le domaine économique
 »
(p. 152), qui « doit réunir les acteurs
économiques publics et privés, français et
africains (entreprises, administrations,
société civile y compris la diaspora)
 » (p.
153). Présidée par Hubert Védrine ?

[1« Un partenariat pour l’avenir : 15
propositions pour une nouvelle dynamique
économique entre l’Afrique et la France
 », par
Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane
Thiam, Jean-Michel
Severino et Hakim El
Karoui, décembre 2013, 170 p.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 231 - janvier 2014
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