Le « rapport Védrine » [1] entend décomplexer les relations économiques de l’Hexagone avec le continent africain. En ne se limitant simplement plus au pré-carré...
Commandé par le ministre de l’économie et des finances à l’occasion du « Sommet de l’Elysée », le rapport déplore dès l’introduction que « la France ne semble pas avoir totalement pris la mesure du nouveau contexte africain ni de la bataille économique qu’elle doit y livrer » (p. 17). Principal argument, repris en boucle par les médias, « la France ne cesse d’y perdre des parts de marché. Encore premier exportateur en 2002, [elle] est, en 2011, le cinquième exportateur dans la zone, derrière la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Allemagne. Sa part de marché a connu un recul continu depuis le début des années 2000, passant de 10,1 % en 2000 à 4,7 % en 2011 » (p. 52). Horreur, un recul de moitié !
Pourtant, « en « Zone CFA », la France fait quasiment jeu égal avec la Chine en 2011, avec une part de marché de 17,2 % pour la France contre 17,7 % pour la Chine ». Le hasard fait bien les choses : le bastion historique résiste mieux... Et, surtout, « la baisse relative des parts de marché de la France entre 2000 et 2010 cache en réalité un doublement des exportations françaises vers l’Afrique subsaharienne » (p. 56) Car quand le gâteau gonfle, une plus petite part, proportionnellement, n’empêche pas de manger plus...
Prétendant rompre avec un « afropessimisme daté » (p. 5), ils égrènent chiffres et exemples pour démontrer l’évidence : l’immense réservoir de matières premières et de consommateurs que constitue l’Afrique aux yeux des investisseurs... et le « dynamisme » du continent, en termes de croissance et d’attractivité des capitaux. Mais ils reconnaissent, tout en euphémismes, que « la croissance économique peine à créer un développement social et humain suffisant », voire qu’elle « creuse les inégalités » et que « le niveau de tension sociale et de violences civiles reste élevé dans les pays à forte croissance » (p. 39). Ne changeons pas de modèle pour autant, surtout.
En s’abritant régulièrement derrière leurs « interlocuteurs africains » (tels que des ministres des finances de la zone Franc, des hauts-fonctionnaires, diplomates, industriels, avocats...) pour tenir les discours expansionnistes les plus décomplexés, les auteurs rejettent cette « attitude stérile » consistant à polémiquer sur les crimes de la Françafrique, coupable selon eux de « rendre invisible aux yeux des Français la transformation du continent » et d’avoir amené la France à être « la seule puissance au monde qui se demandait si ce n’était pas répréhensible en soi d’avoir "une politique africaine" », (p. 81). Eux ont courageusement « laissé derrière eux le passé et se sont tournés vers l’avenir, vers l’Afrique d’aujourd’hui et de demain ». Résultat, ils n’ont de cesse de vanter les « meilleures performances » (p. 26) des pays non francophones (Afrique du Sud, Nigéria, Ghana, Kenya, Mozambique, etc), en signalant que les grandes entreprises françaises s’y sont déjà redéployées ; ainsi, « l’Afrique du Sud et le Nigéria représentent 37 % de la croissance globale des exportations françaises en Afrique subsaharienne entre 2000 et 2011 » (p. 56).
Mais jamais ils n’évoquent les raisons politiques qui font que le pré-carré français regorge d’économies croupions. Cela ne les empêche pas, en revanche, de légitimer tous les instruments de l’influence française : Franc CFA, maillage et formation militaires, francophonie, médias de masse (RFI, TV5 Monde..), pénétration des institutions nationales et intergouvernementales par les coopérants techniques...
Pour maintenir ou consolider un potentiel de 200 000 emplois sur son propre territoire, « l’État français doit mettre au coeur de sa politique économique le soutien à la relation d’affaires du secteur privé et assumer pleinement l’existence de ses intérêts sur le continent africain » (p.19). Les auteurs développent ainsi leurs « 15 propositions », que l’on peut résumer peu ou prou à une seule : étendre au-delà de l’ère géographique d’influence traditionnelle les outils institutionnels qui ont fait la grandeur de la Françafrique dans sa version débarrassée des relents les plus sulfureux.
Élargissement de la zone Franc, augmentation de la coopération technique et des relations diplomatiques, élargissement et renforcement des mécanismes publics de soutien à l’investissement privé... La 15ème proposition, aussi fumeuse qu’elle se veut emblématique, est de « créer au bénéfice des entreprises africaines et françaises, une Fondation pour la promotion des échanges entre l’Afrique et la France dans le domaine économique » (p. 152), qui « doit réunir les acteurs économiques publics et privés, français et africains (entreprises, administrations, société civile y compris la diaspora) » (p. 153). Présidée par Hubert Védrine ?
[1] « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France », par Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et Hakim El Karoui, décembre 2013, 170 p.