Prenant goût à son statut de chef des armées, François Hollande a décidé d’envoyer
début décembre une force d’intervention en Centrafrique. Une façon de reprendre la main
sur ce territoire que la France avait un peu négligé ces dernières années.
Depuis la prise du pouvoir par la coalition
rebelle Séléka en mars 2013, la
Centrafrique s’enfonce inexorablement
dans le chaos. Face aux nombreuses
exactions commises par des membres de
l’ex-Séléka [1], des milices paysannes
« antibalaka »,
originellement
constituées pour lutter contre les
« coupeurs de route » qui sévissent depuis
des années dans le nord ouest du pays, ont
pris les armes afin de se faire justice elles
mêmes. Ces milices, rapidement définies
comme chrétiennes [2], s’en sont pris aux
populations
musulmanes qu’elles
accusent de soutenir les rebelles Séléka,
enclenchant un cycle de représailles
intercommunautaires
d’une
extrême
violence.
C’est dans ce contexte de fortes tensions
que la France obtient le 5 décembre 2013
l’aval du Conseil de Sécurité des Nations
Unies (via la résolution 2127) pour
déployer massivement son armée en
Centrafrique. Ce n’est qu’une formalité.
En réalité, la décision d’un déploiement
est déjà actée depuis longtemps : le
dispositif Boali a été renforcé [3], un corps
expéditionnaire a embarqué sur
un
bâtiment de la Marine nationale, qui le
débarquera au Cameroun, réactivant au
passage l’antenne logistique dont la
France dispose dans le port de Douala.
Les officiels français, convaincus qu’une
intervention coup de poing [4] et l’aura de
son armée vont stabiliser la situation,
annoncent une opération courte de l’ordre
de quatre à six mois, le temps de
constituer une force africaine assez
nombreuse pour prendre le relais. Ainsi la
France envisageait à la base de ne
déployer que 800 à 1200 hommes [5]. Ils
sont 2000 à l’heure actuelle.
Car ce même 5 décembre tout bascule. En
effet, les milices anti-balaka lancent le
jour même une action coordonnée contre
Bangui. La ville s’embrase, les anti-balaka s’en prenant aux ex-membres de la
Séléka, ainsi qu’aux populations définies
comme musulmanes, principalement
celles originaires du nord du pays ou du
Tchad et du Soudan. Les combats font
plus de 1000 morts en quelques jours et
une ligne de fracture commence à
apparaître au sein de la population entre
les communautés dites chrétiennes et
celles considérées comme musulmanes.
Les forces françaises et africaines sont
débordées. La France perd deux hommes
le 10 décembre dans un affrontement.
Déjà pointé du doigt pour son rôle de
soutien à la Séléka, le Tchad est tout
particulièrment pris dans la tourmente.
Les miliciens antibalaka accusent ainsi
les troupes tchadiennes de la MISCA
(Mission Internationale de Soutien à la
Centrafrique, qui a succédé à la FOMAC)
de protéger les ex-membres de la Séléka.
Une accusation qui paraît fondée, le Haut
commissariat aux Droits de l’Homme des
Nations Unies ayant « recueilli des
témoignages crédibles de collusions entre
des éléments tchadiens de la FOMAC et
des forces ex-Séléka » [6]. Ainsi, « des
témoins ont, de manière systématique,
rapporté que des ex-Séléka portant des
brassards de membres Tchadiens des
forces de maintien de la paix FOMAC,
sont allés de maison en maison à la
recherche d’anti-balaka et ont tué des
civils par balles ». Face à ces exactions,
les miliciens ripostent par le pillage et le
lynchage des commerçants d’origine
tchadienne, qui ont désormais fui en
grande partie le pays.
Incontournable sur le terrain, le Tchad
l’est tout autant politiquement. Alors que
le Conseil de Sécurité de l’ONU se
penchait
en
début
d’année
sur
l’opportunité d’envoyer une force de
maintien de la paix en Centrafrique, le
Tchad, nouvellement élu en tant que
membre non permanent de cette
institution, a pesé de tout son poids pour
que cette initiative échoue. Celui-ci ne
tient pas à ce que l’ONU s’immisce dans
une crise concernant sa zone d’influence.
Malgré cela, le régime tchadien est
toujours l’ami intime de la France, celle
ci s’appuyant d’ailleurs de plus en plus
sur celui-là pour gérer les questions
militaires de son précarré [7].
Le tandem franco-tchadien a d’ailleurs été
le grand organisateur, début janvier, de la
« démission » de Michel Djotodia, l’ex-leader de la Séléka devenu président de la
Centrafrique. Il faut dire que son sort avait
été scellé rapidement. Ainsi, lors d’une
interview donnée par le chef de l’Etat
français au sortir du Sommet de l’Elysée le
7 décembre 2013, celui-ci avait déclaré
qu’« on ne peut pas laisser en place un
président qui n’a rien pu faire, voire
même a laissé faire ».
Les temps ayant un peu changé, François
Hollande n’a pas pu envoyer une
compagnie de parachutistes pour destituer
un dirigeant considéré comme gênant,
comme Valéry Giscard D’Estaing avait pu
le faire en 1979 pour renverser Bokassa. À
la place, le président français a envoyé
Jean-Yves Le Drian, son ministre de la
Défense et missus dominicus pour les
affaires africaines.
L’affaire s’est jouée en famille. En accord
avec le président tchadien Idriss Déby,
Jean Yves Le Drian fait le 2 janvier le tour
des poids lourds de la Françafrique en
Afrique centrale, rencontrant tour à tour
Denis Sassou N’Guesso à Brazzaville et
Ali Bongo à Libreville. Le départ de
Djotodia ayant été acté, il ne reste plus
qu’à
le
recouvrir
d’un
vernis
démocratique. Idriss Déby organise donc
un sommet extraordinaire de la
Communauté Economique des États
d’Afrique Centrale à N’Djamena, auquel il
fait venir en urgence les membres du
Conseil National de Transition (qui joue le
rôle de Parlement centrafricain) afin qu’ils
entérinent la décision qu’on a prise pour
eux [8]. Il leur revient tout de même la charge
d’élire un nouveau président, qui sera
finalement une présidente : Catherine
Samba-Panza.
Celle-ci a un parcours particulièrement
francophile : elle a fait toutes ses études à
Paris (à l’université Paris II – Assas) et son
cabinet de courtage d’assurance est
majoritairement tenu par l’assureur
français Gras Savoye [9]. Cette femme
d’affaires semble aussi avoir ses entrées
dans les cercles politiques français. Une
pétition pour sa candidature à la
présidence a, par exemple, été soutenue
par Françoise Hostalier, ancienne
Secrétaire d’État sous le gouvernement
d’Alain Juppé. S’il est trop tôt pour juger
de l’efficacité de son action, il y a fort à
parier qu’elle lui soit dictée par ceux-là
même qui ont permis son accession au
pouvoir : la France et ses alliés
françafricains.
[1] la Séléka a été officiellement dissoute par
Djotodia peu après son accession au pouvoir
[2] En réalité, ces milices sont plus animistes
que chrétiennes, cf. RCA : les antibalaka,
milices vraiment chrétiennes ?, P. Chapleau,
blog Lignes de défense, 25/01/2014.
[3] La force française « Boali » occupe
l’aéroport de Bangui depuis 2002.
[4] Centrafrique : l’opération « Sangaris »,
intervention « coup de poing », Nathalie
Guibert, Le Monde, 05/12/2013.
[5] 1600 officiellement mais les journalistes
spécialisés s’accordent pour dire que l’effectif
est sous-estimé.
[6] Une équipe des Nations Unies recueille des
informations sur de graves violations des
droits de l’homme en République
centrafricaine, Haut Commissarariat aux
droits de l’homme de l’ONU, 14/01/2014.
[7] Centrafrique : pour JeanYves Le Drian,
Idriss Déby reste un homme-clef dans la
région, Rfi.fr, 02/01/2014.
[8] Centrafrique : comment Paris à précipité la
fin de Michel Djotodia, Lemonde.fr,
10/01/2014.
[9] Bangui : Mme Catherine Samba-Panza
occupe désormais le fauteuil de Maire,
journaldebangui.com, Frédéric Ferrière,
05/06/2013.