Survie

Les beaux principes et les vilains reculs de Pascal Canfin

rédigé le 1er avril 2014 (mis en ligne le 2 juin 2014) - Thomas Noirot

La première « loi sur le développement », grande fierté de Pascal Canfin, est en pleine
navette parlementaire. Les avancées obtenues en Commission par des députés sur la
transparence financière et la responsabilité des entreprises ont été majoritairement
battues en brèche par le ministre lors du vote à l’Assemblée. Les débats qui débuteront
mi-avril au Sénat auront donc un enjeu de taille : faire de cette loi autre chose qu’un
catalogue de bonnes intentions.

Le mois d’avril sera déterminant pour
la prochaine étape de la bataille
parlementaire qu’a ouverte Pascal
Canfin avec sa « loi d’orientation et de
programmation sur le développement et
la solidarité internationale
 » (LOP
développement), puisque les sénateurs
pourront déposer et commencer à discuter
de nouveaux amendements. Présenté en
conseil des ministres en décembre, le
projet de loi, particulièrement flou et
faible dans sa version initiale (cf. Billets
n°232, février 2014
), avait amené les
députés de la Commission des affaires
étrangères à retenir des amendements
intéressants. Cet enrichissement du texte
était notamment le fruit d’un intense
travail de plaidoyer de certaines
associations françaises membres de la
plateforme de lutte contre les paradis
fiscaux [1] d’une part, et du forum citoyen
pour la responsabilité sociale des
entreprises [2] d’autre part. Le texte issu de
ces débats a été discuté et à nouveau
amendé lors du vote en plénière, le 10
février : on a alors vu un Pascal Canfin
particulièrement offensif pour démolir,
point par point, presque toutes les
avancées concrètes que promettait cette
nouvelle version de « son » texte de loi.

Pascal Canfin lors du Forum "Afrique - 100 innovations pour un développement durable", le 5/12/13 à Paris

Un petit pas pour les orientations...

Le texte qui sera soumis au Sénat présente
quelques avancées, en termes de grandes
orientations et d’énoncé de principes, que
ne prévoyait même pas nécessairement le
projet initial. Ainsi, il y est désormais
question du « devoir de vigilance » des
entreprises, principe selon lequel la
société­-mère d’un groupe multinational
pourrait être poursuivie en France pour les
agissements d’une de ses filiales à
l’étranger si elle ne prouve pas qu’elle avait
mis en œuvre des procédures pour
prévenir des atteintes aux droits sociaux et
environnementaux. Mais les grands
patrons peuvent dormir tranquilles, Pascal
Canfin veille à ne pas aller trop vite
concernant
leur
éventuelle
future
responsabilité pénale. Il a en effet obtenu
le retrait de la phrase, pourtant bien peu
contraignante, qui annonçait que « le
Gouvernement promeut et défend les
initiatives instaurant un devoir de
vigilance des sociétés mères
 », pour s’en
remettre aux travaux futurs de la
plateforme nationale d’actions globales
pour la responsabilité sociétale des
entreprises. Celle­-ci, créée par le
gouvernement en juin dernier, rassemble
autour de la table tous les acteurs
concernés, à commencer par les
représentants de dirigeants d’entreprises,
qui auront à cœur de bloquer tout avis
allant dans le sens d’une évolution
contraignante. Le type de concertation
qu’aime bien Pascal Canfin qui, arguant
devant l’Assemblée que « nous ne
pouvons préjuger aujourd’hui des modalités précises qui seront trouvées entre les différentes parties prenantes
 », a donc souhaité dans cette loi « [ouvrir] le
débat, sans pour autant le clore
aujourd’hui
 ». Bilan : le texte qui sera
soumis au Sénat se contente de demander à
la plateforme de « mener la réflexion sur
des mesures visant à une meilleure
responsabilisation
des
entreprises
multinationales [et sur] la possibilité de
renforcer le devoir de vigilance incombant
aux entreprises
 » (alinéa 62 du rapport
annexé). Voilà une orientation ambitieuse !

Pire, le jeune ministre, qui s’était fait un
nom en politique en menant au sein du
Parlement européen des batailles contre la
finance, avait livré un projet de loi dont le
rapport annexé mentionnait un peu
timidement la lutte contre l’évasion
fiscale, mais sans plus de précisions. Un
peu gênant, quand on prétend aider à
financer le développement, au point que
des députés de la majorité n’avaient pas
hésité à muscler le texte, qui affirme
maintenant que « la France soutient la
lutte contre l’opacité financière et les flux
illicites de capitaux pour favoriser la
mobilisation
par
les
pays
en
développement de leurs ressources
 ». Une
belle déclaration de principe, mais les
ajouts faits par les députés pour donner
des pistes concrètes d’action n’ont pas
résisté aux coups de butoir du gouvernement.

...un grand bond (en arrière) pour la transparence !

Les députés savent que, si lutter contre les
paradis fiscaux en tant que juridictions est
délicat du fait d’une prétendue
souveraineté de ces territoires (même s’ils
ne sont le plus souvent que des satellites
de grands pays, notamment occidentaux),
lutter contre leur utilisation est simple : il
suffit de mettre un coup de projecteur
public dessus. Ils avaient donc demandé,
en toute logique, à ce que cette loi oblige
les entreprises souhaitant avoir accès aux
capitaux de l’Agence Française de
Développement (AFD) à déclarer des informations précises sur leurs différentes
implantations géographiques, le fameux
reporting pays : pour chaque filiale,
rendre publics le pays concerné, la nature
de l’activité, le nombre de salariés, le
chiffre d’affaires, les bénéfices, les impôts
payés, etc... L’idée était simple : si vous
voulez bénéficier d’argent que l’on prétend
destiner à l’aide au développement,
commencez par montrer que vous ne
volez pas le fisc français et des pays
concernés ! Mais c’était trop pour notre
ministre, pour qui « il va de soi que le
droit français ne peut s’imposer à des
entreprises qui ne sont pas françaises
 ».

A en croire Pascal Canfin, l’AFD serait
donc la seule banque à ne pas pouvoir
fixer ses propres conditions commerciales
dans ses relations avec ses clients. Il a
certes laissé passer l’amendement selon
lequel l’agence « prend des mesures
destinées à (...) garantir la transparence
financière,
pays
par
pays,
des
entreprises

 » qui participent aux
opérations qu’elles financent, elle et sa
filiale destinée au secteur privé, la
Proparco. Mais les précisions sur le
reporting exigé ont bel et bien disparu du
rapport annexé, qui précise désormais à la
place que « dans les procédures de
passation des marchés pour les projets
qu’elle finance, l’AFD inclut une clause
prévoyant que les entreprises impliquées respectent les dispositions qui leur sont
applicables en matière de publication
d’informations
favorisant
la
transparence
 » (alinéa 65). Un revirement
que Canfin a réussi à faire passer pour un
« bon compromis » auprès des députés qui
avaient défendu le reporting ! En clair, on
demande à l’AFD de s’assurer que les
entreprises qui bénéficient de ses services
respectent bien les réglementations qui les
concernent, et on croise les doigts pour
que ces règles évoluent favorablement, ce
qui est loin d’être gagné (cf. encadré) : un
dégagement en touche qui redonne la balle
à l’adversaire... Et, quitte à se restreindre,
on limite cela aux marchés que finance
directement l’AFD, excluant les prêts et
les
financements
d’intermédiaires
financiers... notamment ceux basés dans
les paradis fiscaux, qui bénéficient aussi
de fonds de l’agence (cf. Billets d’Afrique
n°226, juillet-­août 2013
). Ont également
sauté
d’autres
amendements
trop
ambitieux au regard des objectifs
médiocres de cette loi : la disposition
exigeant que Proparco publie « la liste
exhaustive de ses engagements financiers
chaque
année
comprenant
les
intermédiaires
financiers
et
les
bénéficiaires finaux
 » ; et l’engagement
« à expérimenter l’échange automatique
[de données fiscales] avec plusieurs pays
en développement, en acceptant de leur livrer les informations dont ils ont besoin
sur leurs contribuables en France sans
exiger la réciprocité immédiate
 ». En
sabrant ces différentes mesures visant à
mettre en œuvre ses discours, Pascal
Canfin montre avec cette loi qu’après
bientôt 2 ans au gouvernement, il a appris
à s’orienter, mais surtout sans avancer.
Espérons que les sénateurs sauront le faire
bouger, même malgré lui [3].

[1Voir le site www.stopparadisfiscaux.fr

[3Article écrit avant l’annonce du remaniement

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 234 - avril 2014
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