Alors qu’il y a quelques mois, la France considérait le nouveau président Ibrahim Boubacar
Keïta (IBK) comme un homme providentiel pour le Mali, les relations entre Paris et Bamako
se tendent, la relance économique et politique du Mali et les négociations concernant le
nord du pays ne se passant pas comme prévu par les autorités françaises.
De la même manière qu’Hollande
exigeait des élections au Mali en
mars dernier, Jean-Yves
Le Drian
tance le Président malien : « Je trouve
qu’il n’avance pas assez vite, je le dis très
clairement. Je pense que l’heure est
venue. Le processus de réconciliation est
impérieusement nécessaire pour garantir
l’intégrité du Mali, la paix et le
développement. Je l’ai déjà dit à Ibrahim
Boubacar Keïta, à Bamako, en janvier
dernier » (Jeune Afrique, 14/04).
Depuis des mois, le désarmement des
groupes armés touareg, toujours présents à
Kidal, prévu par les accords de
Ouagadougou de juin 2013 comme
prélude aux négociations n’a toujours pas
eu lieu et le calendrier des négociations est
quasi au point mort. Les autorités
françaises reprochent au Président malien
son attentisme alors même qu’elles ont
largement leur part de responsabilité dans
l’enlisement de la situation, les autorités et
l’armée maliennes ayant à ce jour à peine
pu remettre le pied à Kidal, qui reste dans
les faits sous contrôle français et onusien
(Cf. Billets n°230, décembre 2013).
La question du Nord et les pourparlers de
paix entre les groupes armés et le
gouvernement malien achoppent sur de
nombreux points : le désarmement et le
cantonnement des groupes, et le
déploiement de l’armée dans la région de
Kidal, comme conditions préalables à la
négociation ; les divisions et divergences de
vue entre groupes armés ; la crainte de
l’Etat malien de se mettre à dos une partie
de son opinion publique remontée contre
les groupes rebelles. Si la communauté
internationale pousse à la « réconciliation
», ce n’est pas une expression dans
laquelle se retrouvent forcément les
Maliens. Selon certains titres de la presse
malienne, ce serait la France qui imposerait
ces négociations, un bras de fer avec
Bamako qui attise les rumeurs. En évoquant
un blocus mis en place par l’Élysée pour
empêcher IBK d’acquérir des hélicoptères
de combat auprès d’États européens, le
journal malien Le Procès Verbal a ainsi
déclenché une marée de commentaires
hostiles à la France sur le web.
Sans doute sous ces pressions, le
gouvernement malien, après avoir nommé
un négociateur en chef, a affirmé le
23 avril devant le Conseil de sécurité sa
volonté de mener rapidement des
négociations avec les groupes armés du
nord du pays.
Enfin, si la France semble plus discrète
sur ses desseins pour le nord du Mali et
en prise de distance par rapport au
Mouvement national de libération de
l’Azawad (MNLA), son « auxiliaire pour
la reconquête » [1] et aux autres groupes
rebelles, de nombreux pays se font
concurrence pour jouer les médiateurs. Le
burkinabè Blaise Compaoré, médiateur
de la CEDEAO et allié de la France, est
rattrapé par sa politique intérieure et
désavoué par le Mali qui s’est rapproché
de l’Algérie. Face à cet axe, on peut se
demander si la France n’a pas encouragé
le Maroc à vouloir jouer un rôle
(Mohamed VI était en visite au Mali
début janvier) ou n’est pas à l’origine de
la création du « G5 du Sahel » en février
dernier, qui vise à concerter les efforts de
la Mauritanie, du Mali, du Burkina-Faso,
du Niger et du Tchad en matière de
développement et de sécurité. La France
participait d’ailleurs à la première réunion
des chefs d’Etat major de ce groupe, à la
mi-avril,
elle qui est militairement
présente dans les cinq pays !
En dépit du report de la signature de
l’accord de défense prévu initialement en
janvier, la présence de l’armée française
sur le long terme au Mali
(Cf. Billets n°232, février 2014), incluant
l’installation d’un poste avancé à Tessalit,
est présentée comme acquise par le
gouvernement français. On peut
s’interroger sur l’intérêt pour la France de
pousser pour un statut d’autonomie ou de
fédéralisme pour les régions du nord du
Mali – alors qu’elle peut déjà y faire ce
qu’elle veut !
A ce propos, François Hollande
expliquait en décembre que « s’il y a
encore une présence française en ce
moment, c’est bien pour combattre les
restes du terrorisme dans cette partie du
territoire malien » [2]. Si l’on en croit
diverses sources, on n’en est pas
forcément à combattre « les restes ». Ban
Ki Moon dans son dernier rapport
souligne que « la situation en matière de
sécurité s’est dans l’ensemble détériorée
dans le nord du Mali du fait de
l’intensification de l’activité des groupes
terroristes », lui qui notait déjà dans son
rapport précédent que « les conditions de
sécurité se sont considérablement
détériorées dans le nord » [3], dénombrant
l’augmentation des attaques commises
par des groupes armés, et également les
violences intercommunautaires du fait de
la prolifération des armes. Le rapport
explique aussi que les forces françaises
ont découvert fin décembre la deuxième
plus grande cache d’armes depuis le
début du conflit, « ce qui signifie que les
groupes terroristes ont toujours les
moyens de mener des opérations
d’envergure ».
Un rapport de l’ONG International Crisis
Group souligne, sur la base d’entretiens
avec des officiers de l’armée française,
que « le nombre de confrontations est
tombé après la reprise du nord,
principalement parce que les groupes
djihadistes ont agi de façon plus
discrète, mais aussi parce que les forces
françaises ont revu leurs règles
d’engagement » : une fois les villes
reprises, l’armée française a été moins
offensive, tandis que les groupes armés
se sont repliés dans le désert,
incontrôlable, et ont pu se réorganiser [4].
A ce jour, la guerre au Nord bat son
plein, avec les 1600 soldats français sur
place, la contribution des services de
renseignement et au besoin des autres
forces françaises présentes dans les pays
à proximité. Selon des informations
diffusées par RMC le 24 avril, Paris
s’apprêterait à lancer une nouvelle
opération militaire qui prendrait la suite
de l’opération Serval en ayant pour
objectif d’éradiquer les groupes
djihadistes dans toute la région du Sahel.
Pour cela, la France devrait se déployer
dans plusieurs pays : le Mali où
un
millier de militaires seront stationnés ,
le Burkina, le Niger et le Tchad. Si
l’Etatmajor
de l’armée a aussitôt
démenti cette annonce d’une fin
prochaine de Serval, le « nouveau »
dispositif ainsi décrit s’apparente
principalement à une rationalisation et
surtout à une forme d’officialisation de
positionnements militaires français conventionnels
et non conventionnels déjà
bien installés dans les pays en question
(Cf. Billets n°232, février 2014).
Un élément est révélateur de la situation
qui prévaut dans les régions du nord du
Mali : elles restent largement vidées de
leur population civile. Le rapport du
Secrétaire général de l’ONU du 28 mars
rappelle que vivent toujours dans les
pays limitrophes « 170 000 réfugiés
maliens immatriculés par le HCR
(contre 177 000 au moment où les
déplacements de population étaient les
plus massifs – en mai 2013). D’après
l’OIM, près de 200 000 déplacés étaient
toujours au Mali au 18 février, soit une
réduction d’environ 150 000 personnes
depuis le déplacement le plus massif en
2013. Les personnes déplacées
reviennent dans les agglomérations
urbaines du nord mais hésitent à
regagner leurs foyers dans les zones
rurales ».
Outre la situation au Nord, quid du
développement du Mali, l’un des grands
espoirs qui a conduit les Maliens sur le
chemin des urnes en juillet dernier,
notamment suite aux promesses
financières (3,25 milliards d’euros)
faites par les bailleurs lors de la
Conférence des donateurs pour le Mali
du 15 mai 2013 ? A l’occasion de la
deuxième réunion de suivi de cette
Conférence, qui s’est tenue le 5 février
2014 à Bruxelles, Oxfam soulignait que
« le montant exact des fonds transférés
au Mali demeure difficile à évaluer,
notamment à cause de la complexité des
engagements » [5] tandis que le CADTM
analysait l’« imposture » de cette aide :
composée en partie de prêts (à 36% pour
la France ; en quasi-totalité
pour la
Banque Mondiale, la Banque Africaine
de Développement et la Banque
Islamique de Développement ; en totalité
pour le FMI), et de montants déjà
annoncés avant le coup d’Etat de 2012,
elle est assujettie, pour le cas du FMI à
la mise en œuvre d’un plan d’ajustement
structurel, et de façon générale à la mise
en œuvre d’un plan de relance durable
pour le Mali mettant en avant les
priorités des bailleurs (libéralisation,
etc.) [6]. Les mouvements sociaux (dans
l’éducation nationale, village des « sans-terres
» victimes de l’accaparement des
terres, etc.) et les controverses actuelles
à l’encontre du Président témoignent
d’une situation sociale dégradée et d’une
crispation face aux engagements non
tenus d’IBK et de la communauté
internationale.
Dans ce contexte de négociations
bloquées, d’une guerre au terrorisme qui
perdure, et de retombées quasi invisibles
de l’aide internationale, il n’est guère
étonnant que l’on soit loin des
remerciements des Maliens à l’opération
Serval, et loin aussi de leur
enthousiasme suite à l’élection d’IBK.
En relayant ce scepticisme, les médias
français aussi sont sortis de
l’unanimisme de 2013 sur l’action de la
France au Mali.
[2] Ibid
[3] Rapports du Secrétaire général de l’ONU
sur la situation au Mali respectivement du
28 mars et du 2 janvier 2014