Survie

Mali : Fin de la lune de miel entre IBK et la France

rédigé le 28 avril 2014 (mis en ligne le 1er juillet 2014) - Juliette Poirson

Alors qu’il y a quelques mois, la France considérait le nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) comme un homme providentiel pour le Mali, les relations entre Paris et Bamako se tendent, la relance économique et politique du Mali et les négociations concernant le nord du pays ne se passant pas comme prévu par les autorités françaises.

De la même manière qu’Hollande exigeait des élections au Mali en mars dernier, Jean-Yves Le Drian tance le Président malien : «  Je trouve qu’il n’avance pas assez vite, je le dis très clairement. Je pense que l’heure est venue. Le processus de réconciliation est impérieusement nécessaire pour garantir l’intégrité du Mali, la paix et le développement. Je l’ai déjà dit à Ibrahim Boubacar Keïta, à Bamako, en janvier dernier » (Jeune Afrique, 14/04).

Négociations au point mort

Depuis des mois, le désarmement des groupes armés touareg, toujours présents à Kidal, prévu par les accords de Ouagadougou de juin 2013 comme prélude aux négociations n’a toujours pas eu lieu et le calendrier des négociations est quasi au point mort. Les autorités françaises reprochent au Président malien son attentisme alors même qu’elles ont largement leur part de responsabilité dans l’enlisement de la situation, les autorités et l’armée maliennes ayant à ce jour à peine pu remettre le pied à Kidal, qui reste dans les faits sous contrôle français et onusien (Cf. Billets n°230, décembre 2013).

La question du Nord et les pourparlers de paix entre les groupes armés et le gouvernement malien achoppent sur de nombreux points : le désarmement et le cantonnement des groupes, et le déploiement de l’armée dans la région de Kidal, comme conditions préalables à la négociation ; les divisions et divergences de vue entre groupes armés ; la crainte de l’Etat malien de se mettre à dos une partie de son opinion publique remontée contre les groupes rebelles. Si la communauté internationale pousse à la « réconciliation  », ce n’est pas une expression dans laquelle se retrouvent forcément les Maliens. Selon certains titres de la presse malienne, ce serait la France qui imposerait ces négociations, un bras de fer avec Bamako qui attise les rumeurs. En évoquant un blocus mis en place par l’Élysée pour empêcher IBK d’acquérir des hélicoptères de combat auprès d’États européens, le journal malien Le Procès Verbal a ainsi déclenché une marée de commentaires hostiles à la France sur le web.

Sans doute sous ces pressions, le gouvernement malien, après avoir nommé un négociateur en chef, a affirmé le 23 avril devant le Conseil de sécurité sa volonté de mener rapidement des négociations avec les groupes armés du nord du pays.

Enfin, si la France semble plus discrète sur ses desseins pour le nord du Mali et en prise de distance par rapport au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), son «  auxiliaire pour la reconquête » [1] et aux autres groupes rebelles, de nombreux pays se font concurrence pour jouer les médiateurs. Le burkinabè Blaise Compaoré, médiateur de la CEDEAO et allié de la France, est rattrapé par sa politique intérieure et désavoué par le Mali qui s’est rapproché de l’Algérie. Face à cet axe, on peut se demander si la France n’a pas encouragé le Maroc à vouloir jouer un rôle (Mohamed VI était en visite au Mali début janvier) ou n’est pas à l’origine de la création du « G5 du Sahel » en février dernier, qui vise à concerter les efforts de la Mauritanie, du Mali, du Burkina-Faso, du Niger et du Tchad en matière de développement et de sécurité. La France participait d’ailleurs à la première réunion des chefs d’Etat major de ce groupe, à la mi-avril, elle qui est militairement présente dans les cinq pays !

En dépit du report de la signature de l’accord de défense prévu initialement en janvier, la présence de l’armée française sur le long terme au Mali (Cf. Billets n°232, février 2014), incluant l’installation d’un poste avancé à Tessalit, est présentée comme acquise par le gouvernement français. On peut s’interroger sur l’intérêt pour la France de pousser pour un statut d’autonomie ou de fédéralisme pour les régions du nord du Mali – alors qu’elle peut déjà y faire ce qu’elle veut !

« Restes du terrorisme » ?

A ce propos, François Hollande expliquait en décembre que « s’il y a encore une présence française en ce moment, c’est bien pour combattre les restes du terrorisme dans cette partie du territoire malien » [2]. Si l’on en croit diverses sources, on n’en est pas forcément à combattre « les restes ». Ban Ki Moon dans son dernier rapport souligne que « la situation en matière de sécurité s’est dans l’ensemble détériorée dans le nord du Mali du fait de l’intensification de l’activité des groupes terroristes », lui qui notait déjà dans son rapport précédent que « les conditions de sécurité se sont considérablement détériorées dans le nord » [3], dénombrant l’augmentation des attaques commises par des groupes armés, et également les violences intercommunautaires du fait de la prolifération des armes. Le rapport explique aussi que les forces françaises ont découvert fin décembre la deuxième plus grande cache d’armes depuis le début du conflit, « ce qui signifie que les groupes terroristes ont toujours les moyens de mener des opérations d’envergure ».

Un rapport de l’ONG International Crisis Group souligne, sur la base d’entretiens avec des officiers de l’armée française, que « le nombre de confrontations est tombé après la reprise du nord, principalement parce que les groupes djihadistes ont agi de façon plus discrète, mais aussi parce que les forces françaises ont revu leurs règles d’engagement » : une fois les villes reprises, l’armée française a été moins offensive, tandis que les groupes armés se sont repliés dans le désert, incontrôlable, et ont pu se réorganiser [4]. A ce jour, la guerre au Nord bat son plein, avec les 1600 soldats français sur place, la contribution des services de renseignement et au besoin des autres forces françaises présentes dans les pays à proximité. Selon des informations diffusées par RMC le 24 avril, Paris s’apprêterait à lancer une nouvelle opération militaire qui prendrait la suite de l’opération Serval en ayant pour objectif d’éradiquer les groupes djihadistes dans toute la région du Sahel. Pour cela, la France devrait se déployer dans plusieurs pays : le Mali où un millier de militaires seront stationnés , le Burkina, le Niger et le Tchad. Si l’Etatmajor de l’armée a aussitôt démenti cette annonce d’une fin prochaine de Serval, le « nouveau » dispositif ainsi décrit s’apparente principalement à une rationalisation et surtout à une forme d’officialisation de positionnements militaires français conventionnels et non conventionnels déjà bien installés dans les pays en question (Cf. Billets n°232, février 2014).

Un élément est révélateur de la situation qui prévaut dans les régions du nord du Mali : elles restent largement vidées de leur population civile. Le rapport du Secrétaire général de l’ONU du 28 mars rappelle que vivent toujours dans les pays limitrophes « 170 000 réfugiés maliens immatriculés par le HCR (contre 177 000 au moment où les déplacements de population étaient les plus massifs – en mai 2013). D’après l’OIM, près de 200 000 déplacés étaient toujours au Mali au 18 février, soit une réduction d’environ 150 000 personnes depuis le déplacement le plus massif en 2013. Les personnes déplacées reviennent dans les agglomérations urbaines du nord mais hésitent à regagner leurs foyers dans les zones rurales ».

L’ « imposture »

Outre la situation au Nord, quid du développement du Mali, l’un des grands espoirs qui a conduit les Maliens sur le chemin des urnes en juillet dernier, notamment suite aux promesses financières (3,25 milliards d’euros) faites par les bailleurs lors de la Conférence des donateurs pour le Mali du 15 mai 2013 ? A l’occasion de la deuxième réunion de suivi de cette Conférence, qui s’est tenue le 5 février 2014 à Bruxelles, Oxfam soulignait que « le montant exact des fonds transférés au Mali demeure difficile à évaluer, notamment à cause de la complexité des engagements » [5] tandis que le CADTM analysait l’« imposture » de cette aide : composée en partie de prêts (à 36% pour la France ; en quasi-totalité pour la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et la Banque Islamique de Développement ; en totalité pour le FMI), et de montants déjà annoncés avant le coup d’Etat de 2012, elle est assujettie, pour le cas du FMI à la mise en œuvre d’un plan d’ajustement structurel, et de façon générale à la mise en œuvre d’un plan de relance durable pour le Mali mettant en avant les priorités des bailleurs (libéralisation, etc.) [6]. Les mouvements sociaux (dans l’éducation nationale, village des «  sans-terres  » victimes de l’accaparement des terres, etc.) et les controverses actuelles à l’encontre du Président témoignent d’une situation sociale dégradée et d’une crispation face aux engagements non tenus d’IBK et de la communauté internationale.

Dans ce contexte de négociations bloquées, d’une guerre au terrorisme qui perdure, et de retombées quasi invisibles de l’aide internationale, il n’est guère étonnant que l’on soit loin des remerciements des Maliens à l’opération Serval, et loin aussi de leur enthousiasme suite à l’élection d’IBK. En relayant ce scepticisme, les médias français aussi sont sortis de l’unanimisme de 2013 sur l’action de la France au Mali.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 235 - mai 2014
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