Depuis l’automne 2013 l’État du Niger, par la voix de son Président Mahamadou Issoufou
et de son ministre des Mines Hamidou Tchiana, développait un discours virulent envers la
multinationale française Areva, en vue de rectifier des « relations déséquilibrées » depuis
plus de quarante ans. Retour sur huit mois de négociations difficiles, conclues par
l’annonce d’un accord le 26 mai, dans un contexte sahélien extrêmement instable.
Les conventions minières encadrant
l’activité de deux des filiales
d’Areva au Niger (la SOMAIR et
la COMINAK), arrivées à terme le 31
décembre 2013, étaient en renégociation
depuis des mois.
Lundi 26 mai, le gouvernement du Niger
et Areva ont enfin annoncé la signature
d’un nouvel accord qui prend en compte
la loi minière nigérienne de 2006.
L’objectif des Nigériens était d’obtenir
une nouvelle convention minière
décennale permettant de faire passer la
part des revenus de l’exploitation de
l’uranium de 5% des recettes du budget
national actuellement (6.5% du PIB) à
20% à l’issue du nouvel accord. Le Niger
se basait sur le nouveau code minier entré
en vigueur en 2006 qui fait passer le taux
de redevance de 5,5% à 12 % du chiffre
d’affaires des entreprises minières et met
théoriquement fin à un grand nombre
d’exonérations de taxes sur les
approvisionnements et les équipements
dont Areva bénéficiait depuis les débuts
de l’exploitation, il y a près de 50 ans.
Sur ce dernier point le Niger n’a pas su
faire plier Areva, puisque l’accord inclut
une exonération totale de TVA pour les
activités des deux mines.
L’instabilité du contexte sahélien a joué
défavorablement pour le Niger dans ces
négociations. Embarqué dans la « guerre
contre le terrorisme » menée par la
France dans tout le Sahel, le Niger a les
plus grandes difficultés à s’assurer que
les conflits au Mali, en Libye mais
également à sa frontière sud avec le
Nigeria n’impactent pas trop fortement
une situation sécuritaire intérieure
précaire. Le Niger avait autorisé la
présence de forces spéciales françaises
sur son sol, non seulement à proximité
des installations minières à la suite des
enlèvements des employés d’Areva fin
2010, mais également à Niamey avec
l’installation plus récente d’une base de
drones avec à terme 270 soldats, pour une
durée indéterminée (Jeune Afrique,
10/01/14).
Cela n’a visiblement pas permis d’en faire
un argument dans les négociations sur
l’uranium, pour faire payer une sorte de
« loyer » à l’armée française par la
revalorisation substantielle des conditions
de l’exploitation du minerai par la société
publique Areva. La France refuse en effet
officiellement de lier les deux questions,
alors que selon le ministre français de la
Défense, JY.
Le Drian, le Niger est
désormais un « maillon-clé
» du dispositif
militaire au Sahel, et l’armée française s’y
implante « dans la durée » (LeMonde.fr,
25/03). La faiblesse des forces armées
nigériennes place le Niger dans une
situation de dépendance militaire très
forte vis-à-vis
de la France et l’empêche
d’envisager des contreparties réelles au
stationnement des forces françaises et à
l’utilisation de ses installations militaires.
A deux ans de la tenue de la présidentielle
nigérienne, en 2016, où il briguera un
second mandat, Issoufou avait besoin de
nouvelles recettes pour honorer ses
promesses et de montrer à son opinion
publique qu’il pouvait influencer le cours
des négociations, lui qui avait annoncé la
transformation du pays grâce aux
nouveaux revenus générés par l’uranium
(mine géante d’Imouraren) et le pétrole.
Hélas pour sa crédibilité, l’exploitation de
la mine géante d’Imouraren a été
repoussée sine die dans le nouvel accord.
Areva évoque une conjoncture
défavorable, le prix de l’uranium étant au
plus bas depuis l’accident dans la centrale
japonaise de Fukushima. Mais outre cette
chute des cours qui amène le géant du
nucléaire à revoir depuis 3 ans la
rentabilité d’une mise en exploitation
immédiate de ce gisement aux teneurs en
uranium insuffisantes, on peut imaginer
que ses pertes financières massives dans
l’affaire Uramin, ne lui permette pas de
débloquer les liquidités nécessaires à la
poursuite des travaux. Dans tous les cas,
les Nigériens, qui escomptaient une mise
en exploitation rapide lors de l’octroi du
marché, paient les mauvais calculs des
dirigeants d’Areva.
Bon prince, Luc Oursel président du
directoire d’Areva consent à distribuer
des miettes sous forme de participation à
des projets de développement. Dans le
cadre de cet accord, Areva annonce
qu’elle financera une petite partie de la
route dite « de l’uranium » Tahoua-Arlit,
pour 90 millions d’euros (une somme
dérisoire, au regard des 800 km à
bitumer…), et un projet agricole en plein
désert pour 17 autres millions : en
comparaison, rien que l’exonération de
TVA devrait lui faire économiser chaque
année 10 à 15 millions d’euros, selon les
calculs d’Oxfam France et de l’ONG
nigérienne le ROTAB. Toujours grand
seigneur, Areva consent après 45 années
d’exploitation à confier les postes de
direction des mines à des Nigériens.
Bienheureux ces collaborateurs, qui
auront dans quelques années à gérer la
fermeture de ces deux mines et leurs
conséquences qui ne manqueront pas
d’être dramatiques sur le plan social mais
aussi environnemental.
La partie nigérienne avait pourtant
bien commencé ses négociations fin
septembre 2013, enchaînant les
annonces chocs sur les très faibles
retombées financières générées par
l’exploitation d’uranium et sur sa
volonté de réaliser un audit des
sociétés minières contrôlées par Areva.
Luc Oursel, le successeur d’Anne
Lauvergeon à la tête du géant français
de l’atome, volait éteindre le feu à
Niamey dès le début du mois
d’octobre, inaugurant une série de
déplacements chez son « partenaire
historique ». Les organisations de la
société civile nigérienne, très largement sensibilisées sur ces
questions, lui organisaient un comité
d’accueil prenant la forme de
manifestations géantes, avec des milliers
de participantes
dénonçant les
conditions indignes de l’exploitation de
l’uranium par Areva.
Surpris, Areva répliquait d’abord
doucement en mettant en avant ses
« nombreux projets sociaux, en matière
de développement économique et de
santé » au Niger (AFP, 14.10.2013), puis
plus durement en menaçant le 23 octobre
de fermer l’une de ses mines pour tester
la solidarité des syndicats avec la
stratégie de bras de fer mise en œuvre par
le pouvoir. Ce choix d’Areva de miser sur
le chantage à l’emploi dans le pays le
moins bien classé à l’Indice de
Développement Humain de l’ONU, sera
la stratégie qu’Areva privilégiera dans la
suite des négociations.
Fin novembre 2013 la sortie du rapport
d’Oxfam [1] met le feu aux poudres. Ce
rapport pointe du doigt le refus d’Areva
de se plier à la loi minière nigérienne de
2006, au prétexte que la convention
initiale d’exploitation datant de 1968, qui
exonère très largement Areva sur le plan
fiscal, est signée pour une durée de
75 ans, soit jusqu’en 2043 ! Areva
annonce sur la base d’un rapport d’audit
commandé à Bearing Point mais à ce jour
confidentiel, que les nouvelles dispositions
fiscales nigériennes rendraient
l’activité minière non rentable et
entraîneraient la fermeture immédiate des
mines en activité et à venir ! Areva
annonce ensuite fin décembre que les
deux mines nigériennes en activité seront
« fermées pour maintenance » un mois, le
temps de bien faire sentir à la partie
nigérienne quelles pourraient être les
conséquences économiques et sociales
d’une trop grande détermination de sa
part à rééquilibrer le « partenariat ».
Cette posture radicale d’Areva fait mouche
auprès des autorités nigériennes qui
annoncent la prolongation des négociations
au-delà
de la période du
31 décembre 2013, et autorisent par décret
Areva à poursuivre ses activités le temps
qu’un accord soit trouvé. Début janvier,
Mohamed Bazoum, ministre des Affaires
Etrangères du Niger, s’invite dans le débat
et déclare contre toute attente à la
télévision nationale que « ce ne sera
probablement pas la loi de 2006 qui
s’appliquera » (nouvelobs.com, 5/01),
invitant ainsi Areva à comprendre que les
autorités nigériennes ont fait leur choix.
Qu’importe si la société civile nigérienne
rappelle « les conséquences environnementales
et sociales de l’exploitation
d’uranium sans réelles contreparties pour
le pays », pour Ramatou Solli (GREN), ou
encore la difficulté de négocier avec « la
compagnie nationale de l’ancienne
puissance coloniale », pour Ali Idrissa
(ROTAB). Officiellement, les négociations
se poursuivent, et Pascal Canfin, alors
encore ministre délégué au Développement,
déclare à l’Assemblée nationale le
5 février 2014 que les demandes du Niger
lui semblent légitimes, expression d’une
bienveillante condescendance tardive sans
aucune conséquence sur la suite des
négociations. Les déclarations annonçant
la conclusion imminente d’un accord se
multiplient de février à fin avril sans que
cela se concrétise.
Dans son discours du 7 avril, le président
Issoufou louvoie sur de potentielles
avancées, pour ne pas perdre la face : le
Niger obtiendra un bouquet de mesures
concrètes mais annexes comme la
« nigérisation immédiate du poste de
directeur général de la Somaïr et celle
dans deux ans de celui de la Cominak,
une plus grande participation du Niger à
la gouvernance des sociétés, la
réhabilitation de la Route TahouaArlit,
la construction d’un siège pour les
sociétés productrices d’uranium à
Niamey et l’accélération de la mise en
valeur de la vallée de l’Irhazer ». Il y
renouvelle toutefois sa promesse
d’imposer à Areva la législation minière,
mais sans plus de précision.
Avec l’annonce de ce nouvel accord, les
autorités nigériennes masquent difficilement
leur renonciation partielle à leurs
prétentions. Car bien que la renégociation
voit finalement Areva céder sur la
fiscalité minière, qui passerait de 5,5 à
12 % (l’augmentation des recettes pour le
Niger est estimée à 20 à 50 millions
d’euros annuels), les informations qu’ont
laissé filtrer les deux parties sur d’autres
compensations inquiètent la société civile
nigérienne, qui exige la publication de
l’accord, et déplore déjà le report de la
mise en exploitation d’Imouraren et la
non prise en compte des aspects
environnementaux dans la négociation.
Areva a lâché un peu de lest car elle ne
peut dans l’immédiat se priver des
gisements nigériens, qui représentent un
tiers de ses approvisionnements annuels
et fournissent 10% du combustible pour
les centrales françaises. Mais surtout elle
ne peut renoncer aux investissements déjà
réalisés sur la mine géante d’Imouraren.
Elle force donc le Niger à assumer la
mise sous cocon du projet en présentant
cette décision comme un choix partagé,
ce qui n’est pas le cas.
Le président Issoufou a vite compris qu’il
ne pourrait pas redorer son image,
largement écornée par sa soumission aux
responsables politiques et militaires
français depuis le déclenchement de la
guerre française au Mali et les multiples
reports de la mise en exploitation
d’Imouraren, promesse phare de sa
campagne de 2011. Mais il n’est pas
question pour lui de supporter les
critiques faites à son régime et à ses
promesses non tenues. Ces dernières
semaines de nombreuses arrestations,
d’opposants politiques, de journalistes,
d’un militant des droits de l’homme
dénonçant les risques de famine chez les
enfants nigériens, ont eu lieu. Des
bureaux de journaux et de syndicats ont
été fermés. L’atmosphère se fait de plus
en plus lourde à Niamey et dans tout le
Niger. Acculé économiquement, politiquement
et militairement, Issoufou a
choisi la fuite en avant autoritaire comme
nombre de ses prédécesseurs au Niger. Ce
qui n’a jamais empêché Areva d’y faire
de lucratives affaires.