Survie

Pillage des ressources. Bras de fer du Niger avec Areva : un coup pour rien ?

rédigé le 30 mai 2014 (mis en ligne le 13 juin 2014) - Danyel Dubreuil

Depuis l’automne 2013 l’État du Niger, par la voix de son Président Mahamadou Issoufou et de son ministre des Mines Hamidou Tchiana, développait un discours virulent envers la multinationale française Areva, en vue de rectifier des « relations déséquilibrées » depuis plus de quarante ans. Retour sur huit mois de négociations difficiles, conclues par l’annonce d’un accord le 26 mai, dans un contexte sahélien extrêmement instable.

Les conventions minières encadrant l’activité de deux des filiales d’Areva au Niger (la SOMAIR et la COMINAK), arrivées à terme le 31 décembre 2013, étaient en renégociation depuis des mois.

Lundi 26 mai, le gouvernement du Niger et Areva ont enfin annoncé la signature d’un nouvel accord qui prend en compte la loi minière nigérienne de 2006.

L’objectif des Nigériens était d’obtenir une nouvelle convention minière décennale permettant de faire passer la part des revenus de l’exploitation de l’uranium de 5% des recettes du budget national actuellement (6.5% du PIB) à 20% à l’issue du nouvel accord. Le Niger se basait sur le nouveau code minier entré en vigueur en 2006 qui fait passer le taux de redevance de 5,5% à 12 % du chiffre d’affaires des entreprises minières et met théoriquement fin à un grand nombre d’exonérations de taxes sur les approvisionnements et les équipements dont Areva bénéficiait depuis les débuts de l’exploitation, il y a près de 50 ans. Sur ce dernier point le Niger n’a pas su faire plier Areva, puisque l’accord inclut une exonération totale de TVA pour les activités des deux mines.

Uranium contre base militaire

L’instabilité du contexte sahélien a joué défavorablement pour le Niger dans ces négociations. Embarqué dans la « guerre contre le terrorisme » menée par la France dans tout le Sahel, le Niger a les plus grandes difficultés à s’assurer que les conflits au Mali, en Libye mais également à sa frontière sud avec le Nigeria n’impactent pas trop fortement une situation sécuritaire intérieure précaire. Le Niger avait autorisé la présence de forces spéciales françaises sur son sol, non seulement à proximité des installations minières à la suite des enlèvements des employés d’Areva fin 2010, mais également à Niamey avec l’installation plus récente d’une base de drones avec à terme 270 soldats, pour une durée indéterminée (Jeune Afrique, 10/01/14).

Cela n’a visiblement pas permis d’en faire un argument dans les négociations sur l’uranium, pour faire payer une sorte de « loyer » à l’armée française par la revalorisation substantielle des conditions de l’exploitation du minerai par la société publique Areva. La France refuse en effet officiellement de lier les deux questions, alors que selon le ministre français de la Défense, JY. Le Drian, le Niger est désormais un « maillon-clé  » du dispositif militaire au Sahel, et l’armée française s’y implante « dans la durée » (LeMonde.fr, 25/03). La faiblesse des forces armées nigériennes place le Niger dans une situation de dépendance militaire très forte vis-à-vis de la France et l’empêche d’envisager des contreparties réelles au stationnement des forces françaises et à l’utilisation de ses installations militaires.

A deux ans de la tenue de la présidentielle nigérienne, en 2016, où il briguera un second mandat, Issoufou avait besoin de nouvelles recettes pour honorer ses promesses et de montrer à son opinion publique qu’il pouvait influencer le cours des négociations, lui qui avait annoncé la transformation du pays grâce aux nouveaux revenus générés par l’uranium (mine géante d’Imouraren) et le pétrole.

Hélas pour sa crédibilité, l’exploitation de la mine géante d’Imouraren a été repoussée sine die dans le nouvel accord. Areva évoque une conjoncture défavorable, le prix de l’uranium étant au plus bas depuis l’accident dans la centrale japonaise de Fukushima. Mais outre cette chute des cours qui amène le géant du nucléaire à revoir depuis 3 ans la rentabilité d’une mise en exploitation immédiate de ce gisement aux teneurs en uranium insuffisantes, on peut imaginer que ses pertes financières massives dans l’affaire Uramin, ne lui permette pas de débloquer les liquidités nécessaires à la poursuite des travaux. Dans tous les cas, les Nigériens, qui escomptaient une mise en exploitation rapide lors de l’octroi du marché, paient les mauvais calculs des dirigeants d’Areva.

Bon prince, Luc Oursel président du directoire d’Areva consent à distribuer des miettes sous forme de participation à des projets de développement. Dans le cadre de cet accord, Areva annonce qu’elle financera une petite partie de la route dite « de l’uranium » Tahoua-Arlit, pour 90 millions d’euros (une somme dérisoire, au regard des 800 km à bitumer…), et un projet agricole en plein désert pour 17 autres millions : en comparaison, rien que l’exonération de TVA devrait lui faire économiser chaque année 10 à 15 millions d’euros, selon les calculs d’Oxfam France et de l’ONG nigérienne le ROTAB. Toujours grand seigneur, Areva consent après 45 années d’exploitation à confier les postes de direction des mines à des Nigériens. Bienheureux ces collaborateurs, qui auront dans quelques années à gérer la fermeture de ces deux mines et leurs conséquences qui ne manqueront pas d’être dramatiques sur le plan social mais aussi environnemental.

Issoufou contre Goliath

La partie nigérienne avait pourtant bien commencé ses négociations fin septembre 2013, enchaînant les annonces chocs sur les très faibles retombées financières générées par l’exploitation d’uranium et sur sa volonté de réaliser un audit des sociétés minières contrôlées par Areva. Luc Oursel, le successeur d’Anne Lauvergeon à la tête du géant français de l’atome, volait éteindre le feu à Niamey dès le début du mois d’octobre, inaugurant une série de déplacements chez son « partenaire historique ». Les organisations de la société civile nigérienne, très largement sensibilisées sur ces questions, lui organisaient un comité d’accueil prenant la forme de manifestations géantes, avec des milliers de participantes dénonçant les conditions indignes de l’exploitation de l’uranium par Areva.

Surpris, Areva répliquait d’abord doucement en mettant en avant ses « nombreux projets sociaux, en matière de développement économique et de santé  » au Niger (AFP, 14.10.2013), puis plus durement en menaçant le 23 octobre de fermer l’une de ses mines pour tester la solidarité des syndicats avec la stratégie de bras de fer mise en œuvre par le pouvoir. Ce choix d’Areva de miser sur le chantage à l’emploi dans le pays le moins bien classé à l’Indice de Développement Humain de l’ONU, sera la stratégie qu’Areva privilégiera dans la suite des négociations.

Fin novembre 2013 la sortie du rapport d’Oxfam [1] met le feu aux poudres. Ce rapport pointe du doigt le refus d’Areva de se plier à la loi minière nigérienne de 2006, au prétexte que la convention initiale d’exploitation datant de 1968, qui exonère très largement Areva sur le plan fiscal, est signée pour une durée de 75 ans, soit jusqu’en 2043 ! Areva annonce sur la base d’un rapport d’audit commandé à Bearing Point mais à ce jour confidentiel, que les nouvelles dispositions fiscales nigériennes rendraient l’activité minière non rentable et entraîneraient la fermeture immédiate des mines en activité et à venir ! Areva annonce ensuite fin décembre que les deux mines nigériennes en activité seront «  fermées pour maintenance  » un mois, le temps de bien faire sentir à la partie nigérienne quelles pourraient être les conséquences économiques et sociales d’une trop grande détermination de sa part à rééquilibrer le « partenariat ».

Un panneau publicitaire « offert par Areva », à Niamey, en 2008.
Photo CC Thomas Noirot

Discrets renoncements

Cette posture radicale d’Areva fait mouche auprès des autorités nigériennes qui annoncent la prolongation des négociations au-delà de la période du 31 décembre 2013, et autorisent par décret Areva à poursuivre ses activités le temps qu’un accord soit trouvé. Début janvier, Mohamed Bazoum, ministre des Affaires Etrangères du Niger, s’invite dans le débat et déclare contre toute attente à la télévision nationale que « ce ne sera probablement pas la loi de 2006 qui s’appliquera » (nouvelobs.com, 5/01), invitant ainsi Areva à comprendre que les autorités nigériennes ont fait leur choix. Qu’importe si la société civile nigérienne rappelle « les conséquences environnementales et sociales de l’exploitation d’uranium sans réelles contreparties pour le pays », pour Ramatou Solli (GREN), ou encore la difficulté de négocier avec « la compagnie nationale de l’ancienne puissance coloniale », pour Ali Idrissa (ROTAB). Officiellement, les négociations se poursuivent, et Pascal Canfin, alors encore ministre délégué au Développement, déclare à l’Assemblée nationale le 5 février 2014 que les demandes du Niger lui semblent légitimes, expression d’une bienveillante condescendance tardive sans aucune conséquence sur la suite des négociations. Les déclarations annonçant la conclusion imminente d’un accord se multiplient de février à fin avril sans que cela se concrétise.

Dans son discours du 7 avril, le président Issoufou louvoie sur de potentielles avancées, pour ne pas perdre la face : le Niger obtiendra un bouquet de mesures concrètes mais annexes comme la « nigérisation immédiate du poste de directeur général de la Somaïr et celle dans deux ans de celui de la Cominak, une plus grande participation du Niger à la gouvernance des sociétés, la réhabilitation de la Route TahouaArlit, la construction d’un siège pour les sociétés productrices d’uranium à Niamey et l’accélération de la mise en valeur de la vallée de l’Irhazer ». Il y renouvelle toutefois sa promesse d’imposer à Areva la législation minière, mais sans plus de précision.

Avec l’annonce de ce nouvel accord, les autorités nigériennes masquent difficilement leur renonciation partielle à leurs prétentions. Car bien que la renégociation voit finalement Areva céder sur la fiscalité minière, qui passerait de 5,5 à 12 % (l’augmentation des recettes pour le Niger est estimée à 20 à 50 millions d’euros annuels), les informations qu’ont laissé filtrer les deux parties sur d’autres compensations inquiètent la société civile nigérienne, qui exige la publication de l’accord, et déplore déjà le report de la mise en exploitation d’Imouraren et la non prise en compte des aspects environnementaux dans la négociation. Areva a lâché un peu de lest car elle ne peut dans l’immédiat se priver des gisements nigériens, qui représentent un tiers de ses approvisionnements annuels et fournissent 10% du combustible pour les centrales françaises. Mais surtout elle ne peut renoncer aux investissements déjà réalisés sur la mine géante d’Imouraren. Elle force donc le Niger à assumer la mise sous cocon du projet en présentant cette décision comme un choix partagé, ce qui n’est pas le cas.

Le président Issoufou a vite compris qu’il ne pourrait pas redorer son image, largement écornée par sa soumission aux responsables politiques et militaires français depuis le déclenchement de la guerre française au Mali et les multiples reports de la mise en exploitation d’Imouraren, promesse phare de sa campagne de 2011. Mais il n’est pas question pour lui de supporter les critiques faites à son régime et à ses promesses non tenues. Ces dernières semaines de nombreuses arrestations, d’opposants politiques, de journalistes, d’un militant des droits de l’homme dénonçant les risques de famine chez les enfants nigériens, ont eu lieu. Des bureaux de journaux et de syndicats ont été fermés. L’atmosphère se fait de plus en plus lourde à Niamey et dans tout le Niger. Acculé économiquement, politiquement et militairement, Issoufou a choisi la fuite en avant autoritaire comme nombre de ses prédécesseurs au Niger. Ce qui n’a jamais empêché Areva d’y faire de lucratives affaires.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 236 - juin 2014
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