Survie

La France réorganise ses troupes en Afrique

rédigé le 31 août 2014 (mis en ligne le 15 novembre 2014) - Raphaël Granvaud

Après une tournée de François Hollande en Afrique (Côte d’Ivoire, Niger, Tchad), l’opération antiterroriste Barkhane a été officialisée le 1er août. Dans le même temps, un rapport parlementaire sur « l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours » était publié, d’où sont extraites les citations qui suivent.

Après une tournée de François Hollande en Afrique (Côte d’Ivoire, Niger, Tchad), l’opération antiterroriste Barkhane a été officialisée le 1er août. Dans le même temps, un rapport parlementaire sur « l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours » était publié, d’où sont extraites les citations qui suivent.

Préparée depuis plusieurs mois, dans la foulée de l’opération Serval au Mali, l’opération Barkhane a été rendue publique cet été. Plus qu’une nième intervention française, il s’agit d’une véritable réorganisation du dispositif militaire dédié à la guerre contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne. Trois mille militaires, incluant des forces spéciales, jusque là présents dans le cadre d’opérations distinctes (Serval au Mali et Epervier au Tchad), sont regroupés sous un commandement unique.

Le Sahel quadrillé

Officiellement, Barkhane « n’a pas vocation à être permanent : il reste et restera régi par le statut des opérations extérieures ». Dans les faits, N’Djamena reste une base militaire dont les effectifs grimpent à 1300 hommes. Le second des « points d’appui principaux » est situé à Gao au Mali (1100 hommes) et est considéré par l’état-major de l’armée de terre comme « le meilleur stationnement d’importance pour pouvoir durer dans la zone ». Autour de ces pôles principaux, gravitent plusieurs implantations plus légères et évolutives, de forces conventionnelles ou de forces spéciales, couvrant cinq pays (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso et Mauritanie, avec des incursions vraisemblables vers la Libye). En outre, le Niger, longtemps réticent à l’implantation d’une base militaire étrangère, accueille désormais un centre dédié au renseignement aérien (250 à 300 hommes), où Français et Américains « travaillent » en étroite collaboration. Enfin la « task force Sabre », opération secrète des forces spéciales du COS [1], qui avait préparé l’opération Serval, garde son existence autonome.

Mains libres

Cette organisation transfrontalière doit permettre à l’armée française de « disposer de capacités réactives et flexibles », comme prévu par le dernier Livre Blanc sur la défense. A cette fin, de nouveaux accords militaires partiellement secrets ont été signés avec le Tchad, le Mali ou le Niger, qui, comme dans ce dernier pays « donnent à la France le droit de mener seule des opérations (…) y compris en y pratiquant des frappes ». Comme au Mali depuis un an, la France pourra mener « plusieurs types d’actions » : patrouilles, « actions d’influences (…) auprès des personnalités locales » et de la population, recherche et exploitation du renseignement pour « de plus vastes "opérations d’ensemble" » ou « des "opérations ciblées", consistant le plus souvent à traiter une cible ». « Traiter » ou « neutraliser » signifiant bien entendu procéder à des assassinats ciblés.

Combien d’hommes à Djibouti ?

Le dernier rapport parlementaire, n’est, comme les précédents, guère critique (litote) à l’encontre de l’institution militaire. L’un des rapporteurs (Yves Fromion) a même commencé sa carrière comme officier d’active dans le 1er régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine qui alimente aujourd’hui les forces spéciales. Les députés appuient notamment les protestations des militaires hostiles à une trop forte diminution des effectifs à Djibouti, et qui font valoir d’une part les très fortes potentialités stratégiques et économiques de la région qui suscitent des convoitises, mais également le fait que, malgré la renégociation récente des accords de défense et la disparition des clauses d’engagement de l’armée française (qui justifiaient juridiquement certaines de ses interventions dans les pays signataires de ces accords), « Djibouti est le seul État avec lequel une telle clause existe encore ». C’est même « le seul endroit dans le monde où la France "assure la mission régalienne de défense aérienne en lieu et place du Gouvernement" de la nation hôte. Certes, le traité stipule désormais que la France "participe à" la mission de défense aérienne, et non plus l’"assure", mais ce changement sémantique n’a pour l’heure pas de portée concrète ». Or, menacent-ils, si le plan de déflation des effectifs est appliqué (950 hommes prévus), et si l’on n’en maintient pas au moins 1300 sur place, cela signifiera « une incapacité à un engagement opérationnel, y compris pour la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti » et donc une rupture de l’accord de défense. Parions qu’ils auront gain de cause…

G5 du Sahel

Opportunément, les cinq pays concernés par l’opération Barkhane se sont regroupés en février dernier dans un G5 du Sahel, officiellement à l’initiative de la Mauritanie. Un « cas (…) emblématique de ce que la France peut faire pour soutenir des initiatives de coopération entre pays africains dans le domaine de la défense et de la sécurité », estiment nos députés. Dans ce cadre où la France « a un statut d’observateur », elle se flatte de pouvoir appuyer les actions décidées, mais aussi de mener « un travail d’accompagnement diplomatique et de mise en cohérence des diverses initiatives ». En clair, il s’agit d’ « associer le Sénégal aux opérations du G5 qui peuvent le concerner ». Le président sénégalais Macky Sall s’était en effet plaint d’avoir été écarté du G5 auprès du ministre français de la Défense, Le Drian (Jeune Afrique, 23/05). Il s’agit aussi de faire tampon avec le pouvoir militaire algérien, lequel voit d’un mauvais œil cette structure présidée par la Mauritanie et sous forte influence française qui vient concurrencer le CEMOC (Comité d’état-major opérationnel conjoint) impulsé en 2010 par l’Algérie et associant le Mali, la Mauritanie et le Niger, officiellement pour définir une politique commune de lutte contre le terrorisme, mais au bilan plutôt maigre.

Un « traitement qui peut s’avérer contre-productif »

Le rapport s’attarde peu sur le bilan de la stratégie de guerre contre le terrorisme à laquelle s’est ralliée la France. L’opération Serval est qualifiée de « succès indéniable », quand dans le même temps le général Jacques Norlain reconnaît que les « succès au Sahel sont des "succès limités car les questions de fond ne sont pas en voie de solution" ». Le commandement de l’opération Serval note quant à lui « que sur le terrain, il est "difficile de faire le tri" entre les signataires des accords de Ouagadougou et les autres groupes armés rebelles, djihadistes et terroristes ». L’un des deux seuls universitaires auditionnés, Bertrand Badie, met également en garde contre les « "mirages" qui ont pu tromper à plusieurs reprises les diplomaties occidentales », selon les rapporteurs qui résument ainsi un de ses avertissements : « Lorsque la guerre est le produit d’une "pathologie sociale", elle appelle un traitement social et pas seulement un traitement militaire, qui peut s’avérer contreproductif  ». Le simple bilan des ingérences militaires étrangères pour lutter contre les mouvements islamistes radicaux en Afghanistan, en Irak, ou en Somalie devrait en effet inciter à un minimum de circonspection.

Une réponse strictement sécuritaire

Mais ces considérations semblent glisser sur les rapporteurs et ne pas entamer leur enthousiasme. Au contraire, ils se félicitent que dans tous les pays qu’ils ont visités, « les forces armées et les forces de sécurité font l’objet de programmes de renforcement », sans voir que ce renforcement se fait, comme au Niger, au détriment de budgets sociaux déjà maigres, et alors que les politiques et les mécanismes internationaux qui maintiennent ces pays dans la pauvreté ne sont en rien modifiés. De plus, la lutte contre le terrorisme vient redonner un semblant de légitimité aux discours sur la « stabilité » au nom de laquelle on continue d’appuyer les régimes les plus autoritaires. Ainsi par exemple la dictature tchadienne d’Idriss Déby, qui abrite le commandement de l’opération Barkhane, et où François Hollande a récemment clôturé sa tournée africaine. Dans ces conditions, on peut légitimement s’inquiéter du fait que les politiques menées risquent même de renforcer le mal que l’on prétend combattre. Des populations laissées pour compte ou opprimées constituent en effet un vivier inépuisable pour les mouvements criminels et/ou extrémistes religieux, dont les moyens matériels, les actions contre les forces étrangères et les discours sur le pillage des ressources peuvent facilement séduire des jeunes condamnés à un avenir sans espoir. Mais là n’est assurément pas la préoccupation principale des autorités françaises.

L’évolution des bases militaires françaises

Si la principale nouveauté réside dans l’opération Barkhane, « l’accent mis sur la bande sahélo-saharienne ne doit pas être vu comme ayant pour corollaire un abandon des ambitions françaises dans le reste de l’Afrique », préviennent les rapporteurs. La réduction des effectifs des troupes prépositionnées se poursuit, avec l’objectif de passer de 3800 à 3300 militaires, pour des raisons budgétaires, mais aussi pour tenir compte de « certaines réticences des opinions publiques africaines » qui « conduisent à privilégier une "empreinte" militaire légère et discrète ». Après Dakar, la base de Libreville devient à son tour un « simple » pôle de coopération à vocation régionale, mais « le maintien de l’essentiel des infrastructures (…) facilite une éventuelle remontée en puissance de cette base, si le besoin s’en faisait sentir dans les années à venir ». A l’inverse, la base d’Abidjan qui avait officiellement fermé pendant l’opération Licorne, va rouvrir et sans doute accueillir « une nouvelle structure consacrée à l’état de l’action en mer ». Enfin concernant les effectifs présent à Djibouti, la question n’est pas encore tranchée.

Défense des intérêts français

Ce qui justifie officiellement la guerre menée par la France, ce sont « les enjeux sécuritaires de la zone, qui constituent une menace directe pour les intérêts français (…) ayant une incidence, non seulement sur le plan sécuritaire, mais aussi économique et migratoire ». Mais l’omniprésence militaire française (opérations, prépositionnement et coopération) est aussi décrite comme une rente de situation à double titre. D’une part au plan militaire : « La coopération avec les États africains pour traiter ces menaces constitue désormais la principale source de légitimité de notre présence en Afrique ». Or, pour les militaires et les parlementaires, il existe « un continuum très clair entre toutes les formes d’influence ». Comme l’explique l’un des rapporteurs, la présence militaire contribue donc d’autre part à « notre rayonnement global, c’est-à-dire l’ensemble des moyens d’influence par lesquels on peut faire en sorte qu’aujourd’hui encore et demain peut-être, la voix de la France, en Afrique, continue à porter un peu plus haut que celle d’autres puissances qui lorgnent sur les richesses et les intérêts stratégiques de ce continent ». Ainsi, « en aidant ses partenaires à contrer les risques qui pèsent sur eux, elle pourra aussi bénéficier de leur grand potentiel de développement ». A titre d’exemple, « le marché africain de l’armement offre ainsi un potentiel d’exportation appréciable pour les industriels français ». Il serait donc dommage que les menaces sécuritaires se tarissent trop rapidement…

[1Commandement des Opérations Spéciales, qui regroupe l’ensemble des forces spéciales

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 238 - septembre 2014
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