Après une tournée de François Hollande en Afrique (Côte d’Ivoire, Niger, Tchad),
l’opération antiterroriste Barkhane a été officialisée le 1er août. Dans le même temps, un
rapport parlementaire sur « l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le
suivi des opérations en cours » était publié, d’où sont extraites les citations qui suivent.
Après une tournée de François
Hollande en Afrique (Côte
d’Ivoire, Niger, Tchad),
l’opération antiterroriste Barkhane a été
officialisée le 1er août. Dans le même
temps, un rapport parlementaire sur
« l’évolution du dispositif militaire
français en Afrique et sur le suivi des
opérations en cours » était publié, d’où
sont extraites les citations qui suivent.
Préparée depuis plusieurs mois, dans la
foulée de l’opération Serval au Mali,
l’opération Barkhane a été rendue
publique cet été. Plus qu’une nième
intervention française, il s’agit d’une
véritable réorganisation du dispositif
militaire dédié à la guerre contre le
terrorisme dans la bande sahélo-saharienne.
Trois mille militaires,
incluant des forces spéciales, jusque là
présents dans le cadre d’opérations
distinctes (Serval au Mali et Epervier au
Tchad), sont regroupés sous un
commandement unique.
Officiellement, Barkhane « n’a pas
vocation à être permanent : il reste et
restera régi par le statut des opérations
extérieures ». Dans les faits, N’Djamena
reste une base militaire dont les effectifs
grimpent à 1300 hommes. Le second des
« points d’appui principaux » est situé à
Gao au Mali (1100 hommes) et est
considéré par l’état-major
de l’armée de
terre comme « le meilleur stationnement
d’importance pour pouvoir durer dans la
zone ». Autour de ces pôles principaux,
gravitent plusieurs implantations plus
légères et évolutives, de forces
conventionnelles ou de forces spéciales,
couvrant cinq pays (Mali, Tchad, Niger,
Burkina Faso et Mauritanie, avec des
incursions vraisemblables vers la Libye).
En outre, le Niger, longtemps réticent à
l’implantation d’une base militaire
étrangère, accueille désormais un centre
dédié au renseignement aérien (250 à 300
hommes), où Français et Américains
« travaillent » en étroite collaboration.
Enfin la « task force Sabre », opération
secrète des forces spéciales du COS [1], qui
avait préparé l’opération Serval, garde
son existence autonome.
Cette organisation transfrontalière doit
permettre à l’armée française de
« disposer de capacités réactives et
flexibles », comme prévu par le dernier
Livre Blanc sur la défense. A cette fin, de
nouveaux accords militaires partiellement
secrets ont été signés avec le Tchad, le
Mali ou le Niger, qui, comme dans ce
dernier pays « donnent à la France le droit
de mener seule des opérations (…) y
compris en y pratiquant des frappes ».
Comme au Mali depuis un an, la France
pourra mener « plusieurs types
d’actions » : patrouilles, « actions
d’influences (…) auprès des
personnalités locales » et de la
population, recherche et exploitation du
renseignement pour « de plus vastes
"opérations d’ensemble" » ou « des
"opérations ciblées", consistant le plus
souvent à traiter une cible ». « Traiter »
ou « neutraliser » signifiant bien entendu
procéder à des assassinats ciblés.
Combien d’hommes à Djibouti ?
Le dernier rapport parlementaire, n’est, comme les
précédents, guère critique (litote) à l’encontre de l’institution
militaire. L’un des rapporteurs (Yves Fromion) a même
commencé sa carrière comme officier d’active dans le 1er
régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine qui
alimente aujourd’hui les forces spéciales. Les députés
appuient notamment les protestations des militaires hostiles à
une trop forte diminution des effectifs à Djibouti, et qui font
valoir d’une part les très fortes potentialités stratégiques et
économiques de la région qui suscitent des convoitises, mais
également le fait que, malgré la renégociation récente des
accords de défense et la disparition des clauses d’engagement
de l’armée française (qui justifiaient juridiquement certaines
de ses interventions dans les pays signataires de ces accords),
« Djibouti est le seul État avec lequel une telle clause existe
encore ». C’est même « le seul endroit dans le monde où la
France "assure la mission régalienne de défense aérienne en
lieu et place du Gouvernement" de la nation hôte. Certes, le
traité stipule désormais que la France "participe à" la
mission de défense aérienne, et non plus l’"assure", mais ce
changement sémantique n’a pour l’heure pas de portée
concrète ». Or, menacent-ils,
si le plan de déflation des
effectifs est appliqué (950 hommes prévus), et si l’on n’en
maintient pas au moins 1300 sur place, cela signifiera « une
incapacité à un engagement opérationnel, y compris pour la
défense de l’intégrité territoriale de la République de
Djibouti » et donc une rupture de l’accord de défense.
Parions qu’ils auront gain de cause…
Opportunément, les cinq pays concernés
par l’opération Barkhane se sont
regroupés en février dernier dans un G5
du Sahel, officiellement à l’initiative de
la Mauritanie. Un « cas
(…) emblématique de ce que la France
peut faire pour soutenir des initiatives de
coopération entre pays africains dans le
domaine de la défense et de la sécurité »,
estiment nos députés. Dans ce cadre où la
France « a un statut d’observateur », elle
se flatte de pouvoir appuyer les actions
décidées, mais aussi de mener « un
travail d’accompagnement diplomatique
et de mise en cohérence des diverses
initiatives ». En clair, il s’agit
d’ « associer le Sénégal aux opérations
du G5 qui peuvent le concerner ». Le
président sénégalais Macky Sall s’était en
effet plaint d’avoir été écarté du G5
auprès du ministre français de la
Défense, Le Drian (Jeune Afrique,
23/05). Il s’agit aussi de faire tampon
avec le pouvoir militaire algérien, lequel
voit d’un mauvais œil cette structure
présidée par la Mauritanie et sous forte
influence française qui vient
concurrencer le CEMOC (Comité d’état-major
opérationnel conjoint) impulsé en
2010 par l’Algérie et associant le Mali, la
Mauritanie et le Niger, officiellement
pour définir une politique commune de
lutte contre le terrorisme, mais au bilan
plutôt maigre.
Le rapport s’attarde peu sur le bilan de la
stratégie de guerre contre le terrorisme à
laquelle s’est ralliée la France.
L’opération Serval est qualifiée de
« succès indéniable », quand dans le
même temps le général Jacques Norlain
reconnaît que les « succès au Sahel sont
des "succès limités car les questions de
fond ne sont pas en voie de solution" ».
Le commandement de l’opération Serval
note quant à lui « que sur le terrain, il est
"difficile de faire le tri" entre les
signataires des accords de Ouagadougou
et les autres groupes armés rebelles,
djihadistes et terroristes ». L’un des deux
seuls universitaires auditionnés, Bertrand
Badie, met également en garde contre les
« "mirages" qui ont pu tromper à
plusieurs reprises les diplomaties
occidentales », selon les rapporteurs qui
résument ainsi un de ses avertissements :
« Lorsque la guerre est le produit d’une
"pathologie sociale", elle appelle un
traitement social et pas seulement un
traitement militaire, qui peut s’avérer
contreproductif
». Le simple bilan des
ingérences militaires étrangères pour
lutter contre les mouvements islamistes
radicaux en Afghanistan, en Irak, ou en
Somalie devrait en effet inciter à un
minimum de circonspection.
Mais ces considérations semblent glisser
sur les rapporteurs et ne pas entamer leur
enthousiasme. Au contraire, ils se
félicitent que dans tous les pays qu’ils
ont visités, « les forces armées et les
forces de sécurité font l’objet de
programmes de renforcement », sans voir
que ce renforcement se fait, comme au
Niger, au détriment de budgets sociaux
déjà maigres, et alors que les politiques
et les mécanismes internationaux qui
maintiennent ces pays dans la pauvreté
ne sont en rien modifiés. De plus, la lutte
contre le terrorisme vient redonner un
semblant de légitimité aux discours sur la
« stabilité » au nom de laquelle on
continue d’appuyer les régimes les plus
autoritaires. Ainsi par exemple la
dictature tchadienne d’Idriss Déby, qui
abrite le commandement de l’opération
Barkhane, et où François Hollande a
récemment clôturé sa tournée africaine.
Dans ces conditions, on peut légitimement
s’inquiéter du fait que les
politiques menées risquent même de
renforcer le mal que l’on prétend
combattre. Des populations laissées pour
compte ou opprimées constituent en effet
un vivier inépuisable pour les
mouvements criminels et/ou extrémistes
religieux, dont les moyens matériels, les
actions contre les forces étrangères et les
discours sur le pillage des ressources
peuvent facilement séduire des jeunes
condamnés à un avenir sans espoir. Mais
là n’est assurément pas la préoccupation
principale des autorités françaises.
L’évolution des bases militaires françaises
Si la principale nouveauté réside dans
l’opération Barkhane, « l’accent mis
sur la bande sahélo-saharienne
ne doit
pas être vu comme ayant pour
corollaire un abandon des ambitions
françaises dans le reste de l’Afrique »,
préviennent les rapporteurs. La
réduction des effectifs des troupes
prépositionnées se poursuit, avec
l’objectif de passer de 3800 à 3300
militaires, pour des raisons budgétaires,
mais aussi pour tenir compte de
« certaines réticences des opinions
publiques africaines » qui « conduisent
à privilégier une "empreinte" militaire
légère et discrète ».
Après Dakar, la base de Libreville
devient à son tour un « simple » pôle de
coopération à vocation régionale, mais
« le maintien de l’essentiel des
infrastructures (…) facilite une
éventuelle remontée en puissance de
cette base, si le besoin s’en faisait
sentir dans les années à venir ». A
l’inverse, la base d’Abidjan qui avait
officiellement fermé pendant
l’opération Licorne, va rouvrir et sans
doute accueillir « une nouvelle
structure consacrée à l’état de l’action
en mer ». Enfin concernant les effectifs
présent à Djibouti, la question n’est pas
encore tranchée.
Ce qui justifie officiellement la guerre
menée par la France, ce sont « les enjeux
sécuritaires de la zone, qui constituent
une menace directe pour les intérêts
français (…) ayant une incidence, non
seulement sur le plan sécuritaire, mais
aussi économique et migratoire ». Mais
l’omniprésence militaire française
(opérations, prépositionnement et
coopération) est aussi décrite comme une
rente de situation à double titre. D’une
part au plan militaire : « La coopération
avec les États africains pour traiter ces
menaces constitue désormais la
principale source de légitimité de notre
présence en Afrique ». Or, pour les
militaires et les parlementaires, il existe
« un continuum très clair entre toutes les
formes d’influence ». Comme l’explique
l’un des rapporteurs, la présence militaire
contribue donc d’autre part à « notre
rayonnement global, c’est-à-dire
l’ensemble
des moyens d’influence par lesquels
on peut faire en sorte qu’aujourd’hui
encore et demain peut-être,
la voix de la
France, en Afrique, continue à porter un
peu plus haut que celle d’autres
puissances qui lorgnent sur les
richesses et les intérêts stratégiques de
ce continent ». Ainsi, « en aidant ses
partenaires à contrer les risques qui
pèsent sur eux, elle pourra aussi
bénéficier de leur grand potentiel de
développement ». A titre d’exemple, « le
marché africain de l’armement offre ainsi
un potentiel d’exportation appréciable
pour les industriels français ». Il serait
donc dommage que les menaces
sécuritaires se tarissent trop rapidement…
[1] Commandement
des Opérations Spéciales,
qui regroupe l’ensemble des forces spéciales