Survie

Les soudards en Centrafrique

rédigé le 8 septembre 2014 (mis en ligne le 12 septembre 2014) - Yanis Thomas

Neuf mois après le début de l’intervention militaire française (Sangaris), la Centrafrique est toujours en proie aux violences. Le sommet de Brazzaville, qui avait rassemblé dans la capitale congolaise les différents protagonistes de la crise afin d’instaurer un cessez-le-feu, a été un échec. Les troupes étrangères présentes dans le pays le sont donc encore pour longtemps…

Embourbée dans la guerre civile centrafricaine, la France annonce chercher une porte de sortie. Selon le sénateur Jacques Berthou « notre stratégie c’est qu’à une opération militaire, Sangaris, décidée dans l’urgence pour éviter ce qui aurait pu dégénérer en logique génocidaire, se substitue progressivement une opération sécuritaire autour d’Eufor RCA et de l’opération de maintien de la paix de l’ONU (12 000 h) » (Sénat, 13/05). Cela sous-entend-il que l’armée française va enfin quitter la Centrafrique ? Il n’en est rien.

Le plan français pour la Centrafrique

A la question de savoir quand le gouvernement compte relever les militaires français encore sur place, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian répond : « notre objectif est de revenir le plus rapidement possible à l’effectif initial. Nous avions 400 militaires à M’Poko depuis 2003, soutenus à partir de Libreville : c’est ce chiffre qui doit donner la mesure de notre présence sur place » (Assemblée Nationale, 27/05). En clair, garder le contrôle de l’aéroport principal du pays, pour avoir la possibilité d’intervenir militairement si la situation n’évolue pas dans le sens désiré par Paris.

On notera qu’il n’est pas question d’intégrer les soldats français à la force de maintien de la paix de l’ONU qui doit se mettre en place le 15 septembre 2014 (la MINUSCA, pour Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine). La France tient à garder une force de frappe indépendante afin de pouvoir agir à sa guise, comme au Mali et en Côte d’Ivoire.

Reste que sur place, malgré ces déclarations, l’heure n’est toujours pas au retrait. La France a ainsi décidé de renforcer ses troupes en envoyant des blindés lourds (des VBCI), du même modèle que ceux qui avaient été déployés lors de la guerre au Mali. De même, l’état-major assume désormais qu’il y a au moins 2250 soldats français dans le pays (2000 pour Sangaris et 250 pour EUFOR RCA). Des chiffres qui ne prennent pas en compte les forces spéciales de l’opération Auriga, elles aussi très actives sur le terrain.

Qui restera sur place ?

La force Sangaris étant destinée à être réduite à sa portion congrue, qu’en est-il pour les autres forces internationales déployées dans le pays ? Difficilement mise en place et à moitié constituée de soldats français, l’opération européenne EUFOR RCA Bangui n’a pas vocation à s’éterniser en Centrafrique. Elle doit plier bagage à la fin de l’année. Ce sera donc à la MINUSCA, qui prendra le relais de la force africaine actuellement déployée (la MISCA), d’assurer le travail. Les 5800 soldats qui la composent deviendront donc des Casques Bleus. Ils seront rejoints par 1800 soldats et policiers supplémentaires, dont trois bataillons d’infanterie fournis par le Maroc [1], le Bangladesh et le Pakistan, et des policiers rwandais et sénégalais, portant l’effectif total à 7600 hommes, bien loin des 12 000 escomptés (Jeune Afrique, 20/08/2014). Le tout sera dirigé par le général sénégalais Babacar Gaye.

Les exactions de la MISCA

Avant même d’avoir commencé, la mission de l’ONU part avec un lourd passif. En effet, un certains nombre de soldats de la MISCA ont commis de graves exactions durant leur mandat, faisant craindre le pire pour la suite.

L’ONG Human Rights Watch (HRW) a ainsi révélé le 2 juin que « des troupes de maintien de la paix de l’Union africaine appartenant à un contingent fourni par la République du Congo (Congo-Brazzaville) ont été mises en cause dans les disparitions forcées, le 24 mars 2014, d’au moins 11 personnes ». Les disparitions forcées sont passibles de poursuites pour crime devant la Cour Pénale Internationale. La MISCA a indiqué que son chef, le général congolais Jean-Marie Michel Mokoko [2], a « "suspendu provisoirement" le commandant de l’unité congolaise en poste à Boali, au moment des faits et "relevé les 20 soldats incriminés" » (RFI, 19/07). Les soldats congolais s’étaient déjà illustrés pour leur méthode criminelle le 22 décembre 2013 à Bossangoa. Selon HRW (02/06), «  des troupes congolaises sont réputées avoir torturé à mort deux chefs antibalaka à la suite du lynchage brutal d’un militaire congolais de la MISCA ».

Par ailleurs, on apprenait début août que « dans les camps de déplacés, les femmes sont souvent victimes de violences sexuelles. A Bambari, de nombreux témoignages pointent l’attitude des soldats de la Misca, en charge de la protection d’un des camps de la ville. La nuit, des éléments de la force africaine de maintien de la paix se livreraient à des abus, du harcèlement et de l’exploitation sexuelle sur de jeunes déplacées démunies contraintes de se livrer, pour survivre, à ceux qui sont censés les protéger » (RFI, 04/08).

Prochainement responsable de ces troupes, il est impératif que l’ONU mette fin à ces pratiques de soudards, si elle veut éviter d’être éclaboussée par un nouveau scandale.

[1Concernant le bataillon marocain, il s’agit sûrement en partie des soldats déjà sur place pour protéger les installations et les personnels du Bureau intégré des Nations Unies en Centrafrique (BINUCA).

[2Le général Gaye et le général Mokoko sont tous deux issus de la promotion « Général de Gaulle » de St Cyr, la principale école d’officiers française…

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 238 - septembre 2014
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