Neuf mois après le début de l’intervention militaire française (Sangaris), la Centrafrique est
toujours en proie aux violences. Le sommet de Brazzaville, qui avait rassemblé dans la capitale
congolaise les différents protagonistes de la crise afin d’instaurer un cessez-le-feu, a été un
échec. Les troupes étrangères présentes dans le pays le sont donc encore pour longtemps…
Embourbée dans la guerre civile
centrafricaine, la France annonce
chercher une porte de sortie. Selon
le sénateur Jacques Berthou « notre
stratégie c’est qu’à une opération militaire,
Sangaris, décidée dans l’urgence pour
éviter ce qui aurait pu dégénérer en
logique génocidaire, se substitue
progressivement une opération sécuritaire
autour d’Eufor RCA et de l’opération de
maintien de la paix de l’ONU (12 000 h) »
(Sénat, 13/05). Cela sous-entend-il
que
l’armée française va enfin quitter la
Centrafrique ? Il n’en est rien.
A la question de savoir quand le
gouvernement compte relever les
militaires français encore sur place, le
ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian répond : « notre objectif est de
revenir le plus rapidement possible à
l’effectif initial. Nous avions
400 militaires à M’Poko depuis 2003,
soutenus à partir de Libreville : c’est ce
chiffre qui doit donner la mesure de notre
présence sur place » (Assemblée
Nationale, 27/05). En clair, garder le
contrôle de l’aéroport principal du pays,
pour avoir la possibilité d’intervenir
militairement si la situation n’évolue pas
dans le sens désiré par Paris.
On notera
qu’il n’est pas question d’intégrer les
soldats français à la force de maintien de
la paix de l’ONU qui doit se mettre en
place le 15 septembre 2014 (la
MINUSCA, pour Mission intégrée
multidimensionnelle de stabilisation des
Nations Unies en République
centrafricaine). La France tient à garder
une force de frappe indépendante afin de
pouvoir agir à sa guise, comme au Mali et
en Côte d’Ivoire.
Reste que sur place,
malgré ces déclarations, l’heure n’est
toujours pas au retrait. La France a ainsi
décidé de renforcer ses troupes en
envoyant des blindés lourds (des VBCI),
du même modèle que ceux qui avaient été
déployés lors de la guerre au Mali. De
même, l’état-major
assume désormais
qu’il y a au moins 2250 soldats français
dans le pays (2000 pour Sangaris et 250
pour EUFOR RCA). Des chiffres qui ne
prennent pas en compte les forces
spéciales de l’opération Auriga, elles
aussi très actives sur le terrain.
La force Sangaris étant destinée à être
réduite à sa portion congrue, qu’en est-il
pour les autres forces internationales
déployées dans le pays ? Difficilement
mise en place et à moitié constituée de
soldats français, l’opération européenne
EUFOR RCA Bangui n’a pas vocation à
s’éterniser en Centrafrique. Elle doit plier
bagage à la fin de l’année. Ce sera donc à
la MINUSCA, qui prendra le relais de la
force africaine actuellement déployée (la
MISCA), d’assurer le travail. Les 5800
soldats qui la composent deviendront
donc des Casques Bleus. Ils seront
rejoints par 1800 soldats et policiers
supplémentaires, dont trois bataillons
d’infanterie fournis par le Maroc [1], le
Bangladesh et le Pakistan, et des policiers
rwandais et sénégalais, portant l’effectif
total à 7600 hommes, bien loin des
12 000 escomptés (Jeune Afrique,
20/08/2014). Le tout sera dirigé par le
général sénégalais Babacar Gaye.
Avant même d’avoir commencé, la
mission de l’ONU part avec un lourd
passif. En effet, un certains nombre de
soldats de la MISCA ont commis de
graves exactions durant leur mandat,
faisant craindre le pire pour la suite.
L’ONG Human Rights Watch (HRW) a
ainsi révélé le 2 juin que « des troupes
de maintien de la paix de l’Union
africaine appartenant à un contingent
fourni par la République du Congo
(Congo-Brazzaville)
ont été mises en
cause dans les disparitions forcées, le 24
mars 2014, d’au moins 11 personnes ».
Les disparitions forcées sont passibles de
poursuites pour crime devant la Cour
Pénale Internationale. La MISCA a
indiqué que son chef, le général
congolais Jean-Marie
Michel Mokoko [2], a
« "suspendu provisoirement" le
commandant de l’unité congolaise en
poste à Boali, au moment des faits et
"relevé les 20 soldats incriminés" » (RFI,
19/07). Les soldats congolais s’étaient
déjà illustrés pour leur méthode
criminelle le 22 décembre 2013 à
Bossangoa. Selon HRW (02/06), « des
troupes congolaises sont réputées avoir
torturé à mort deux chefs antibalaka
à la
suite du lynchage brutal d’un militaire
congolais de la MISCA ».
Par ailleurs,
on apprenait début août que « dans les
camps de déplacés, les femmes sont
souvent victimes de violences sexuelles.
A Bambari, de nombreux témoignages
pointent l’attitude des soldats de la
Misca, en charge de la protection d’un
des camps de la ville. La nuit, des
éléments de la force africaine de
maintien de la paix se livreraient à des
abus, du harcèlement et de
l’exploitation sexuelle sur de jeunes
déplacées démunies contraintes de se
livrer, pour survivre, à ceux qui sont
censés les protéger » (RFI, 04/08).
Prochainement responsable de ces
troupes, il est impératif que l’ONU
mette fin à ces pratiques de soudards,
si elle veut éviter d’être éclaboussée
par un nouveau scandale.
[1] Concernant le bataillon marocain, il s’agit
sûrement en partie des soldats déjà sur place
pour protéger les installations et les personnels
du Bureau intégré des Nations Unies en
Centrafrique (BINUCA).
[2] Le général Gaye et le général Mokoko sont
tous deux issus de la promotion « Général de
Gaulle » de St Cyr, la principale école
d’officiers française…