Survie

Hommage à reculons aux victimes

rédigé le 31 octobre 2014 (mis en ligne le 2 janvier 2015) - R.L.

Le 27 septembre 2014, la Mairie de Toulouse rendait enfin hommage, du bout des lèvres,
aux victimes du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994.

Le 12 avril dernier, alors que se
commémoraient partout dans le
monde les 20 ans du génocide des
Tutsi du Rwanda, devait être inaugurée à
Toulouse une stèle à la mémoire des
victimes, la cinquième en France. La
création de ce lieu de mémoire avait été
obtenue par l’association de la Diaspora
Rwandaise de Toulouse après plusieurs
années de démarches.

Mais Jean-Luc
Moudenc, le maire
nouvellement élu, a annulé la cérémonie
quelques jours avant la date prévue, suite
aux déclarations du président rwandais
Paul Kagamé accusant la France de s’être
rendue complice du génocide. Il a signifié
aux membres de la Diaspora Rwandaise
de Toulouse qu’il souhaitait que la
cérémonie se déroule « dans un climat
apaisé
 », mélangeant allègrement affaires
diplomatiques et besoin de recueillement
en punissant les rescapés du génocide
résidant à Toulouse pour les déclarations
du président rwandais. Cette décision,
écho de la position gouvernementale,
faisait en outre abstraction totale des
éléments accumulés depuis 20 ans
établissant un soutien continu de la France
au régime génocidaire.

Porte ouverte au négationnisme

Cette attitude est d’autant plus infâme
qu’au moment même de la reculade de
M. Moudenc, une salle municipale était
mise à disposition pour un colloque
intitulé « Rwanda, génocide de 1994 :
20 ans après », avec des intervenants dont
le point de vue négationniste est bien
connu [1] et – cerise sur le gâteau – en
présence de Marcel Bivugabagabo,
lieutenant-colonel
des Forces Armées
Rwandaises pendant le génocide et visé
par un mandat d’arrêt international pour
génocide et crimes contre l’humanité...

En parallèle de l’association de la
Diaspora Rwandaise, le groupe local de
Survie en Midi-Pyrénées
a alors interpellé
la Mairie, alertant sur ce traitement
différencié et demandant qu’une nouvelle
date soit fixée dans le cadre des
commémorations officielles, afin de
permettre aux rescapés rwandais et à leurs
familles d’honorer la mémoire des
disparus en même temps que l’ensemble
de leur peuple. Sans aucune réponse.

On ne négocie pas l’Histoire !

La Mairie a tout bonnement attendu la fin
des commémorations officielles pour
choisir unilatéralement une nouvelle
date… avant d’annuler une deuxième fois,
à une semaine de la cérémonie ! Les
raisons avancées, cette fois ? L’association
des Rwandais de Toulouse s’était
manifestée, réclamant que la stèle
concerne toutes les victimes de la
« tragédie rwandaise » et prédisant des
troubles entre les deux communautés
rwandaises de la ville si ça n’était pas le
cas. Cette rhétorique est un des fers de
lance du discours négationniste, qui
voudrait faire croire qu’il s’est agi
d’affrontements entre deux camps armés, et
non pas de l’éradication systématique d’une
population ciblée en sa qualité de Tutsi.

Devant l’ignorance de la Mairie, préférant
« créer un consensus », «  amener à la
réconciliation
 », les associations de
rescapés ont dû batailler à nouveau,
réexpliquer les faits, réaffirmer qu’ « on ne
négocie pas l’Histoire ! » Les élus ont cédé,
mais entre la mainmise
sur les invitations
qui à quelques jours de la cérémonie
n’avaient toujours pas été envoyées,
l’absence de communication, la volonté de
limiter la prise de parole par les
associations... tout semblait être fait pour
que cette cérémonie soit un non-événement.

Ce sont malgré tout quelques
200 personnes qui se sont rassemblées le
samedi 27 septembre, pour commémorer
l’assassinat de près d’un million de Tutsi
rwandais d’avril à juillet 1994.

Deux poids, deux mesures

M. Moudenc n’a pas daigné faire le
déplacement. Dans le discours laconique
relayé par son conseiller M. Aviv
Zonabend, le mot « Tutsi » n’a jamais été
prononcé. Il a été dit en revanche qu’à
l’heure actuelle sévissait « la barbarie, en
d’autres lieux, selon d’autres critères,
mais avec la même violence
 ». Le même
conseiller associait plus tard au micro de
France 3 (19/20, Édition régionale du
27/09) le génocide des Tutsi aux
persécutions des chrétiens d’Orient. Or il
n’y a pas, en ce moment, de génocide. Les
propos des responsables de la Mairie de
Toulouse tendent ainsi à minimiser la
gravité et la spécificité de ce crime. Si ces
messieurs tiennent, comme ils le disent,
au « devoir de mémoire », ils devraient
peut-être
commencer par se souvenir de
qui sont les victimes…

Et puisque MM. Moudenc et Zonabend
ont tous deux fait le parallèle avec
l’extermination des Juifs, permettons nous
un instant de filer la métaphore :
parlerait-on
de la Shoah sans parler des
Juifs ? Exhorterait-on
les survivants des
camps de concentration à partager un
mémorial avec les bourreaux nazis tués
au combat ? Devrait-on
supprimer les
lieux de mémoire de la Shoah si un
responsable israélien dénonçait
aujourd’hui la collaboration de la France
avec le régime nazi ? Qui oserait
défendre l’honneur de la patrie, plutôt que
la recherche de la vérité, en ce qui
concerne la collaboration ?

Mise au point

Heureusement, les intervenants rwandais,
Mme Jeanne Uwimbabazi de l’association
de la Diaspora Rwandaise de Toulouse,
M. Alain Ngirinshuti vice-président
d’Ibuka France et M. Jacques Kabale,
ambassadeur du Rwanda en France, ont
sans détour rappelé les fondamentaux.

Que le génocide de 1994, c’est celui des
Tutsi. Qu’il est reconnu par l’ONU, le
Tribunal Pénal International pour le
Rwanda (TPIR) et la Justice française
depuis le procès Simbikangwa en mars
dernier (cf. Billets n°234, avril 2014).
Qu’il a été préparé, minutieusement, et
commis par un état raciste et criminel
soutenu par la France de Mitterrand. Que
la Justice traîne : les responsables, au
Rwanda comme en France, doivent être
jugés, ou au besoin extradés vers le
Rwanda. Et que le rôle de cette stèle, c’est
aussi de faire rempart au négationnisme,
à la banalisation, à l’oubli.

Dans la reconnaissance d’un génocide, il
n’y a pas de demimesure.
L’ignorance ne
saurait être une excuse.

[1Madeleine Raffin, à la tête de l’association
France Turquoise et des Amis de Gikongoro,
apôtre de la thèse du « double génocide » ; JeanMarie Vianney Ndagijimana , ambassadeur en France de 1990 à 1994 pour le gouvernement génocidaire , il cherche à rendre les victimes responsables de leur propre élimination comme en témoigne le titre de son livre : Paul Kagamé a sacrifié les Tutsi .

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