Survie

Une transition en place... et de nombreux problèmes en suspens

rédigé le 1er décembre 2014 (mis en ligne le 25 février 2015) - Bruno Jaffré

Depuis l’insurrection les 30 et 31 octobre, on a beaucoup entendu parler dans nos médias
de « coup d’Etat militaire », de « révolution trahie », « de militaires omniprésents détenant
la réalité du pouvoir »… Qu’en est-il ? Retour sur un mois de novembre déterminant.

Y a-t-il
eu un coup d’Etat militaire ?
Au plus fort de l’insurrection et
pour éviter les pillages et le
massacre devant le palais présidentiel, où
la foule se pressait face à des hommes du
RSP (régiment de sécurité présidentielle),
l’arme au pied, ce sont des civils qui ont
été demander à l’armée de prendre ses
responsabilités. Les plus connus d’entre
eux sont Guy Hervé Kam et Smockey du
Balai citoyen, ainsi qu’Augustin Loada,
tout nouveau ministre de la Fonction
publique, du Travail et de la Sécurité
sociale. Des personnalités reconnues pour
leur engagement ancien dans la société.

Transition consensuelle

Dès la fuite de Blaise Compaoré, exfiltré
par les troupes françaises, les autorités
religieuses, les chefs traditionnels, les
partis politiques, les militaires et la
société civile ont discuté pendant près de
15 jours sans relâche pour aboutir à une
charte de la transition, adoptée à
l’unanimité. Une issue somme toute
remarquable. Les militaires ont certes
pesé de tout leur poids, mais
l’affrontement a été évité et cette issue
montre que la situation nouvelle ainsi
créée résulte d’un consensus accepté par
tous les acteurs de ce début de transition.
Le nouveau Président ainsi désigné mi-novembre,
Michel Kafando, et le Premier
ministre qu’il a choisi, le lieutenant-colonel
Zida (qui avait assuré l’intérim du
pouvoir depuis le 31 octobre), affirment
assez vite vouloir lutter contre l’injustice
et la corruption. Ils promettent aussi la
réouverture des dossiers judiciaires et des
réformes importantes dans les secteurs de
la défense, de la justice et de l’économie.
La nomination au poste de Garde des
Sceaux de Joséphine Ouedraogo,
ancienne ministre de Thomas Sankara,
permet de garder un peu d’optimisme sur
les dossiers en cours.

Transition arrangeante ?

Si beaucoup de piliers du régime se sont
enfuis et quelques uns ont été arrêtés,
comme Assimi Kouanda, le secrétaire
exécutif du CDP (congrès pour la
démocratie et le progrès, le parti de Blaise
Compaoré), la présence ostentatoire du
général Gilbert Diendéré, véritable
numéro 2 de l’ancien régime posait
problème. Chef du régiment de la sécurité
présidentielle depuis plus de 27 ans, il est
donc impliqué dans l’assassinat de
Thomas Sankara, mais aussi dans celui du
journaliste Norbert Zongo en 1998. Pour la
presse, la réouverture de ce dossier est
évidemment une priorité. Diendéré, décoré
en 2008 de la Légion d’honneur par
Nicolas Sarkozy lors d’un séjour en
France, a aussi été plusieurs fois cité lors
du procès de Charles Taylor pour avoir
fourni des armes à la rébellion de ce
dernier, le RUF. Il est également cité dans
un autre rapport plus récent sur la Côte
d’Ivoire, pour avoir contribué à contourner
l’embargo. Enfin Gilbert Diendéré
disposerait du meilleur service de
renseignement du pays.

Plusieurs articles de la presse, très
virulente au Burkina, affirment que le
pouvoir intérimaire aurait laissé faire
disparaître les papiers compromettants
pour les tenants de l’ancien régime. Ils
laissent entendre que Diendéré, et Djibril
Bassolet, ministre des Affaires étrangères
de Compaoré mais aussi général de
gendarmerie, auraient tous les deux
manœuvré pour que Zida soit nommé chef
d’État intérimaire à la démission de Blaise.

Pression populaire

Le peuple qu’on avait presque oublié
durant ces deux semaines de conclave
s’est rapidement chargé de rappeler qu’il
fallait compter avec lui. Les populations
ont vite exigé que les maires de Bobo
Dioulasso et Ouahigouya soient destitués,
le premier ayant été arrêté. Surtout, le
ministre de la Culture Adama Sanon a dû
démissionner deux jours après sa
nomination, des manifestations s’étant
déroulées presque en continu devant le
ministère. Et pour cause, il était
procureur dans l’affaire sur l’assassinat
de Norbert Zongo ! De nombreuses
manifestations se déroulent, dont il est
difficile de faire l’inventaire, contre des
directeurs de différents services pour
demander leur démission.

Des personnalités charismatiques ont été
placées à des postes de tout premier plan,
comme le journaliste Cherif Sy, choisi
comme président du Conseil national de
transition. Militant de la liberté de la
presse, il a créé avec beaucoup de courage
Bendré en 1990, à l’époque le premier
journal de l’opposition. Citons encore
Luc Ibriga, juriste de tout premier plan,
porte-parole
du Front de la Résistance
citoyenne engagé depuis longtemps pour
le renforcement de la démocratie, nommé
contrôleur général d’Etat. Par contre des
manœuvres sont aussi apparues au sein de
la société civile. Plusieurs personnes
choisies pour représenter la société civile
sont ainsi accusées d’être des membres de
partis politiques, notamment le MPP
(Mouvement du peuple pour le progrès),
un parti constitué à l’origine par d’anciens
dirigeants de tout premier plan du CDP.

Puis les 27 et 28 novembre les choses
semblent s’accélérer. Au niveau de la
présidence, on annonce que Diendéré est
relevé du commandement de la sécurité
présidentielle ! Les choses iraientelles
donc plus vite qu’on aurait pu le croire ?
La place qui lui revient serait plutôt en
prison, compte tenu de ses antécédents :
son arrestation achèverait de convaincre
bien des gens encore sceptiques sur la
véritable volonté du lieutenantcolonel
Zida de s’affranchir de son ancien patron.

Zida volontariste ?

Lors d’une rencontre avec la presse, le
Premier ministre Zida va bien plus loin que
le Président Kafando. Tous les dossiers de
justice vont être ouverts, affirme-t-il,
et ils
seront pour la plupart jugés sous la
transition, ce qui est vrai aussi pour
l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.
Il affirme même être prêt à demander
l’extradition de Blaise Compaoré du Maroc
si une nouvelle plainte est déposée, ce qui
ne devrait pas tarder.

Il déclare en outre : « Il y a des dossiers
des crimes économiques qui seront
ouverts. S’il le faut nous allons
nationaliser des entreprises parce que ce
qui a été construit avec l’argent du peuple
doit revenir au peuple
 » ! De son côté le
ministre des Mines, le Colonel Boubacar
Ba, a déclaré vouloir passer à la loupe les
contrats miniers signés et les permis
d’exploration octroyés dans l’opacité sous
le régime de Blaise Compaoré, car selon
lui, le secteur minier a manqué de
transparence. Un dossier d’Africa Mining
Intelligence
d’avril 2013 faisait
l’inventaire des proches du régime ayant
des intérêts dans les mines, mais celles-ci
sont le plus souvent exploitées par des
sociétés canadiennes [1].

Selon l’agence Ecofin (27/11), « le
Burkina Faso est devenu, ces dernières
années, la destination des grandes
compagnies minières qui ont arraché à
tour de bras des permis sur l’or et autres
métaux précieux et rares. Sa production
d’or a augmenté à la faveur de la mise en
valeur des projets d’envergure et devra
croître davantage avec les débuts de
production annoncés pour les prochaines
années
 » ajoutant que le Burkina a
rejoint le peloton de tête des pays
producteurs d’or. Au delà du devenir des
différentes personnalités du régime
déchu, la question des intérêts miniers est
un enjeu considérable.

Ces annonces ont quelque peu surpris. On
en apprend un peu plus sur le lieutenant-colonel
Zida et les doutes demeurent sur
ses intentions. Selon Jeune Afrique
(25/11)
« Plusieurs sources affirment
qu’il aurait été l’officier de liaison envoyé
par Compaoré auprès de Guillaume Soro
et des rebelles ivoiriens, en 2002 et les
années suivantes. L’entourage de Soro
nie, celui de Compaoré un peu moins,
tandis que celui de Laurent Gbagbo
confirme. (...) C’est d’ailleurs à l’issue de
la crise ivoirienne (et au lendemain des
mutineries de 2011 dans les casernes
burkinabè) que Zida a été promu au
grade de lieutenant-colonel
et est monté
dans la hiérarchie du RSP. Il a ensuite
enchaîné les missions spéciales
 ». Les
premiers articles sur son passé faisaient
plutôt état de difficultés avec la hiérarchie
du RSP. Comme tout militaire burkinabè,
il est probablement fasciné par Thomas
Sankara, mais ça n’en fait pas un
révolutionnaire. Ses premières
déclarations comme Premier ministre
vont dans le sens de ce que réclamaient
les insurgés. Mais du temps est encore
nécessaire pour y voir clair.

Transition sous surveillance

On a vu l’ambassadeur de France tenter
de s’immiscer dans les tractations lors de
l’insurrection. Si aujourd’hui rien ne
filtre sur les tentatives de la France et des
USA, qui ont des bases militaires dans ce
pays géographiquement stratégique, pour
défendre leurs intérêts, leurs hommes
sont à l’œuvre.

Si les dirigeants continuent à affirmer
leur volonté de changement, la partie
promet d’être serrée.

Langage diplomatique

Le 23 octobre, le porte-parole
du Quai d’Orsay signalait
que François Hollande avait écrit à Blaise Compaoré, et
que la France était attachée « au respect des principes
définis par l’Union africaine sur les changements
constitutionnels
 ». Interrogé à nouveau après la manifestation
monstre du 28 octobre, il insista sur l’un de ces principes selon
lequel « tout amendement ou toute révision des constitutions
ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes
de l’alternance démocratique
 » serait un « changement
anticonstitutionnel de gouvernement ». Il était donc
« primordial [que le Burkina Faso] envisage son propre avenir
de manière consensuelle et apaisée et qu’il y ait un dialogue
entre tous les acteurs politiques pour qu’émerge un consensus
sur d’éventuelles modifications de la constitution
 ». Une fois
Compaoré renversé, la lettre, jusqu’ici secrète, a été
opportunément publiée… et brandie à l’envi, puisque c’était là
la seule « condamnation publique » française disponible.

Le 28 octobre, le secrétariat d’État américain avait publié un
communiqué moins langue de bois : « Les États-Unis
s’inquiètent
de l’esprit et des intentions du projet de loi soumis à l’Assemblée
nationale du Burkina Faso prévoyant d’amender la Constitution
afin de permettre au président en place, ayant atteint la limite du
nombre de mandats, de briguer un nouveau mandat de cinq ans.
Alors que l’Assemblée nationale se prépare à étudier ces
propositions de révision constitutionnelle, les États-Unis
insistent
sur le fait que la limitation du nombre de mandats est un
mécanisme important pour demander aux chefs d’Etat de rendre
des comptes, pour assurer un transfert démocratique et pacifique
du pouvoir, et pour donner aux nouvelles générations
l’opportunité de concourir pour des responsabilités politiques et
d’élire de nouveaux dirigeants. Nous appelons toutes les parties,
y compris les forces de sécurité du Burkina Faso, à opter pour la
non-violence
et à débattre de cette question de façon pacifique et
inclusive
 ». Une leçon diplomatique pour la France, qui prétend
évoquer discrètement les sujets qui fâchent ?

Mathieu Lopes et Thomas Noirot

[1La domiciliation artificielle au Canada des
multinationales de l’industrie minière fournit
d’importants avantages à celles-ci,
voir
Paradis sous terre (Ecosociétés/Rue de
l’Echiquier, 2012) d’A. Deneault et W. Sacher.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 241 - décembre 2014
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