Survie

Lutte d’influence entre Sassou Nguesso et la France

rédigé le 2 mars 2015 (mis en ligne le 20 avril 2015) - Yanis Thomas

Enlisée dans une guerre civile depuis décembre 2012, la République centrafricaine a le
plus grand mal à sortir de la crise. Surtout que certains s’évertuent à lui maintenir la tête
sous l’eau. Dernier exemple en date : le sommet de Nairobi.

Une bien étrange initiative s’est
ouverte fin décembre à Nairobi,
au Kenya. A l’invitation du
« médiateur » dans la crise centrafricaine,
le dictateur congolais Denis Sassou
Nguesso, des membres des ex-Séléka
(qui
ont déclenché la crise) et des milices anti-balaka
(qui se sont opposées aux Séléka),
ainsi que les anciens présidents
centrafricains Michel Djotodia et
François Bozizé (le premier ayant
renversé le second en mars 2013), ont été
convoyés dans la capitale kényane afin
d’ouvrir un nouveau cycle de
négociations entre les groupes en lutte.
Celles-ci
se sont déroulées sous l’égide de
l’Union Africaine (UA) et furent dirigées
par l’ancien président de l’Assemblée
kényane, Kenneth Marende, assisté « d’un
jeune conseiller spécial de Sassou
Nguesso, le Sud-Soudanais
Albino
Abouge, proche des présidences sud-africaine
et nigériane
 » (jeuneafrique.
com
, 28/01).

Doubler la France

Cette initiative se heurte à plusieurs
problèmes. Tout d’abord, les autorités
centrafricaines n’ont pas été conviées. Il y
a donc une volonté de la médiation de
court-circuiter
le gouvernement
centrafricain, qui peut s’expliquer par la
relation extrêmement tendue entre
Catherine Samba-Panza,
la présidente
centrafricaine par intérim, et Denis
Sassou Nguesso. Ce dernier ne digère
probablement pas que son poulain, Karim
Meckassoua, n’ait pas accédé au poste de
Premier ministre en juillet 2014, à la suite
des accords de Brazzaville. C’est
Mahamat Kamoun, un proche de la
présidente, qui a obtenu le poste. D’autre
part, selon Afrikarabia.com (15/02), les
autres parties prenantes intéressées dans
la résolution de la crise (France, ONU,
pays voisins…) n’ont pas été prévenues.
L’Union Africaine et Sassou Nguesso
jouent donc une partition en solo, qui ne
doit pas être vue d’un bon œil depuis
Paris. Enfin, ce sommet intervient à un
moment clef de la crise centrafricaine. En
janvier 2015 ont justement débuté dans
tout le pays de vastes «  consultations à la
base
 », visant à prendre le pouls de la
population avant la tenue, en mars, d’un
forum de réconciliation à Bangui, le tout
devant permettre d’aller à des élections en
août de cette année. Le sommet de
Nairobi vient donc en grande partie
torpiller cette politique de réconciliation
en créant un espace parallèle de
négociations politiques, se focalisant
uniquement sur les belligérants et non sur
la population. Ce qui a amené, sur le
terrain, des groupes de l’ex-Séléka
à
refuser les consultations, sous prétexte
que leurs chefs étaient en train de
négocier à Nairobi.

Des résultats surprenants

Les conclusions du sommet, rendues le
27 janvier, ont fait grincer beaucoup de
dents. Le texte prévoit un cessez-le-feu
ainsi que la mise en place d’une politique
de désarmement, démobilisation, réinsertion
(DDR), annonces classiques de ce
genre de sommet. Deux autres points sont
par contre beaucoup plus engagés. Le
premier concerne directement la France :
les parties prenantes « en appellent au
Conseil de sécurité des Nations unies
pour qu’il place toutes les autres forces
étrangères [présentes en Centrafrique]
sous l’unique structure de commandement
et de contrôle de la Minusca
 » (jeuneafrique.
com
, 29/01/2015). La force
française Sangaris, qui agit dans le pays
de façon totalement autonome, est
directement visée [1]. Une intégration des
forces françaises au sein de la force de
maintien de la paix impliquerait que
celles-ci
relèveraient du commandement
de l’ONU et non plus de l’État-major
français. La France perdrait ainsi son
influence directe dans le pays au profit
des Nations-Unies
 : tout simplement
impensable pour les autorités françaises.
Le deuxième point concerne le pouvoir
centrafricain. Les signataires demandent
que soit remise à plat la Charte de la
transition, qui sert de Constitution
intérimaire depuis la chute de Bozizé, et
que le gouvernement de transition soit
reconstitué après des négociations entre
toutes les composantes de la société
centrafricaine (partis politique, groupes
armés, société civile, religieux…). En
clair, faire tomber Catherine Samba-Panza
et Mahamat Kamoun, son Premier
ministre : impensable pour les autorités
centrafricaines. Le texte provoque un
tollé. Il est désavoué par Bangui, par le
vice-médiateur
(ONU), Soumeilou
Boubeï Maïga, mais aussi par les parrains
françafricains de la sous-région,
au
premier rang desquels le Tchadien Idriss
Déby. Un camouflet pour Sassou Nguesso
et pour l’Union Africaine. Dans la lutte
d’influence qui se joue en Centrafrique, le
Congo-Brazza
a perdu une manche.

La France compte double

Sur le terrain, la France montre qu’elle est
encore maître du jeu. Ainsi, ses
hélicoptères d’attaque n’ont pas hésité à
mitrailler une colonne de 4×4 d’ex-Séléka
tentant de perturber les « consultations à
la base
 » le 29 janvier dans les environ de
Bamingui. De même, le 10 février, la
force Sangaris, épaulée par des Casques
bleus marocains, a attaqué des éléments
du Front populaire pour la renaissance de
la Centrafrique (FPRC, ex-Séléka)
à Bria
pour les chasser des bâtiments officiels
qu’ils occupaient. Une manière de
rappeler qui décide en Centrafrique.

[1Seraient aussi concernées l’EUFOR RCA
(la force de l’Union Européenne présente sur
place) mais aussi les forces spéciales
américaines et les troupes ougandaises basées
à Obo, à l’extrême sud-est
du pays, qui sont
chargées de la traque de la Lord Resistance
Army (LRA de Joseph Kony).

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 244 - mars 2015
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