Enlisée dans une guerre civile depuis décembre 2012, la République centrafricaine a le plus grand mal à sortir de la crise. Surtout que certains s’évertuent à lui maintenir la tête sous l’eau. Dernier exemple en date : le sommet de Nairobi.
Une bien étrange initiative s’est ouverte fin décembre à Nairobi, au Kenya. A l’invitation du « médiateur » dans la crise centrafricaine, le dictateur congolais Denis Sassou Nguesso, des membres des ex-Séléka (qui ont déclenché la crise) et des milices anti-balaka (qui se sont opposées aux Séléka), ainsi que les anciens présidents centrafricains Michel Djotodia et François Bozizé (le premier ayant renversé le second en mars 2013), ont été convoyés dans la capitale kényane afin d’ouvrir un nouveau cycle de négociations entre les groupes en lutte. Celles-ci se sont déroulées sous l’égide de l’Union Africaine (UA) et furent dirigées par l’ancien président de l’Assemblée kényane, Kenneth Marende, assisté « d’un jeune conseiller spécial de Sassou Nguesso, le Sud-Soudanais Albino Abouge, proche des présidences sud-africaine et nigériane » (jeuneafrique. com, 28/01).
Cette initiative se heurte à plusieurs problèmes. Tout d’abord, les autorités centrafricaines n’ont pas été conviées. Il y a donc une volonté de la médiation de court-circuiter le gouvernement centrafricain, qui peut s’expliquer par la relation extrêmement tendue entre Catherine Samba-Panza, la présidente centrafricaine par intérim, et Denis Sassou Nguesso. Ce dernier ne digère probablement pas que son poulain, Karim Meckassoua, n’ait pas accédé au poste de Premier ministre en juillet 2014, à la suite des accords de Brazzaville. C’est Mahamat Kamoun, un proche de la présidente, qui a obtenu le poste. D’autre part, selon Afrikarabia.com (15/02), les autres parties prenantes intéressées dans la résolution de la crise (France, ONU, pays voisins…) n’ont pas été prévenues. L’Union Africaine et Sassou Nguesso jouent donc une partition en solo, qui ne doit pas être vue d’un bon œil depuis Paris. Enfin, ce sommet intervient à un moment clef de la crise centrafricaine. En janvier 2015 ont justement débuté dans tout le pays de vastes « consultations à la base », visant à prendre le pouls de la population avant la tenue, en mars, d’un forum de réconciliation à Bangui, le tout devant permettre d’aller à des élections en août de cette année. Le sommet de Nairobi vient donc en grande partie torpiller cette politique de réconciliation en créant un espace parallèle de négociations politiques, se focalisant uniquement sur les belligérants et non sur la population. Ce qui a amené, sur le terrain, des groupes de l’ex-Séléka à refuser les consultations, sous prétexte que leurs chefs étaient en train de négocier à Nairobi.
Les conclusions du sommet, rendues le
27 janvier, ont fait grincer beaucoup de
dents. Le texte prévoit un cessez-le-feu
ainsi que la mise en place d’une politique
de désarmement, démobilisation, réinsertion
(DDR), annonces classiques de ce
genre de sommet. Deux autres points sont
par contre beaucoup plus engagés. Le
premier concerne directement la France :
les parties prenantes « en appellent au
Conseil de sécurité des Nations unies
pour qu’il place toutes les autres forces
étrangères [présentes en Centrafrique]
sous l’unique structure de commandement
et de contrôle de la Minusca » (jeuneafrique.
com, 29/01/2015). La force
française Sangaris, qui agit dans le pays
de façon totalement autonome, est
directement visée [1]. Une intégration des
forces françaises au sein de la force de
maintien de la paix impliquerait que
celles-ci
relèveraient du commandement
de l’ONU et non plus de l’État-major
français. La France perdrait ainsi son
influence directe dans le pays au profit
des Nations-Unies
: tout simplement
impensable pour les autorités françaises.
Le deuxième point concerne le pouvoir
centrafricain. Les signataires demandent
que soit remise à plat la Charte de la
transition, qui sert de Constitution
intérimaire depuis la chute de Bozizé, et
que le gouvernement de transition soit
reconstitué après des négociations entre
toutes les composantes de la société
centrafricaine (partis politique, groupes
armés, société civile, religieux…). En
clair, faire tomber Catherine Samba-Panza
et Mahamat Kamoun, son Premier
ministre : impensable pour les autorités
centrafricaines. Le texte provoque un
tollé. Il est désavoué par Bangui, par le
vice-médiateur
(ONU), Soumeilou
Boubeï Maïga, mais aussi par les parrains
françafricains de la sous-région,
au
premier rang desquels le Tchadien Idriss
Déby. Un camouflet pour Sassou Nguesso
et pour l’Union Africaine. Dans la lutte
d’influence qui se joue en Centrafrique, le
Congo-Brazza
a perdu une manche.
Sur le terrain, la France montre qu’elle est encore maître du jeu. Ainsi, ses hélicoptères d’attaque n’ont pas hésité à mitrailler une colonne de 4×4 d’ex-Séléka tentant de perturber les « consultations à la base » le 29 janvier dans les environ de Bamingui. De même, le 10 février, la force Sangaris, épaulée par des Casques bleus marocains, a attaqué des éléments du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC, ex-Séléka) à Bria pour les chasser des bâtiments officiels qu’ils occupaient. Une manière de rappeler qui décide en Centrafrique.
[1] Seraient aussi concernées l’EUFOR RCA (la force de l’Union Européenne présente sur place) mais aussi les forces spéciales américaines et les troupes ougandaises basées à Obo, à l’extrême sud-est du pays, qui sont chargées de la traque de la Lord Resistance Army (LRA de Joseph Kony).