Alors que le Tchad se positionne sur la scène africaine et internationale comme un agent principal de la sécurité sur le continent, sa population subit la violence du régime.
Ces derniers mois, plusieurs vagues de protestations à Ndjamena et dans d’autres villes du Tchad (journée ville morte en octobre, manifestations de lycéens dans plusieurs villes du pays en novembre et en janvier, pétition contre un probable 5ème mandat de Déby en septembre..) semblent créer une émulation, malgré une violente répression.
Le 9 mars dernier, des jeunes se sont révoltés contre l’une des dernières mesures du gouvernement, le port du casque obligatoire sur les motos. Certes la contestation de cette mesure semble peu défendable d’un point de vue sécuritaire. Cependant, sa mise en place illustre bien la façon de gouverner à Ndjamena : mesure prise sans anticipation alors que le port du casque avait été interdit pour cause de lutte antiterroriste (pour ne pas masquer le visage), répression policière, corruption, forte augmentation du prix des casques sur fond de vie chère... Les protestations ne portent pas tant sur la mesure que sur ce qu’elle concentre d’absurdité et d’oppression. Après un mort, plusieurs blessés et des vidéos d’actes de tortures très diffusées sur les réseaux sociaux, le chef de la police a été promu. Mais malgré la violence de la répression, les lycéens n’hésitent plus à sortir. Avec moins de 10 % de réussite au bac, des résultats douteux, le temps passé au lycée s’allonge et la suite offre peu de perspectives. Alors que le Tchad apparaît souvent dans l’actualité pour son engagement dans la lutte antiterroriste, les médias internationaux n’évoquent pas ce vent de colère qui souffle de plus en plus. Seule l’Union européenne a réagi, s’inquiétant de l’« usage disproportionné de la force ».
Ndjamena accueille le commandement de l’opération Barkhane, mais la France coopère aussi activement sur la sécurité intérieure avec le Tchad depuis de longues années, ce qui ne refrène pas la violence des forces de l’ordre.
De ces mouvements spontanés, l’opposition peine à se saisir. En rangs dispersés, les enjeux du prochain scrutin électoral de 2016, qui cumulera finalement présidentielle et législatives (le mandat des députés vient d’être prorogé), mobilise fortement autour des questions de biométrie et de constitution de la CENI (la Commission électorale indépendante). En novembre dernier, la création du mouvement citoyen « Trop c’est trop » a ouvert une nouvelle voie, tentant de s’inscrire dans la dynamique d’un Balai citoyen au Burkina. Mais Déby excelle dans l’art de diviser pour mieux régner. La création d’un autre mouvement citoyen contre la vie chère et l’intimidation des membres du collectif Trop c’est trop ont fragilisé l’initiative. L’opposition, les syndicats et mouvements sociaux sont fortement affaiblis.
Malgré les nombreuses visites officielles effectuées au Tchad par des représentants français ces derniers mois, l’opposition et les représentants de la société civile n’ont pas été rencontrés, ou à la marge, le soutien à la démocratie de façade est privilégié à celui du peuple.
Alors que sa population se meurt, Déby participe activement à la « lutte contre le terrorisme », en étroite collaboration avec la France. Après le Mali et la Centrafrique, les troupes tchadiennes sont mobilisées dans la lutte contre Boko Haram. Si leur engagement dans ces opérations redore la figure de Déby à l’international, elles ne sont pas sans enjeux au niveau local. Ces mobilisations de l’armée tchadienne font consensus dans l’opinion publique et activent le sentiment national, en témoigne la manifestation, bien menée par le gouvernement, à la veille de l’intervention contre Boko Haram. L’envoi des troupes a été voté à l’unanimité par le Parlement, mais certains leaders de l’opposition tiennent à préciser qu’ils restent contre Déby (Jeune Afrique, 11/03).
L’urgence de la lutte contre les mouvements armés et sa menace sur le Tchad détournent des problèmes sociaux et économiques et étouffent les revendications autour d’un consensus de sécurité nationale. Déby investit les forces combattantes tchadiennes sur d’autres terrains, mettant de côté les rivalités internes et la géométrie variable de cette armée, composée en grande partie d’exrebelles intégrés. Le métier des armes a de l’avenir dans la région [1]. D’autant que le président tchadien a manifesté son souhait d’une intervention en Libye lors du Sommet de Dakar en décembre et pourrait chercher à y jouer un rôle.
Présenté comme étant le seul pays stable de la région, le Tchad n’est pourtant pas étranger aux troubles que connaissent ses voisins, en témoignent notamment les relations avec Noureddine Adam en Centrafrique ou Ali Modu Sheriff, dont le rôle au Tchad et les liens avec Boko Haram sont troubles. La mobilisation de l’armée tchadienne bénéficie surtout au régime en place. Et la France, alliée militaire de longue date, en est le principal soutien.
[1] Dans Le Métier des armes au Tchad (Karthala, 2013), Marielle Debos décrit comment les armes deviennent un mode de gouvernement, même entre-guerres, en créant l’instabilité autant qu’en la gérant.