Survie

Tchad - Entre insécurité intérieure et « lutte contre le terrorisme »

rédigé le 1er avril 2015 (mis en ligne le 30 septembre 2015) - Eléa Gary

Alors que le Tchad se positionne sur la scène africaine et internationale comme un agent
principal de la sécurité sur le continent, sa population subit la violence du régime.

Ces derniers mois, plusieurs vagues
de protestations à Ndjamena et dans
d’autres villes du Tchad (journée
ville morte en octobre, manifestations de
lycéens dans plusieurs villes du pays en
novembre et en janvier, pétition contre un
probable 5ème mandat de Déby en
septembre..) semblent créer une émulation,
malgré une violente répression.

Des lycéens en colère

Le 9 mars dernier, des jeunes se sont
révoltés contre l’une des dernières mesures
du gouvernement, le port du casque
obligatoire sur les motos. Certes la
contestation de cette mesure semble peu
défendable d’un point de vue sécuritaire.
Cependant, sa mise en place illustre bien la
façon de gouverner à Ndjamena : mesure
prise sans anticipation alors que le port du
casque avait été interdit pour cause de lutte
anti­terroriste (pour ne pas masquer le
visage), répression policière, corruption,
forte augmentation du prix des casques sur
fond de vie chère... Les protestations ne
portent pas tant sur la mesure que sur ce
qu’elle
concentre
d’absurdité
et
d’oppression. Après un mort, plusieurs
blessés et des vidéos d’actes de tortures
très diffusées sur les réseaux sociaux, le
chef de la police a été promu. Mais malgré
la violence de la répression, les lycéens
n’hésitent plus à sortir. Avec moins de
10 % de réussite au bac, des résultats
douteux, le temps passé au lycée s’allonge
et la suite offre peu de perspectives. Alors
que le Tchad apparaît souvent dans
l’actualité pour son engagement dans la
lutte
anti­terroriste,
les
médias
internationaux n’évoquent pas ce vent de colère qui souffle de plus en plus. Seule
l’Union européenne a réagi, s’inquiétant de
l’« usage disproportionné de la force ».

Ndjamena accueille le commandement de
l’opération Barkhane, mais la France
coopère aussi activement sur la sécurité
intérieure avec le Tchad depuis de longues
années, ce qui ne refrène pas la violence
des forces de l’ordre.

Une société civile affaiblie

De
ces
mouvements
spontanés,
l’opposition peine à se saisir. En rangs
dispersés, les enjeux du prochain scrutin
électoral de 2016, qui cumulera
finalement présidentielle et législatives
(le mandat des députés vient d’être
prorogé), mobilise fortement autour des
questions de biométrie et de constitution
de la CENI (la Commission électorale
indépendante). En novembre dernier, la
création du mouvement citoyen « Trop
c’est trop » a ouvert une nouvelle voie,
tentant de s’inscrire dans la dynamique
d’un Balai citoyen au Burkina. Mais Déby
excelle dans l’art de diviser pour mieux
régner. La création d’un autre mouvement
citoyen contre la vie chère et
l’intimidation des membres du collectif
Trop c’est trop ont fragilisé l’initiative.
L’opposition,
les
syndicats
et
mouvements sociaux sont fortement
affaiblis.

Malgré les nombreuses visites
officielles effectuées au Tchad par des
représentants français ces derniers mois,
l’opposition et les représentants de la
société civile n’ont pas été rencontrés, ou
à la marge, le soutien à la démocratie de
façade est privilégié à celui du peuple.

Une armée engagée

Alors que sa population se meurt, Déby
participe activement à la « lutte contre le
terrorisme », en étroite collaboration avec
la France. Après le Mali et la Centrafrique,
les troupes tchadiennes sont mobilisées
dans la lutte contre Boko Haram. Si leur
engagement dans ces opérations redore la
figure de Déby à l’international, elles ne
sont pas sans enjeux au niveau local. Ces
mobilisations de l’armée tchadienne font
consensus dans l’opinion publique et
activent le sentiment national, en témoigne
la manifestation, bien menée par le
gouvernement, à la veille de l’intervention
contre Boko Haram. L’envoi des troupes a
été voté à l’unanimité par le Parlement,
mais certains leaders de l’opposition
tiennent à préciser qu’ils restent contre
Déby (Jeune Afrique, 11/03).

L’urgence de
la lutte contre les mouvements armés et sa
menace sur le Tchad détournent des
problèmes sociaux et économiques et
étouffent les revendications autour d’un
consensus de sécurité nationale. Déby
investit
les
forces
combattantes
tchadiennes sur d’autres terrains, mettant de
côté les rivalités internes et la géométrie
variable de cette armée, composée en
grande partie d’ex­rebelles intégrés. Le
métier des armes a de l’avenir dans la
région [1]. D’autant que le président tchadien
a manifesté son souhait d’une intervention
en Libye lors du Sommet de Dakar en
décembre

et pourrait chercher à y jouer un rôle.

Présenté comme étant le seul pays stable de
la région, le Tchad n’est pourtant pas
étranger aux troubles que connaissent ses
voisins, en témoignent notamment les
relations avec Noureddine Adam en
Centrafrique ou Ali Modu Sheriff, dont le
rôle au Tchad et les liens avec Boko Haram
sont troubles. La mobilisation de l’armée
tchadienne bénéficie surtout au régime en
place. Et la France, alliée militaire de
longue date, en est le principal soutien.

[1Dans Le Métier des armes au Tchad
(Karthala, 2013)
, Marielle Debos décrit
comment les armes deviennent un mode de
gouvernement, même entre-­guerres, en créant
l’instabilité autant qu’en la gérant.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 245 - avril 2015
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