Survie

Côte d’Ivoire : une élection pour enfoncer le clou

rédigé le 1er septembre 2015 (mis en ligne le 4 octobre 2015) - Rafik Houra

Dans une élection présidentielle qui semble écrite d’avance, Alassane Ouattara a
suffisamment de cartes en mains pour l’emporter très facilement en octobre. Dès le
premier tour ? En tout cas, Paris pourra se réjouir de la stabilité retrouvée et fermer les
yeux encore plus fermement sur les divisions d’une Côte d’Ivoire meurtrie

Avec une Commission électorale
indépendante toujours largement
favorable à Alassane Ouattara, un
désarmement des ex-combattants
encore
inachevé et une liste électorale toujours
très lacunaire, les conditions de l’élection
présidentielle du 25 octobre offrent des
points communs avec celles qui menèrent
la Côte d’Ivoire à la crise électorale puis
militaire de 2010-2011.

À l’époque, la France et l’ONU vantaient
cette élection comme le passage obligé
pour sortir de la crise politico-militaire
née
de la rébellion armée déclenchée en 2002
contre le président Laurent Gbagbo. Le
scrutin organisé dans une Côte d’Ivoire
divisée en deux, avec un Nord sous la
coupe réglée de la rébellion et un Sud
contrôlé par un gouvernement de
réconciliation, avait débouché sur des
contestations électorales puis une crise au
cours de laquelle l’ONU, la France et les
forces rebelles avaient pris parti pour
Ouattara face au président sortant. En avril
2011, ce furent finalement les hélicoptères
et blindés français qui assurèrent la
victoire de la rébellion et l’accession au
pouvoir de Ouattara.

Si les conditions d’organisation du scrutin
n’offrent guère plus de garantie en 2015
qu’en 2010, l’issue sera toutefois bien
différente, car sur l’échiquier politique, le
président ivoirien est face à une opposition
aux moyens faibles et politiquement très
divisée (33 candidatures ont été déposées).
Mais surtout, tandis que Gbagbo passait
pour un animal politique instable capable
un jour d’offrir tous les marchés aux
grands groupes français, le lendemain de
s’en prendre aux intérêts français, Ouattara
a l’appui de la France. Ayant toutes les
cartes en mains, la seule inconnue sur le
plan politique est de savoir s’il gagnera au
premier tour. Le contraire serait
surprenant.

Pour Théophile Kouamouo
(mondafrique.com), la présence d’un
candidat représentant l’opposition FPI
(parti de Gbagbo, aujourd’hui
profondément divisé), personnage
indispensable au scénario, serait le fruit
conjugué des pressions exercées par la
France sur le FPI et d’un chantage sur
Pascal Affi N’guessan (nouveau président
du FPI, dont la légitimité est très
contestée) : « À sa sortie de prison, ruiné
et ostracisé, il a été reçu par des
ambassadeurs occidentaux qui lui ont
bien fait comprendre qu’ils ne le
protégeraient que s’il se montrait disposé
à participer au… casting du film »
. Il est
vrai qu’en février, l’ONU a officiellement
levé les sanctions prises contre Affi
N’guessan.

L’article 35 oublié ?

Très curieusement, malgré l’accession
d’Alassane Ouattara au pouvoir, l’article
35 [1]. de la Constitution ivoirienne n’a pas
été modifié. Mise en place par référendum
sous la junte du général Robert Guéï en
2000, cette constitution, et plus
particulièrement son article 35, sont
décriés depuis longtemps par les
supporters de Ouattara. C’est en effet en
s’appuyant sur cet article 35 que Ouattara
avait été exclu de la présidentielle de
2000, qui avait finalement vu Laurent
Gbagbo l’emporter face au général Guéï.
Par la suite, l’éligibilité de Ouattara était
apparue comme l’une des revendications
clefs de la rébellion déclenchée en
septembre 2002 contre Gbagbo.
Fortement appuyées par Paris, les forces
rebelles et le RDR (parti de Ouattara)
avaient obtenu à la table ronde de Linas-Marcoussis
en 2003 le principe d’une
modification de l’article 35, mais en vain.
L’éligibilité de Ouattara fut
temporairement réglée lorsqu’en 2005, par
une décision présidentielle qui faisait suite
aux négociations menées par le président
sudafricain
Thabo Mbeki, Gbagbo
déclara exceptionnellement éligible pour
la prochaine élection présidentielle tout
candidat présenté par un parti politique
signataire de l’accord de Linas-Marcoussis.
C’est ainsi qu’à défaut d’être
transparente et juste, l’élection de 2010 fut
en tout cas pluraliste.

On ne s’attendait pas à ce que l’article 35
résiste aussi longtemps à Alassane
Ouattara, présenté comme la principale
victime de l’ivoirité, l’idéologie
xénophobe diffusée pendant la présidence
Bédié (19931999)
et dont l’article 35 est
un aboutissement. Mais en mars, Ouattara
a repoussé la modification de la
Constitution au lendemain de sa prochaine
réélection, prétextant que les conditions
d’éligibilité de 2010 faisaient
jurisprudence pour 2015 (Apanews, 8/03).
Le régime Ouattara ne semble de toute
façon pas très attaché au respect des
textes. C’est en violation de la
Constitution car il n’avait pas 40 ans en
2012, que le leader de la rébellion
Guillaume Soro est devenu président de
l’Assemblée nationale, après avoir été
Premier ministre.

Et Ouattara n’apprécie pas qu’on
questionne son rapport au droit. La Lettre
du Continent
(1/07) a raconté comment
celui-ci,
« agacé par plusieurs questions
sur la limitation des mandats
présidentiels et sur les libertés »
a
interrompu une interview avec les médias
ivoiriens, la BBC et France 24, avant de la
reprendre. Bien sûr, cette interruption a
disparu au montage, avant diffusion.

[1L’article
35 pose des restrictions notamment
sur l’âge et la nationalité pour se présenter à la
présidentielle. Nous n’entrons pas dans le
débat sur l’éligibilité de Ouattara

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 249 - septembre 2015
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi