Dans une élection présidentielle qui semble écrite d’avance, Alassane Ouattara a suffisamment de cartes en mains pour l’emporter très facilement en octobre. Dès le premier tour ? En tout cas, Paris pourra se réjouir de la stabilité retrouvée et fermer les yeux encore plus fermement sur les divisions d’une Côte d’Ivoire meurtrie
Avec une Commission électorale indépendante toujours largement favorable à Alassane Ouattara, un désarmement des ex-combattants encore inachevé et une liste électorale toujours très lacunaire, les conditions de l’élection présidentielle du 25 octobre offrent des points communs avec celles qui menèrent la Côte d’Ivoire à la crise électorale puis militaire de 2010-2011.
À l’époque, la France et l’ONU vantaient cette élection comme le passage obligé pour sortir de la crise politico-militaire née de la rébellion armée déclenchée en 2002 contre le président Laurent Gbagbo. Le scrutin organisé dans une Côte d’Ivoire divisée en deux, avec un Nord sous la coupe réglée de la rébellion et un Sud contrôlé par un gouvernement de réconciliation, avait débouché sur des contestations électorales puis une crise au cours de laquelle l’ONU, la France et les forces rebelles avaient pris parti pour Ouattara face au président sortant. En avril 2011, ce furent finalement les hélicoptères et blindés français qui assurèrent la victoire de la rébellion et l’accession au pouvoir de Ouattara.
Si les conditions d’organisation du scrutin n’offrent guère plus de garantie en 2015 qu’en 2010, l’issue sera toutefois bien différente, car sur l’échiquier politique, le président ivoirien est face à une opposition aux moyens faibles et politiquement très divisée (33 candidatures ont été déposées). Mais surtout, tandis que Gbagbo passait pour un animal politique instable capable un jour d’offrir tous les marchés aux grands groupes français, le lendemain de s’en prendre aux intérêts français, Ouattara a l’appui de la France. Ayant toutes les cartes en mains, la seule inconnue sur le plan politique est de savoir s’il gagnera au premier tour. Le contraire serait surprenant.
Pour Théophile Kouamouo (mondafrique.com), la présence d’un candidat représentant l’opposition FPI (parti de Gbagbo, aujourd’hui profondément divisé), personnage indispensable au scénario, serait le fruit conjugué des pressions exercées par la France sur le FPI et d’un chantage sur Pascal Affi N’guessan (nouveau président du FPI, dont la légitimité est très contestée) : « À sa sortie de prison, ruiné et ostracisé, il a été reçu par des ambassadeurs occidentaux qui lui ont bien fait comprendre qu’ils ne le protégeraient que s’il se montrait disposé à participer au… casting du film ». Il est vrai qu’en février, l’ONU a officiellement levé les sanctions prises contre Affi N’guessan.
Très curieusement, malgré l’accession d’Alassane Ouattara au pouvoir, l’article 35 [1]. de la Constitution ivoirienne n’a pas été modifié. Mise en place par référendum sous la junte du général Robert Guéï en 2000, cette constitution, et plus particulièrement son article 35, sont décriés depuis longtemps par les supporters de Ouattara. C’est en effet en s’appuyant sur cet article 35 que Ouattara avait été exclu de la présidentielle de 2000, qui avait finalement vu Laurent Gbagbo l’emporter face au général Guéï. Par la suite, l’éligibilité de Ouattara était apparue comme l’une des revendications clefs de la rébellion déclenchée en septembre 2002 contre Gbagbo. Fortement appuyées par Paris, les forces rebelles et le RDR (parti de Ouattara) avaient obtenu à la table ronde de Linas-Marcoussis en 2003 le principe d’une modification de l’article 35, mais en vain. L’éligibilité de Ouattara fut temporairement réglée lorsqu’en 2005, par une décision présidentielle qui faisait suite aux négociations menées par le président sudafricain Thabo Mbeki, Gbagbo déclara exceptionnellement éligible pour la prochaine élection présidentielle tout candidat présenté par un parti politique signataire de l’accord de Linas-Marcoussis. C’est ainsi qu’à défaut d’être transparente et juste, l’élection de 2010 fut en tout cas pluraliste.
On ne s’attendait pas à ce que l’article 35 résiste aussi longtemps à Alassane Ouattara, présenté comme la principale victime de l’ivoirité, l’idéologie xénophobe diffusée pendant la présidence Bédié (19931999) et dont l’article 35 est un aboutissement. Mais en mars, Ouattara a repoussé la modification de la Constitution au lendemain de sa prochaine réélection, prétextant que les conditions d’éligibilité de 2010 faisaient jurisprudence pour 2015 (Apanews, 8/03). Le régime Ouattara ne semble de toute façon pas très attaché au respect des textes. C’est en violation de la Constitution car il n’avait pas 40 ans en 2012, que le leader de la rébellion Guillaume Soro est devenu président de l’Assemblée nationale, après avoir été Premier ministre.
Et Ouattara n’apprécie pas qu’on questionne son rapport au droit. La Lettre du Continent (1/07) a raconté comment celui-ci, « agacé par plusieurs questions sur la limitation des mandats présidentiels et sur les libertés » a interrompu une interview avec les médias ivoiriens, la BBC et France 24, avant de la reprendre. Bien sûr, cette interruption a disparu au montage, avant diffusion.
[1] L’article 35 pose des restrictions notamment sur l’âge et la nationalité pour se présenter à la présidentielle. Nous n’entrons pas dans le débat sur l’éligibilité de Ouattara