Survie

Fini de rire : la Françafrique est aux commandes

rédigé le 1er septembre 2015 (mis en ligne le 12 septembre 2015) - Odile Tobner

Sa reprise en main brutale de Canal Plus a fait connaître au grand
public qui était Bolloré ; plus exactement celle des fameux Guignols
de l’Info, car le bonhomme s’était déjà signalé par une intervention
aussi directe dans les programmes de la chaîne : la censure d’un
reportage consacré à l’évasion fiscale et mettant en cause le Crédit
Mutuel, une des banques historiques du groupe Bolloré.

C’est que le
bonhomme n’aime pas qu’on tente de percer l’opacité de ses affaires
bancaires et africaines. On se souvient du procès intenté contre Benoît
Collombat pour son reportage « Cameroun : l’empire noir de Vincent
Bolloré
 », diffusé sur France Inter en mars 2009 (cf. Billets n°190, 192, 193).

Loin du modèle de l’entrepreneur schumpétérien créateur d’innovation,
Bolloré n’a jamais rien inventé : tel Tapie, il prospère sur la faillite d’autrui.
Bolloré, c’est Tapie qui aurait trouvé la poule aux œufs d’or du capitalisme
colonial. Son groupe tire l’essentiel de ses bénéfices de l’exploitation des
« anciennes » colonies africaines de la France ; il s’est construit sur les
dépouilles de groupes coloniaux historiques, tel le groupe Rivaud, et au fil
d’acquisitions, dans des conditions souvent douteuses, d’entreprises
essentielles pour les pays d’Afrique francophone. Une semblable politique
des dépouilles, mais cette fois sur le dos d’États en faillite, lui a permis de
racheter les actifs stratégiques dont ces pays ont été contraints de se
défaire en raison des plans d’ajustements structurels imposés par les
institutions financières internationales. Le groupe est désormais en
situation de monopole dans des secteurs clé de la plupart des pays
d’Afrique francophone.

La seule « innovation créatrice » à l’origine de cet empire est financière.
Ce sont les banques qui ont fait Bolloré, lui qui a commencé sa carrière
comme employé de l’une d’elle et qui l’est sans doute resté au fond. Ce
sont elles qui lui ont permis, notamment par l’ingénieux système de
participations en cascade appelé « poulies bretonnes » [1] , de s’emparer
d’entreprises aussi importantes pour un investissement minimal.
Autre point commun avec Tapie, c’est le Crédit lyonnais nationalisé qui
a donné à Bolloré le coup de pouce décisif. Qui dit Crédit lyonnais
nationalisé dit protections politiques, et c’est peut-être le plus grand atout
de Bolloré. Son groupe a toujours prospéré à l’ombre des réseaux
politiques, tout puissants dans une Afrique francophone où ils ne
rencontrent aucun contre-pouvoir, et où ils lui ont permis de remporter
des marchés publics au mépris de toute logique concurrentielle. En France
même, ses appuis politiques lui ont valu de disposer gratuitement d’une
licence de diffusion sur la TNT. La revente de ce bien public lui a permis de
dégager trois cents millions d’euros de bénéfice sur le dos du contribuable
et de prendre le contrôle de Canal Plus.

Devenu désormais un acteur important du secteur de la
communication, le contrôle d’une grande chaîne venant s’ajouter à celui
de Havas, une des plus importantes agences de publicité, Bolloré a tout
pouvoir pour verrouiller l’information sur son groupe. Le quotidien Le
Monde , que Havas avait privé de plus de sept millions d’euros de recettes
publicitaires à la suite de l’article de Maureen Grisot, « Le monopole de
Bolloré sur le port d’Abidjan est de plus en plus contesté », a bien retenu la
leçon : la série d’articles qu’il a consacrés cet été au projet Bolloré de
boucle ferroviaire Cotonou-Abidjan semble avoir été directement rédigé
par le bureau de relations publiques du groupe Bolloré. D’où l’on voit que
la démocratie ne se partage pas : la défendre en Afrique, c’est aussi la
préserver en France.

[1Lire Cascades de holdings, poulies bretonnes et poupée russes, étude de Galina G., Sorbonne,
disponible sur www.docs­en­stock.com

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 249 - septembre 2015
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