Survie

Répression ordinaire au Togo

rédigé le 1er septembre 2015 (mis en ligne le 1er novembre 2015) - Camille Faisans

Même avec un passeport français, il ne fait pas bon critiquer le régime togolais et les fraudes électorales qui ont entaché la dernière présidentielle. Le directeur d’un centre culturel vient de faire les frais d’un pouvoir qui craint de subir le même sort que son voisin burkinabè.

Au centre Mytronunya à Lomé, on pouvait venir boire un verre, voir un concert, emprunter un livre à la bibliothèque. Des artistes y répétaient. Une part importante des activités du centre étaient tournée vers l’agriculture biologique via des partenariats avec des paysans. A l’occasion, des événements étaient consacrés à des sujets plus politiques : le panafricanisme, les paradis fiscaux, les figures révolutionnaires africaines. C’était l’occasion de riches débats où des critiques du régime pouvaient être entendues.

Ce lieu unique de parole libre déplaisait aux services sécuritaires togolais. Il y a quelques années déjà, le directeur du centre, Sebastian Alzerecca, alias « Zoul », était tombé par hasard sur une clé USB d’un jeune fréquentant le centre contenant des rapports de surveillance sur les soirées et les participants. Des paysans avec lesquels le centre avait tenté de monter un partenariat avaient aussi fait l’objet d’une surveillance.

« le Togo n’est pas le Burkina »

Le 26 avril dernier, alors que le Togo est en attente des résultats de la présidentielle, Zoul envoie aux abonnés de la newsletter du centre des commentaires sur l’élection et les fraudes qui y ont été relevées. Il y souligne que les résultats partiels qui ont fuité donnent l’avantage à un candidat de l’opposition. Dès le lendemain, il est menacé lors d’un appel téléphonique « le Togo n’est pas le Burkina, si tu ne fais pas attention, ton sang va être versé ». Il décide de porter plainte.

Mais à aucun moment l’enquête qui se déclenche ne va chercher à connaître les auteurs des menaces : c’est la victime qui va devenir la cible de la police togolaise. Le 5 mai, le centre Mytronunya puis le domicile de Zoul et de sa famille font l’objet d’une perquisition. Ses ordinateurs et son passeport lui sont confisqués. Des textes critiques du régime, ni terminés ni publiés, sont découverts sur ses disques durs et provoquent l’emballement des enquêteurs. L’ensemble du bureau de l’association qui gère le centre est auditionné.

Les services togolais font tourner un peu partout un dossier pour décrédibiliser Zoul et faire croire qu’il complotait contre le chef de l’État. C’est la frange la plus dure du régime qui est à la manoeuvre, notamment le colonel Massina. Ce dernier a du quitter la direction de l’ANR (Agence Nationale des Renseignements) suite à des accusations de torture. Il dirige depuis la gendarmerie togolaise (cf. Billets n°245, avril 2015). Fin mai, le gouvernement togolais démissionne et ne sera pas renouvelé avant un mois. En juin, le président Faure Gnassingbé disparaît pendant deux semaines, probablement pour des raisons de santé. Cette vacance du pouvoir donne toute latitude aux « durs » du régime, ce qui a de quoi inquiéter Zoul et sa compagne. Le 1er juin, cette dernière, qui travaille pour le ministère de l’agriculture sur un programme de la Banque Mondiale, est licenciée pour « complicité d’activités subversives » malgré les protestations de ses collègues. Un ancien membre du gouvernement qui avait apprécié son travail lors d’un autre emploi est même approché et menacé par le colonel Massina.

Le couple demande a être reçu à l’ambassade française. En présence de l’ambassadeur, du consul et des responsables du service de sécurité intérieur de l’ambassade, il leur est signifié que Zoul ayant commis une erreur en commentant les résultats de l’élection, il vaut mieux assumer et envisager de quitter le Togo à terme. Présent à la réunion, le lieutenantcolonel Philippe Bart, chargé de la coopération avec la gendarmerie togolaise, est un ami du colonel Massina avec qui il travaille, visiblement pas dérangé par les accusations de tortures qui visent son homologue. Contacté par l’association Survie, un membre du service de sécurité intérieur à l’ambassade accrédite la version togolaise et indique que les charges contre Zoul sont « sérieuses ». Les cadres de l’appareil sécuritaire togolais semblent obsédés par le renversement du régime burkinabè en octobre dernier et craignent que le même sort leur soit réservé au Togo. Zoul apprendra plus tard que des enquêtes ont été menées dans les différents pays d’Afrique francophone où il s’est rendu, à la recherche d’un improbable complot international auquel il aurait participé. Il lui est rapporté que le colonel Massina cherche à ce qu’il soit condamné à 20 ans de prison ferme, faisant pression jusqu’au bout sur les magistrats pour obtenir ce verdict.

Condamnation

Finalement, Zoul est condamné le 29 juillet à deux ans de prison avec sursis et une interdiction de 5 ans du territoire togolais. Son avocat se rend au greffe dans la foulée afin d’engager une procédure d’appel, mais le dossier a mystérieusement disparu du système. Aujourd’hui rentrée en France, la famille est consciente que le passeport français leur a fourni une certaine protection. L’ambassade de France, après des alertes de proches auprès du gouvernement français, aurait obtenu l’assurance des autorités togolaises que Zoul ne serait pas condamné à de la prison ferme. On est loin du portrait brossé par certains d’une démocratie frappée de quelques dysfonctionnements. Ainsi, dans une tribune dans le journal La Croix (23/04), on pouvait lire qu’au Togo « le changement le plus important est probablement celui de la liberté de parole à tous les niveaux de la société. La peur a globalement disparu au quotidien » [1]. Il est manifestement question d’un autre pays. Lorsque Zoul a reçu des menaces de mort par téléphone, des militants togolais ont été menacés par le même numéro à la même période. Pour eux le risque est bien plus grand. Si un Balai citoyen togolais voyait le jour, ses animateurs se heurteraient à la répression politique toujours en cours au Togo. Un mois avant la présidentielle, c’est à balles réelles que la gendarmerie togolaise réprimait une manifestation d’étudiants.

[1Les enjeux de l’élection togolaise, tribune de Bruno Angsthelm, chargé de mission Afrique au CCFDTerre Solidaire et de Yves Dossou, coordinateur de l’association togolaise Solidarité action pour le développement durable

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 249 - septembre 2015
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi