Deux mois après la visite de François Hollande, le régime de Paul Biya fait à nouveau la
démonstration de son autoritarisme. Pas de quoi gêner la diplomatie française.
Paul Biya l’a assuré, à côté du
président français, le 3 juillet à
Yaoundé : il n’est « pas à la tête
d’un État par la force », ajoutant un peu
après que « la justice au Cameroun est
totalement indépendante. Même s’il
arrivait à l’exécutif de vouloir
l’influencer, l’exécutif ne réussirait pas ».
François Hollande, comme à son habitude
lorsqu’il tente de concilier préservation
des intérêts et sauvetage de son image au
côté d’un dictateur africain, est resté
stoïque, faisant mine de se détacher du
propos. Seulement a-t-il
essayé, lors de
son tour de parole dans la conférence de
presse où la lutte contre Boko Haram
avait occupé la place principale, d’asséner
que « il ne peut pas y avoir de
développement sans sécurité. Il ne peut
pas non plus y avoir de développement
sans démocratie. (…) Nous sommes
également attentifs à la liberté
d’expression et aux droits de l’Homme, et
je sais que sur le plan de la justice nous
avons une coopération avec la justice
camerounaise, la justice française, qui
doivent être des justices indépendantes »
(sic). Un ton de préconisation pour faire
mine de condamner, une évocation lisse
et encourageante pour ne pas froisser…
Bref, un paternalisme qui ne gêne
personne, surtout pas Biya qui avait pris
soin d’évoquer dès le début de supposés
« progrès enregistrés dans le processus
de consolidation de [la] démocratie »
camerounaise.
Deux mois plus tard, la « sécurité »
évoquée par Hollande était le prétexte à
l’arrestation au nord du Cameroun de
Claude Linjuom Mbowu, ressortissant
camerounais en doctorat en France.
Cofondateur de l’Association pour la
défense des étudiants camerounais
(ADDEC), un syndicat étudiant étiqueté
comme opposant, son arrestation le
6 septembre à son retour de la région
d’Extrême-Nord,
où sévit la guerre contre
Boko Haram, a inquiété ses proches qui
n’ont cessé de se mobiliser jusqu’à sa
libération 8 jours plus tard. Finalement,
sa détention arbitraire a mis en lumière
les arrestations que subissent des
centaines d’anonymes… Justement, le
15 septembre, l’ONG Amnesty
International publiait un rapport (téléchargeable ici) sur les
crimes commis dans la région par Boko
Haram, qui recensait de nombreuses
exactions commises par l’armée
camerounaise au nom de la « lutte contre
le terrorisme » : destruction de maisons,
exécutions, arrestation de plus d’un
millier de suspects (dont des enfants de
5 ans !), disparition de 130 personnes, cas
« mystérieux » de la mort de
25 personnes en garde à vue, que le
gouvernement explique avec une fausse
naïveté par une « intoxication chimique
collective après ingestion de produits
chimiques et traditionnels non
identifiés »...
A Yaoundé, les autorités camerounaises
ont procédé à l’arrestation de neuf
personnes les 15 et 16 septembre, au
prétexte d’une réunion publique non
déclarée. Problème, la réunion était un
atelier de travail du réseau national
Dynamique Citoyenne dans une salle
louée pour l’occasion, bien loin d’une
manifestation ; et la violence des
arrestations du 15, dont témoignent les
vidéos qui ont largement circulé sur le
web, montre qu’il ne s’agissait pas d’un
simple souci administratif. Il s’agissait en
fait d’un atelier sur le thème
« Gouvernance électorale et alternance
démocratique », pour lancer au Cameroun
la campagne internationale « Tournons la
Page », qui pose comme préalable à la
démocratie la possibilité d’une alternance
au pouvoir… Impensable, au pays de
Paul Biya. Six personnes (dont un
journaliste) ont été arrêtées sur place et se
sont vues notifier une « garde à vue
administrative », une procédure
normalement prévue dans le cadre de la
lutte contre le grand banditisme.
Soudainement placés en garde à vue
judiciaire le lundi suivant, ils ont
finalement été remis en liberté le
23 septembre, mais sont convoqués au
tribunal le 28 octobre pour
« désobéissance aux autorités
administratives et policières et
rébellion ». Mais qu’on se rassure, la
justice camerounaise est indépendante...
Ce motif d’inculpation n’explique
d’ailleurs pas l’arrestation et la détention
pendant plusieurs heures des trois autres
militants de Dynamique Citoyenne, le
lendemain de l’atelier, ni la perquisition
du siège de l’association. Et le
harcèlement continue : le 1er octobre, la
police a à nouveau investi les locaux. La
réunion qui s’y tenait, bien qu’interne à
Dynamique Citoyenne, serait selon les
autorités « de nature à porter gravement
atteinte à l’ordre public ». Comme le
dénonce une pétition en ligne destinée à
soutenir l’association, « parce qu’elle
évoque le tabou de l’alternance
démocratique, Dynamique Citoyenne n’a
de fait plus le droit de se réunir sans
solliciter d’autorisation préalable » [1].
Jouant à Yaoundé avec le droit comme
avec la violence à l’Extrême-Nord,
le
régime camerounais vient à nouveau
d’illustrer sa nature profondément
répressive et liberticide, deux mois après
la visite de François Hollande. La
diplomatie française, comme à
l’accoutumée, est restée muette.
L’ambassadrice à Yaoundé, qui au sujet
des militants de Dynamique Citoyenne a
reçu comme son homologue camerounais
en France des dizaines de courriels lui
demandant « de prendre toutes les
mesures en [son] pouvoir pour obtenir
leur libération immédiate et sans
condition », s’est contentée d’une réponse
automatique polie, la disant « bien
informée de cette affaire, suivie de près
en liaison avec [ses] collègues de
l’Union européenne ». Même un mot de
condamnation publique, c’est trop
demander.