Redouté depuis des mois, annoncé courant septembre, le passage en force de Denis Sassou Nguesso pour rester au pouvoir après 2016 se poursuit. En dépit de déclarations tout en ambiguïté, l’Elysée lâche… les démocrates congolais, une fois de plus.
L’opposition n’est pas restée passive : outre les meetings organisés les semaines d’avant (dont celui du 27 septembre, d’une ampleur historique, cf. Billets n°250, octobre 2015), des manifestations ont lieu dès le 20 octobre dans tout le pays, avec appel à la désobéissance civile [1]. Un climat insurrectionnel règne, des bâtiments sont incendiés (dont trois commissariats à Brazzaville, et des résidences de proches de Sassou).
La réponse du pouvoir : des dizaines
d’arrestations, au moins vingt morts, des
dizaines de blessés. La ville martyre de
Brazzaville [2] se rappelle qui est à la tête du
Congo : des hélicoptères survolent les
quartiers sud, l’armée tire à balles réelles,
les réseaux de télécommunications sont
coupés, des émetteurs radios – notamment
celui de RFI – n’émettent plus.
Les leaders de l’opposition sont harcelés.
Le 20, six porte-paroles
de l’opposition
sont arrêtés juste avant une conférence de
presse, puis relâchés dans la soirée. Le
même jour, vingt militants sont arrêtés [3] au
domicile de M. Boungouandza (sénateur et
membre de l’UPADS, un des principaux
partis d’opposition). Du 22 octobre au
2 novembre, l’opposant Guy Brice Parfait
Kolelas est encerclé par la Garde
présidentielle à son domicile avec une
trentaine de personnes.
C’est dans ces conditions que s’est tenu le
référendum sur le changement de
constitution. Les Congolais ont pu assister
au spectacle de bureaux de vote à peu près
aussi vides que leur garde-manger
; et à
l’annonce sans surprise d’une participation
massive – 72 % – plébiscitant la réforme à
93 % des votants. Notons qu’avec l’âge,
M. Sassou Nguesso est devenu modeste :
le référendum par lequel il a fait valider
son coup d’État en 1979 avait
prétendument obtenu 97 % des voix.
Le front d’opposition IDC-FROCAD
a
annoncé son programme : après trois jours
de deuil et l’enterrement des leurs, les
marches doivent reprendre dans les
grandes villes dès le 5 novembre. Un
grand meeting est prévu dès le 7, et des
journées « ville morte » doivent avoir lieu
tous les jeudis et vendredis jusqu’au
rétablissement de l’ordre constitutionnel.
Pendant ce temps, dans l’ambiance feutrée
des rédactions parisiennes, on sait rester
mesuré. Il aura fallu attendre le référendum
pour que la presse française prenne
acte de l’illégitimité des manœuvres de
Sassou. Avant cela, ceux qui savent que le
Congo existe gratifient leurs lecteurs
d’articles ignominieusement « objectifs » –
selon la définition qu’en a fait Jean Luc
Godard [4] –, ouvrant largement leurs
colonnes aux supposés « pro-Sassou
».
RFI fut en l’occurrence un modèle du
genre, avec le désormais mythique
« Congo-Brazzaville
: pourquoi tant de
polémiques autour du référendum ? »
(23/10). Un long article, dont plus de la
moitié est consacré à la position du clan
Sassou, et le reste à dire que la population
ne croit « ni au pouvoir, ni à
l’opposition ».
Les « manifestants » pro-oui,
largement
rémunérés d’après nos informations, ont
pu se faire filmer dans leurs cortèges
sillonnant les beaux quartiers de
Brazzaville, preuve s’il en fallait que le
ridicule tue moins sûrement que les balles.
La France officielle a quant à elle donné
dans la « communication du sens du
vent », ce qui n’est pas facile en pleine
tempête. Quelques instants après que
Laurent Fabius a reçu le ministre
congolais des Affaires étrangères Jean Claude
Gakosso (le 21/10, en pleine
répression), François Hollande déclare que
Sassou Nguesso « peut consulter son
peuple, ça fait partie de son droit ». Le 27,
à l’annonce des résultats, le Quai d’Orsay
indique en « prendre note », puis le soir
même l’Élysée envoie aux rédactions un
communiqué – non publié sur son site
officiel – estimant que les « conditions
dans lesquelles ce référendum a été
préparé et organisé ne permettent pas d’en
apprécier le résultat », mais confirmant
que « la France [en] prend note ».
Si l’on ajoute les prises de position du
Parti socialiste qui émet régulièrement des
réserves sur la stratégie de Sassou [5], et un
historique des déclarations du Président
français – tantôt mettant en garde les
présidents tentés de se maintenir au
pouvoir [6], puis affirmant à l’occasion d’une
visite de Sassou à Paris début juillet que ce
qui compte, c’est le « consensus » –, on
cherche en vain une grille d’analyse.
Proposons-en
une.
La France est le premier partenaire
commercial du Congo. Premier
fournisseur, avec 21 % du marché,
premier investisseur, premier créancier.
Les entreprises françaises emploient près
de 12 000 salariés au Congo, dont un millier d’expatriés. L’entreprise Total
extrait 60 % du pétrole national dans des
conditions d’opacité qu’elle n’a pu obtenir
que par la guerre [7]. D’autres entreprises,
comme Bolloré qui a obtenu en 2009 la
concession du port de Pointe-Noire
sur
27 ans, ne sont pas en reste.
L’armée et la gendarmerie congolaises –
celles-là
même qui tirent sur les
manifestants – bénéficient des accords de
coopération avec la France pour la
formation des officiers [8],
lesquels sont systématiquement recrutés
sur base ethniste.
Ajoutons deux dossiers chauds : la COP21
qui aura lieu du 30 novembre au
11 décembre à Paris ne peut pas se passer
du soutien des « amis » africains ; et le
chaos en Centrafrique, pays où la France
veut à tout prix organiser des élections pour
défendre le bilan de son intervention
militaire et dans lequel Sassou s’est placé
en position de « médiateur » – et de maître
chanteur (cf. Billets n°244, mars 2015), .
Cela n’est que la face émergée de l’iceberg.
Après cinquante années de coups fumants [9],
M. Sassou Nguesso doit bien avoir, selon
l’expression d’Alfred Sirven, « de quoi
faire sauter vingt fois la République
[française] ». Combien de « dossiers » a-t-il
en sa possession sur des personnalités
publiques ou de l’ombre au plus niveau de
l’État et de l’industrie françaises ?
On comprend la situation délicate du
Président français, pour qui un
positionnement trop cynique est de plus en
plus coûteux électoralement. On aimerait
lui suggérer de choisir le droit et la
démocratie, quel qu’en soit le prix.
[1] La désobéissance civile est un acte légal prévu par la Constitution de 2002, à l’inverse du référendum du 25 octobre.
[2] En décembre 1998, Denis Sassou Nguesso livre la ville au « massacre à grande échelle », lire FIDH/OCDH, Congo-Brazzaville. L’arbitraire de l’État, la terreur des milices, 17/06/1999.
[3] A l’heure où nous bouclons ce numéro, ces militants sont toujours détenus.
[4] « L’objectivité à la télévision, c’est cinq minutes pour les Juifs et cinq minutes pour Hitler »
[5] notamment son communiqué du 24/09/2015.
[6] Lors du XVe sommet de la Francophonie à Dakar, en novembre 2014.
[7] Lorsque le président Lissouba, élu en 1992, a remis en cause les privilèges d’Elf (rachetée en 1999 par Total), l’entreprise a tout fait pour réinstaller Sassou. Une perquisition au siège d’Elf a fourni les preuves de l’implication directe de l’entreprise dans le rétablissement de Denis Sassou Nguesso. Lire F-X. Verschave, Noir Silence, Les Arènes, 2000.
[8] cf. "Coopération militaire - L’armée française complice au Congo ?", Billets n°251, novembre 2015
[9] Sassou fait partie du cercle d’officiers qui renverse Alphonse Massamba-Débat en 1968.