L’épisode de violence qui a précédé le référendum est emblématique du pouvoir de Brazzaville. Mais l’armée française, qui coopère activement avec les forces armées et la gendarmerie congolaises, pourrait aussi voir sa responsabilité engagée.
Dans un communiqué publié le 2 novembre, les organisations membres de la campagne « Tournons La Page » et l’ACAT [1] réclament « qu’une enquête indépendante détermine s’il y a eu un usage disproportionné de la force létale par les forces de l’ordre et si ces dernières ont manqué de partialité dans leur mission de maintien de l’ordre ». Les ONG ne se font pour autant pas d’illusion sur la nature du régime, précisant qu’il « est vain d’espérer des autorités congolaises la moindre enquête indépendante et impartiale sur de tels faits. L’impunité des éléments des forces de l’ordre est en effet patente en République du Congo depuis des décennies et les instances judiciaires, normalement compétentes en la matière, manquent cruellement d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif ». Ces organisations demandent donc « une enquête internationale » et « appellent la communauté internationale, et plus particulièrement l’Union africaine, l’Union européenne, le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, à se concerter avec les autorités congolaises en vue de la mise en place d’une telle commission d’enquête et de son déploiement rapide sur le terrain ». Or, comme Survie l’a signalé en amont du référendum, « la France a une responsabilité particulière au Congo-Brazzaville » : et il n’est pas simplement question ici de l’appui historique à Sassou Nguesso dans son accession au pouvoir, via le faux-nez de l’entreprise publique Elf, mais bien de la façon dont la responsabilité française pourrait éventuellement être engagée pour les violences de ces dernières semaines. En effet, l’accord de coopération militaire signé en 1974 entre le Congo et la France est toujours en vigueur [2]]]. Et il n’est pas tombé dans l’oubli, loin de là : quelques mois avant ce nouvel épisode de répression sanglante, les deux pays ont signé des conventions que les autorités françaises se sont bien gardées de rappeler dans leur communication sur la crise : l’une, signée en janvier dernier, concerne notamment la formation, l’entraînement et l’organisation du commandement opérationnel des Forces armées congolaises (ADIAC-Congo, 24/01) ; une autre, fin juin, concerne les liens entre les gendarmeries française et congolaise. Des liens étroits, puisqu’un officier français, le Lieutenant-colonel Eric Misserey, est mis à disposition du commandant de la gendarmerie congolaise [3]. Ce type de coopération française, bien plus directe que la coopération militaire faite de fourniture d’armes que la Suède a interrompue au printemps avec l’Arabie Saoudite du fait des violations des droits humains (AFP, 10/03), n’est évidemment pas une spécificité du Congo, en Françafrique (voir par exemple le Togo, cf. Billets n°245, avril 2015). Mais cette fois, une convention est signée ou renouvelée et, seulement 4 mois après, « la police et la gendarmerie vont tirer, parfois à balles réelles » (Jeuneafrique.com, 3/11), peut-on lire même sous la plume barbouzarde de François Soudan, neveu par alliance de Sassou Nguesso (cf. Billets n°250, octobre 2015). Le journal en ligne The Dissident (2/11) a interrogé le Quai d’Orsay, qui « n’a pas souhaité donné les raisons qui justifiaient de maintenir ces accords militaires avec le Congo, estimant que "les autorités françaises se sont [déjà] exprimées sur ce scrutin" ». Si le silence médiatique et politique persiste sur cette coopération criminelle, la justice ne pourrait-elle pas désormais s’en mêler ?
[1] Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture
[2] « Accord de coopération technique en matière de formation de cadres et d’équipement de l’armée populaire nationale entre la République française et la République populaire du Congo », signé en 1974 et téléchargeable ici (pp 6 à 10 du document pdf)
[3] voir l’article « Signature de la convention de gendarmerie » sur le site internet de l’ambassade de France au Congo.