Survie

L’armée française complice au Congo ?

rédigé le 1er novembre 2015 (mis en ligne le 8 novembre 2015) - Thomas Noirot

L’épisode de violence qui a précédé le référendum est
emblématique du pouvoir de Brazzaville. Mais l’armée
française, qui coopère activement avec les forces armées
et la gendarmerie congolaises, pourrait aussi voir sa
responsabilité engagée.

Dans un communiqué publié le
2 novembre
, les organisations
membres de la campagne
« Tournons La Page » et l’ACAT [1]
réclament « qu’une enquête indépendante
détermine s’il y a eu un usage
disproportionné de la force létale par les
forces de l’ordre et si ces dernières ont
manqué de partialité dans leur mission de
maintien de l’ordre »
. Les ONG ne se font
pour autant pas d’illusion sur la nature du
régime, précisant qu’il « est vain d’espérer
des autorités congolaises la moindre
enquête indépendante et impartiale sur de
tels faits. L’impunité des éléments des
forces de l’ordre est en effet patente en
République du Congo depuis des
décennies et les instances judiciaires,
normalement compétentes en la matière,
manquent cruellement d’indépendance
vis-à-vis
du pouvoir exécutif »
. Ces
organisations demandent donc « une
enquête internationale »
et « appellent la
communauté internationale, et plus
particulièrement l’Union africaine,
l’Union européenne, le Haut-commissariat
aux droits de l’homme des Nations unies, à
se concerter avec les autorités congolaises
en vue de la mise en place d’une telle
commission d’enquête et de son
déploiement rapide sur le terrain »
. Or,
comme Survie l’a signalé en amont du
référendum, « la France a une
responsabilité particulière au Congo-Brazzaville

 »
 : et il n’est pas simplement
question ici de l’appui historique à Sassou
Nguesso dans son accession au pouvoir,
via le faux-nez
de l’entreprise publique Elf,
mais bien de la façon dont la
responsabilité française pourrait
éventuellement être engagée pour les
violences de ces dernières semaines. En
effet, l’accord de coopération militaire
signé en 1974 entre le Congo et la France
est toujours en vigueur [2]]]. Et il n’est pas
tombé dans l’oubli, loin de là : quelques
mois avant ce nouvel épisode de
répression sanglante, les deux pays ont
signé des conventions que les autorités
françaises se sont bien gardées de rappeler
dans leur communication sur la crise :
l’une, signée en janvier dernier, concerne
notamment la formation, l’entraînement et
l’organisation du commandement
opérationnel des Forces armées
congolaises (ADIAC-Congo,
24/01
)
; une
autre, fin juin, concerne les liens entre les
gendarmeries française et congolaise. Des
liens étroits, puisqu’un officier français, le
Lieutenant-colonel
Eric Misserey, est mis
à disposition du commandant de la
gendarmerie congolaise [3]. Ce type de
coopération française, bien plus directe
que la coopération militaire faite de
fourniture d’armes que la Suède a
interrompue au printemps avec l’Arabie
Saoudite du fait des violations des droits
humains (AFP, 10/03), n’est évidemment
pas une spécificité du Congo, en
Françafrique (voir par exemple le Togo,
cf. Billets n°245, avril 2015). Mais cette
fois, une convention est signée ou
renouvelée et, seulement 4 mois après, « la
police et la gendarmerie vont tirer, parfois
à balles réelles » (Jeuneafrique.com
,
3/11), peut-on
lire même sous la plume
barbouzarde de François Soudan, neveu
par alliance de Sassou Nguesso (cf. Billets
n°250, octobre 2015
). Le journal en ligne
The Dissident (2/11) a interrogé le Quai
d’Orsay, qui « n’a pas souhaité donné les
raisons qui justifiaient de maintenir ces
accords militaires avec le Congo, estimant
que "les autorités françaises se sont [déjà]
exprimées sur ce scrutin" »
. Si le silence
médiatique et politique persiste sur cette
coopération criminelle, la justice ne
pourrait-elle
pas désormais s’en mêler ?

[1Action des Chrétiens pour l’Abolition de la
Torture

[2« Accord de coopération technique en
matière de formation de cadres et
d’équipement de l’armée populaire nationale
entre la République française et la République
populaire du Congo », signé en 1974 et téléchargeable ici (pp 6 à 10 du document pdf)

[3voir l’article « Signature de la convention de gendarmerie » sur le site internet de
l’ambassade de France au Congo.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 251 - novembre 2015
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