Des écoutes téléphoniques mettent en cause Guillaume Soro pour son soutien au putsch
burkinabè de septembre dernier.
Le 29 septembre, au lendemain du
putsch manqué contre la transition
(Billets n°250, octobre 2015),
Djibrill Bassolé, ancien ministre des
Affaires étrangères de l’ex-dictateur
Blaise Compaoré et privé du droit de se
présenter à la présidentielle, avait été
arrêté pour « attentat à la sûreté de
l’État » et « collusion avec des forces
étrangères pour déstabiliser la sécurité
intérieure ». A l’appui de ces accusations
avaient été évoqués des échanges avec
Guillaume Soro, président de l’Assemblée
nationale de Côte d’Ivoire, ancien chef de
la rébellion opposée à Laurent Gbagbo et
proche de Compaoré. Ce sont certains de
ces enregistrements qui viennent d’être
révélés.
Une résidence de Soro à Ouagadougou,
prêtée de longue date par l’ex-régime
Compaoré, avait d’ailleurs fait l’objet
d’une perquisition, qui aurait, selon des
médias burkinabè mis au jour des gilets
pare-balles,
ainsi que de l’argent et de l’or
(Lemonde.fr, 06/11). Le site Mondafrique
(16/10) a par ailleurs affirmé que Soro
« a assuré la relecture et la correction
des deux communiqués » des putschistes
et leur avait donné « des consignes de
discrétion ». La Lettre du continent
(30/09) enfin, a rapporté que le chef des
putschistes, le général Diendéré, avait
tenu informé le président ivoirien
Alassane Ouattara, qui n’a jamais
condamné le putsch, de « toutes les
informations liées au coup d’État
(...) quasiment en temps réel » via le
lieutenant-colonel
Zakaria Koné, ancien
« com’zone » (chef de guerre ivoirien)
dont Dienderé est resté très proche.
Une « commission d’enquête sur les
événements du 16 septembre 2015 » a
remis un rapport (publié sur le site de La
Lettre du Continent) au Premier ministre
burkinabè de transition Isaac Zida qui
pointe, sans les nommer, « la caution
morale et politique de certaines
personnalités étrangères » apportée aux
putschistes, « ainsi que (...) la fourniture
de matériels de maintien de l’ordre ». Ce
rapport confirme les accusations portées
contre Bassolé, qui aurait reçu des fonds
étrangers pour financer le putsch, et
évoque une mission en hélicoptère des
putschistes à la frontière ivoiro-burkinabè
où de l’argent et du matériel de maintien
de l’ordre, en provenance du Togo ou de
Côte d’Ivoire, auraient été remis.
Le 12 novembre, une première bande-son
de 16 minutes a été divulguée par le
journaliste ivoirien Théophile Kouamouo,
qui serait l’enregistrement d’une
conversation du 27 septembre. Le contenu
est assez stupéfiant : on y entend Soro
proposer son aide financière pour relancer
le putsch de la garde présidentielle
burkinabè, soumettre une stratégie
militaire de déstabilisation du pays, et
projeter l’élimination de deux
personnalités de la transition (Salif Diallo,
conseiller de Roch-Marc Christian Kaboré,
élu fin novembre président du Faso ; et
Chérif Sy, alors président du Conseil
national de la transition), comme il avait
fait éliminer, dit-il,
Désiré Tagro et
Ibrahim Coulibaly (dit IB) en Côte d’Ivoire
au moment de l’éviction de Gbagbo…
Dans cette même bande son, Soro relaie
une accusation de Diallo selon laquelle lui,
Soro, et « Mayaki » sont derrière le putsch.
Pour la Lettre du Continent (06/2013),
« Mayaki » est le surnom donné au
Mauritanien Limam Chafi conseiller de
Compaoré, très proche de Soro, utilisé
parfois par les services français, qui serait
maintenant proche du Qatar.
Le soir même, un autre enregistrement de
moins de deux minutes était révélé. Dans
cet échange, Soro se contente de proposer
son aide, notamment financière, à
Bassolé, pour l’exfiltrer du Burkina. Il est
présenté par les proches de Soro comme
l’enregistrement original qui aurait par la
suite été utilisé et déformé pour réaliser
un montage, avec la voix d’un imitateur.
Des « experts spécialisés en décryptage
d’écoutes téléphoniques authentiques » et
mandatés par Soro auraient confirmé le
« canular », affirme le rédacteur en chef
du journal Les Afriques, Ismael Aidara,
qui donne crédit à Soro et pointe « la
main des forces occultes des agents de
renseignement et des cellules dormantes
pro-Gbagbo
» (17/11).
Enfin, le 3 décembre, Mediapart
divulguait un troisième enregistrement,
déjà évoqué par Jeune Afrique (29/11) et
dont « l’authenticité (...) n’est pas remise
en cause par l’entourage de Soro ».
L’enregistrement fait écho à la première
conversation au cours de laquelle Bassolé
avait promis d’envoyer « par SMS deux
contacts téléphoniques » afin de « faire
passer les moyens » nécessaires au
soutien des putschistes. Au téléphone,
l’ex-ministre
burkinabè confirme « avoir
envoyé les deux numéros tout à l’heure »
à son interlocuteur qui répond :
« Quelqu’un les appellera demain en mon
nom et puis procédera à ce que j’ai dit. »
A ce jour, aucune expertise indépendante
ne permet d’authentifier ou d’invalider
avec certitude les enregistrements, qui
paraissent néanmoins très crédibles. Reste
que, des écoutes téléphoniques ont été
réalisées puis dévoilées. Par qui ?
L’entourage de Soro pointe une
manipulation des pro-Gbagbo,
mais si
suspect ivoirien il y a, il est plutôt à
chercher du côté du grand rival de Soro
dans la course à la succession de Ouattara :
Hamed Bakayoko, qui a la main sur les
services de sécurité ivoiriens. Ce dernier
est d’ailleurs accusé, dans le premier
enregistrement, d’avoir lâché le CDP (le
parti de Compaoré) et d’avoir aidé, à l’insu
du président ivoirien Ouattara, à financer
la campagne des deux principaux favoris,
Kaboré et Diabré, pour s’assurer des
soutiens ultérieurs. Si les enregistrements
étaient confirmés, la carrière politique de
Soro connaîtrait un sérieux handicap…
Selon Jeune Afrique (29/11) citant une
source proche de la Transition burkinabè,
la conversation aurait pu avoir été
interceptée « avec l’aide d’une
chancellerie étrangère ». Les diplomates
français et américains démentent toute
responsabilité (on les imagine mal dire
autre chose). Autre hypothèse de
l’hebdomadaire : « une source sécuritaire
haut placée » affirme qu’Auguste Denise
Barry, fidèle d’Isaac Zida, « a mis sur pied
un système d’écoute parallèle lorsqu’il
était ministre de l’Administration
territoriale et de la Sécurité » pour court-circuiter
les moyens de surveillances aux
mains de Diendéré. Longtemps proche de
Soro, dont il a été « officier de liaison »
pour le compte de Compaoré et Dienderé
quand Soro était chef rebelle, Zida s’en est
en effet écarté quand il a rompu avec la
garde présidentielle. Certains prêtent à
Zida des ambitions présidentielles futures,
qui pourraient aussi expliquer son intérêt
à vouloir effacer Soro des écrans radars.
On n’en est sans doute qu’au début des
règlements de compte. On attend
impatiemment la suite du feuilleton...