Survie

Terrorisme et déstabilisations

(mis en ligne le 19 février 2016) - Bruno Jaffré

Si l’attentat de Ouagadougou, particulièrement meurtrier, a retenu mi-janvier
l’attention de nos médias,
d’autres événements, rapprochés dans le temps, font penser à de véritables tentatives concertées de
déstabilisation des autorités burkinabè issues des élections démocratiques de fin 2015, une année
après le renversement populaire de Blaise Compaoré.

 [1]
Si le Burkina était jusque là relativement
épargné par les attaques terroristes, le
voilà sous le choc. Selon un bilan
officiel, on dénombre 30 décès et une
trentaine de blessés. Le 15 janvier au Splendid
Hôtel, c’est vers 19h30 qu’arrivent les
premiers gendarmes burkinabè, alertés par les
coups de feu, suivis des troupes d’élites issues
de différents corps. Vers 21h30, de nombreux
échanges de tirs nourris ont déjà eu lieu, les
forces sur place ayant tenté plusieurs fois de
s’approcher. Mais elles reçoivent l’ordre
d’attendre l’arrivée des soldats américains et
des éléments du COS, les forces spéciales
françaises installées à Ouagadougou, alors que
certains éléments sont en mission au Mali.
L’assaut n’interviendra qu’à une heure du
matin et les otages vont être progressivement
libérés. Plusieurs commentateurs français,
abreuvés aux sources officielles, évoquent une
désorganisation des gendarmes burkinabè. Par
exemple, le titre du Monde Afrique du
25 janvier : « Le récit des attentats de
Ouagadougou montre l’ampleur du
"cafouillage" des autorités burkinabées
(sic) »,
est pour le moins orienté. Imaginons l’effet
d’un autre titre qui pourrait être : « les troupes
d’élite burkinabè prêtes à l’assaut contraintes
d’attendre l’arrivée des éléments du COS ! ».

Pourquoi ces attaques aujourd’hui ?

Il est de bon ton d’évoquer, pour expliquer
cette attaque, une rivalité entre Al-Qaïda
au
pays du Maghreb islamique (AQMI) et Daesch,
qui semble vouloir s’installer dans le nord du
Sahel. Sans nier qu’elle puisse exister, il faut
aussi envisager des explications liées au
contexte politique local. Cet attentat survient
en effet après la mise en échec du putsch de
l’ex-Régiment
de sécurité présidentielle (RSP),
dirigé par Gilbert Diendéré et acquis à la cause
de Compaoré, le dictateur déchu. S’il n’y a pas
de collusion avérée entre les terroristes
d’AQMI et les chefs de l’ex-RSP,
on peut
néanmoins s’interroger sur cette coïncidence,
compte tenu des liens que le régime de Blaise
Compaoré entretenait avec de nombreux
groupes armés installés dans le Sahel, ce qui lui
avait valu d’être propulsé médiateur dans le
conflit au Mali. Mais en guise de médiation, il
avait eu tendance à favoriser aussi bien des
représentants du Mouvement national de
libération de l’Azawad (MNLA) que ceux
d’Ansar Dine, dont une partie des membres
rejoindront AQMI. Le lien était assuré par
Moustapha Chafi, un Mauritanien sous mandat
d’arrêt dans son pays. Il a été l’émissaire de
Compaoré dans de nombreux conflits, et ses
connaissances parmi les Touaregs ont été mises
à profit avec succès pour obtenir la libération
d’otages occidentaux. Proche parmi les
proches de l’ancien président du Burkina, il a
été exfiltré avec lui, fin 2014, par les troupes
françaises. Moustapha Chafi a-t-il
pu jouer un
rôle dans les derniers événements ? La question est d’autant plus légitime qu’il est
également lié avec ceux qui, en Côte d’Ivoire,
soutiennent les nostalgiques de l’ancien
régime.

Des menaces qui viennent aussi de Côte d’Ivoire

La démocratie burkinabè est jeune. A
peine le gouvernement mis en place,
plusieurs incidents, certains très graves ont
déjà secoué le pays. Après qu’une tentative de
libération de Diendéré par des ex-RSP
ait été
déjouée, certains d’entre eux ont tenté, il y a
quelques jours, de dérober des armes dans un
dépôt proche de la capitale. Plusieurs
incendies criminels se sont déclarés ces
derniers jours à Ouagadougou. Dans le même
temps, la situation se tend avec la Côte
d’Ivoire, alors que le président de l’Assemblée
nationale ivoirienne, Guillaume Soro, est sous
le coup d’un mandat d’arrêt lancé par le juge
burkinabè en charge de l’enquête sur le coup
d’État. Rien n’indique que la Côte d’Ivoire
acceptera d’extrader Blaise Compaoré et
Guillaume Soro. Dans la première écoute
téléphonique entre Soro et Diendéré (Cf.
Billets n°252, décembre 2015) , au moment du
coup d’État, largement diffusée depuis, le
premier déclare notamment à son ami : « 
Voilà ce que je voulais te proposer : On
frappe dans une ville quelque part là-haut.
On récupère un commissariat, une
gendarmerie. Eux, ils vont fuir, ils ne vont
pas résister… »
Presque prémonitoire,
puisqu’une telle attaque a eu lieu en octobre.
Et la commission d’enquête sur le coup d’État
a rapporté qu’un hélicoptère venant de Côte
d’Ivoire avait transporté du matériel de
maintien de l’ordre et une importante somme
d’argent, 50 millions de francs CFA, jusqu’à la
frontière ivoirienne. Le 22 janvier, RFI publie
un article sur son site où sont évoqués un
appel de soutien à la femme de Diendéré de la
part du lieutenant-colonel
ivoirien Zacharia
Koné, ancien commandant de zone du temps
de la rébellion, et un appel du général
Soumaïla Bakayoko (actuel chef d’état-major
de l’armée ivoirienne) qui donne des conseils
à Diendéré.

Justifier la présence de l’armée française

Dans ce contexte, les représentants de la
France font le forcing pour justifier la
présence de l’armée française, que certains
contestent, y compris au sein de l’armée
burkinabè. Quelques jours avant l’attaque, le
bimensuel burkinabé Courrier Confidentiel
publiait dans son édition du 11 janvier 2016,
sous la signature d’Hervé d’Afrik, un article
intitulé « Présence de militaires français au
Burkina : Des trucs bizarres !
 ». Cet article
révèle qu’un accord avec le gouvernement
portant sur le « détachement de militaires
français au Burkina Faso pour la sécurité au
Sahel »
a été signé en 2015. Selon l’auteur, il
« foule au pied sur bien des points la
souveraineté de notre pays »
. L’accord stipule
que les militaires français bénéficient d’une
immunité totale et que les troupes françaises
peuvent procéder à tout mouvement de
troupe sans avoir à en solliciter l’autorisation :
il leur suffit d’informer les Burkinabè. L’auteur
de l’article précise en outre qu’il n’a pas été
simple de faire accepter cet accord à certains
gradés de l’armée, citant par ailleurs des
extraits d’une note adressée « à la haute
sphère de l’armée »
par le
gouvernement, dans laquelle celui-ci
souligne des éléments qui lui
semblent discutables, mais justifie
sa signature par « les enjeux
sécuritaires majeurs que court
notre pays face aux actes des
groupes terroristes dans la bande
sahélo-saharienne
 »
. Que cet
accord ait fuité est un indice fort du
mécontentement qui règne au sein
de l’armée. Cet article n’est guère
repris dans la presse burkinabè,
encore moins dans la presse
française. Mais, l’ambassadeur de
France, signataire de l’accord au
nom du gouvernement, en a
évidemment pris connaissance.
Peut-être
faut-il
y voir l’origine de sa
communication particulièrement
active après l’attaque du 15 janvier.

Guerre de communication

Un étrange chassé croisé de
communications et de démentis a rythmé les
lendemains de la crise. Le quotidien Le Pays,
dans son numéro du 26 janvier, relève : « En
effet, pendant que les autorités burkinabè
disent que ce sont trois terroristes qui ont
perpétré les attaques sur Kwame N’Krumah,
celles françaises parlent de six djihadistes
dont trois seraient toujours en cavale. Alors
que les Burkinabè annonçaient qu’il y avait
des femmes parmi les assaillants,
l’ambassadeur de France, Gilles Thibault,
démentait cette information sur Twitter. Et
comme si tout cela ne suffisait pas, après que
le gouvernement burkinabè a informé
l’opinion nationale de l’arrivée du Premier
ministre français, Manuel Valls, au pays des
Hommes intègres, samedi prochain, 23
janvier 2015, Gilles Thibault a annoncé de
son côté que cette visite se fera à une date
ultérieure »
. Le titre de l’article « Des
contradictions dangereuses et regrettables
dans la communication »
est révélateur des
réactions induites au Burkina. Cet article ne
dédouane pas pour autant les autorités
burkinabè mais on peut lire plus loin : « Mais,
il y a que cette façon de faire peut également
procéder de questions stratégiques et
d’intentions plus difficiles à avouer. Il n’est
un secret pour personne que certaines
organisations de la société civile burkinabè
et non des moindres, réclament le départ pur
et simple des forces étrangères du Burkina…
On peut, de ce fait, penser que les Français
qui se sentent légitimement en sursis, veulent
prouver, à tout point de vue, l’importance de
leur présence sur le territoire burkinabè »
. Et
le Pays ne mentionne pourtant pas le contenu
de l’accord sur la présence de l’armée
française au Burkina évoqué plus haut !

Ambassadeur omniprésent

L’ambassadeur de France a, encore une
fois, cru bon d’affirmer sa présence, faisant
preuve d’une boulimie de communication via
Twitter. Il a d’ailleurs dû s’en excuser face à la
levée de mécontentements. Une photo
publiée sur le site de la radio www.ouagafmbf.
com montre Gilles Thibault en léger retrait
derrière le président burkinabè Roch Marc
Christian Kaboré lorsque, venu sur les lieux, il
s’adresse à la presse. Digne des meilleurs
moments de la Françafrique, au temps où
chaque photo d’Houphouët Boigny laissait
entrevoir, légèrement en retrait, son éminence
grise, le français Guy Nairay ! Gilles Thibault
ne devrait-il
pas changer de conseiller en
communication ? Il n’est pas sûr en effet qu’un
Salif Diallo, dont nous avons déjà longuement
évoqué le passé de façon critique [2], accepte
longtemps ce type d’attitude, même s’il
recherche le soutien de la France.

NOSTALGIE

Décidément, l’ex-ambassadeur
de France
au Burkina, le général Emmanuel Beth (par
ailleurs ancien chef de l’opération Licorne en
Côte d’Ivoire) ne se remet pas de la chute de
ses amis, l’ex-dictateur
Blaise Compaoré et
son bras droit Gilbert Diendéré, ancien
responsable du Régiment de sécurité
présidentiel (RSP), aujourd’hui inculpé pour
la tentative de coup d’État de septembre
dernier. Après l’attentat du 15 janvier à
Ouagadougou, il a, sur l’antenne de RFI
(20/01), déploré la « perte de capacité » en
matière de lutte contre le terrorisme
engendrée par la dissolution « brutale » du
régiment putschiste, lequel s’est surtout
illustré comme instrument des basses
œuvres de la dictature et de répression de
l’insurrection. Sous Compaoré, c’est en effet
Gilbert Diendéré qui était à la tête des
services en charge de la sécurité intérieure du
pays et qui entretenait des contacts étroits
avec le COS, mais aussi avec AFRICOM, le
commandement des États-Unis.
Ces contacts
se sont poursuivis pendant la Transition, bien
qu’il n’ait plus eu d’affectation officielle.
RFI (22/01) affirme d’ailleurs savoir « de
source militaire française »
, que Diendéré a
été en contact téléphonique avec « plusieurs
gradés de l’état-major
à Paris »
pendant la
tentative de putsch. « C’était pour le
dissuader, diton,
de poursuivre son action »
.
On espère que des écoutes viendront
confirmer cette version. La nostalgie est un
mal si répandu chez les officiers français...

[1Synthèse (par la rédaction) d’un article plus développé
de l’auteur, avec son autorisation, en ligne sur son blog :
https://blogs.mediapart.fr/brunojaffre/
blog

[2Voir le blog de l’auteur

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 254 - février 2016
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