Survie

Trafic d’armes : Fin d’une législation à trous ?

rédigé le 1er février 2016 (mis en ligne le 18 février 2016) - Thomas Noirot

Un projet de loi sur les violations d’embargos vient enfin d’être voté à l’Assemblée nationale. Il reste
cependant plusieurs étapes avant d’encadrer les transferts d’armes et le mercenariat déguisé.

C’est une nouvelle bataille des mobilisations
initiées depuis les années 1990 pour tenter
d’encadrer, au niveau international, les transferts
d’armements et de matériel de répression, ainsi
que les activités barbouzardes en tout genre.
Celles-ci
ont déjà débouché sur l’adoption, en
2003, d’une loi française sur le mercenariat. La
même année débutait la campagne
internationale « Control Arms » qui, 10 ans plus
tard, était couronnée par l’adoption par
l’Assemblée générale de l’ONU du Traité sur le
Commerce des Armes (TCA), en avril 2013. La
France fait partie 72 États qui l’ont ratifié (parmi
les 140 signataires), pour lesquels le traité est
entré en vigueur le 24 décembre 2014. Mais
comme toujours, prendre des engagements est
une chose, s’y conformer en est une autre.

Une loi bientôt votée

Le TCA est une des raisons qui obligent
théoriquement la France à appliquer et à faire
appliquer à ses ressortissants les embargos
multilatéraux décidés au niveau de l’ONU ou de
l’Union européenne (UE) : or, aujourd’hui, le
droit français ne permet pas à un juge de
sanctionner un Français qui violerait l’embargo
sur un pays en guerre civile. Par ailleurs, la loi
française sur le mercenariat donne une
définition assez restrictive de cette activité, en la
limitant au fait d’être « recruté pour combattre
dans un conflit armé » et de « prendre ou tenter
de prendre une part directe aux hostilités », ou
d’être « recruté pour prendre part à un acte
concerté de violence visant à renverser les
institutions ou porter atteinte à l’intégrité
territoriale d’un État » (art. 4361
du Code
pénal). Les activités de certaines barbouzes ne
sont ainsi pas concernées, à l’instar de Jérôme
Gomboc, ancien parachutiste français (3e
RPIMa), parti faire le « conseiller en sécurité » en
Centrafrique en 2013, alors que le pays
s’effondrait, et où il a maintenu cette activité
malgré un embargo visant également ce type
d’« assistance technique » [1].

Un projet de loi visant à sanctionner toute
violation d’embargo qui dormait dans les cartons
de l’Assemblée nationale depuis 2007 [2], pourrait
justement permettre de poursuivre les
personnes ou sociétés impliquées dans de tels
trafics d’armes ou de « savoir-faire
 ».
L’Observatoire des armements, Amnesty
International et Survie ont donc interpellé les
autorités tout au long de l’année 2015 pour que
le vote de cette loi se concrétise. Et, alors que ce
projet voté une première fois au Sénat en 2007
semblait au point mort, il a enfin été mis à l’ordre
du jour de l’Assemblée courant janvier. Les
rapporteurs socialistes Pouria Amirshahi (pour la
commission Affaires étrangères) et Nathalie
Chabanne (pour la commission Défense) ont pu
défendre et même renforcer le texte sur certains
aspects (sévérité des peines encourues en
« bande organisée  », peines complémentaires
telles que l’exclusion des marchés publics, etc.).

Zone grise

Mais le projet de loi initial ne levait pas les
restrictions encadrant la compétence territoriale
du juge français, vis-à-vis
d’un délit commis par
des Français opérant à l’étranger : le Code pénal [3]
ne prévoit en effet la possibilité pour le Parquet
français de les poursuivre qu’à la double
condition que les faits soient également interdits
dans le pays où ils ont été commis et qu’il y ait
une dénonciation officielle par l’autorité du pays.
Une gageure, pour ce type de délit ! Comme le
résumait Tony Fortin, président de
l’Observatoire des armements, « ce projet de loi
vise initialement un réseau d’individus mobiles
et de sociétés opaques qui prospèrent à
l’international en exploitant les failles du droit.
Se satisfaire de la version actuelle, c’est
constituer une zone grise permettant lamise en
place de diplomaties parallèles, la livraison
d’armes en toute discrétion à des groupes
armés ou à des régimes non reconnus par la
communauté internationale…
 » [4].
Des députés EELV se sont en partie – mais
en partie seulement – saisis du problème : Noël
Mamère a déposé un amendement, défendu en
séance par sa collègue Isabelle Attard, visant à
lever ces restrictions… mais uniquement pour
des violations d’embargos portant « sur des
matériels de guerre et des matériels assimilés
(...) ou sur des équipements susceptibles d’être
utilisés à des fins de répression interne
 ». C’est
déjà un progrès important – mais pas aux yeux
du gouvernement qui à tenté, par la voix du
secrétaire d’État chargé des affaires européennes
Harlem Désir, de s’y opposer au prétexte que
cette disposition relèverait d’un autre projet de
loi en attente, celui sur l’intermédiation dans les
ventes d’armes. Fait rare, sauf lorsque
l’hémicycle est à 95 % vide comme ce matin-là,
le
gouvernement a été mis en échec et la
disposition a été votée par la poignée de députés
présents… Il faut maintenant voir si elle
résistera à la suite de la navette parlementaire (le
texte doit à nouveau être discuté au Sénat, sans
qu’on sache encore quand), et s’il sera possible
d’étendre cette compétence étendue du juge
(qui existe déjà pour le mercenariat) à tous les
embargos, pour pouvoir enfin poursuivre
l’assistance technique barbouzarde.

Intermédiation

Ce bref débat à l’Assemblée contribue à
remettre la question des trafics d’armes dans
le débat politique, et à mobiliser des députés.
Au delà de cette loi, les échanges ont ainsi
glissé sur un autre projet de loi, perdu lui
aussi dans les méandres du Parlement : celui
sur les intermédiaires, c’est-à-dire
toutes les
personnes ou sociétés françaises qui
« facilitent » la conclusion d’un contrat
d’armement entre deux clients étrangers, ce
qui leur rapporte généralement de juteuses
commissions… Dans son rapport, Pouria
Amirshahi signale qu’« un projet de loi
renforçant la réglementation est bien "dans
les tuyaux" depuis 2001, et a même fait l’objet
de dépôts répétés devant l’une puis l’autre
assemblée, mais n’a jamais été examiné
 ».
Devant la poignée de députés présents,
Harlem Désir a évoqué « une nouvelle
version, qui sera discutée et consolidée lors
d’une réunion interministérielle en février
 ». Et à l’ordre du jour quand ?

[1Gomboc a ainsi été successivement conseiller spécial en
charge de la sécurité de l’éphémère président de la
transition centrafricaine Michel Djotodia puis de sa
remplaçante Catherine SambaPanza
de janvier à mars 2014
(Jeune Afrique , 27/07/2015). L’embargo voté dans la
résolution onusienne 2127, du 5 décembre 2013, proscrit
pourtant « toute assistance technique ou formation », et la
mission de Gomboc ne semble pas avoir été autorisée par
le comité des sanctions, chargé entre autres d’établir
multilatéralement des exceptions aux embargos..

[2« Embargos sur les armes : la France organise son
impunité
 », T. Fortin, Billets d’Afrique n°250, octobre 2015

[3Art. 113-6
et 113-8
du Code pénal

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 254 - février 2016
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