Survie

Trois ans après Serval, toujours rien de réglé

(mis en ligne le 19 février 2016) - Bernard Schmid

En janvier 2013, François Hollande déclenchait la première grande opération militaire
de son quinquennat. Etat des lieux de la situation au Mali trois ans plus tard.

Empêtrée dans une « guerre contre le
terrorisme » (voir survie.org 19 juin 2013 et survie.org 2 février 2016) contreproductive,
la France
peut compter sur ses alliés au nord du
Mali. Sur le Tchad bien sûr, dont un ex-ministre,
Mahamet Salef Annadif, a été nommé chef de la
Mission des Nations unies sur place (la
MINUSMA, forte d’un peu plus de 11.000
soldats), le 23 décembre. Et désormais aussi sur
l’Allemagne, qui vient de s’engager à son tour, en
promettant l’envoi de 650 soldats de plus pour
renforcer la force onusienne.

« Ich bin Paris »... à Bamako

Jusqu’ici, les autorités de Berlin avaient
entretenu un petit contingent de 150 soldats au
Mali – dont l’effectif sera donc porté à 800 à
partir de juin prochain ,
mais ses membres
n’avaient participé qu’à la formation de soldats
maliens dans un centre basé à Koulikoro, à
soixante kilomètres à l’est de la capitale Bamako,
dans le cadre d’une mission de formation
militaire de l’UE (EUTM Mali). Ils ne
participaient pas aux combats ni n’étaient
envoyés dans le nord du pays. Cela risque
désormais de changer. Le Bundestag, parlement
fédéral allemand, a donné son feu vert fin janvier
à la nouvelle mission militaire, dont la durée
n’est pas limitée. L’intervention extérieure est
présentée comme un acte de « solidarité avec la
France », suite aux attentats du 13 novembre
dernier : la MINUSMA intervient au côté de
l’opération française Barkhane.

Groupes armés toujours actifs

Malgré Barkhane et la MINUSMA, le nord du
Mali n’a pas vu diminuer les activités des
djihadistes et d’autres éléments armés [1].
L’enlèvement d’une citoyenne helvétique à
Tombouctou, annoncé par AQMI (Al-Qaïda
au
Maghreb islamique) le 26 janvier, le rappelle tout
autant que la tentative presque aboutie
d’enlever le tout nouveau procureur de Gao, le
23 janvier, ou encore la mort de quatre soldats
maliens le 28 janvier à Tombouctou et près de
Gao. Il serait d’ailleurs étonnant que l’activisme
des djihadistes se calme, alors que l’ex-puissance
coloniale se trouve en première ligne pour les
combattre – jusque dans l’assaut donné lors de
la prise d’otage meurtrière à l’hôtel Radison Blu
à Bamako, le 20 novembre dernier. Plagiant
parfois le langage des anciens mouvements de
libération [2] (tout en combattant pour une
projet de société réactionnaire), ils jouent de
leurs images de défenseurs contre l’Occident
colonisateur.

Scandales à répétition

Le plus inquiétant est cependant le vide
politique et idéologique que laisse, autour d’elle,
une classe politique occupée à s’enrichir elle-même.
Plusieurs gros scandales de corruption
ont d’ailleurs éclaté ces derniers mois, jetant
plus que jamais le discrédit sur des politiciens
largement coupés du peuple. En mai 2015 a été
annoncé le scandale de l’importation de 40.000
tonnes d’engrais frelaté (inutile sinon toxique),
que les autorités avaient achetées apparemment
en connaissance de cause mais en encaissant des
commissions au passage. En septembre, le
président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK)
annonça fièrement l’acquisition de
1000 tracteurs pour moderniser l’agriculture
malienne… mais les tracteurs achetés ne
fonctionnent pas, les autorités ayant acquis là
encore de la camelote. Dernier événement en
date, la suspension du droit de vote du Mali aux
Nations unies, annoncée fin janvier 2016, pour
non-versement
de la cotisation du pays à
l’organisation intergouvernementale, l’argent
ayant été allègrement détourné. Quelques sous-fifres
ont été sanctionnés au ministère du
Budget, et une enquête a été annoncée.

Recompositions

Des forces politico-religieuses
viennent en
partie remplir le vide laissé par l’Etat, et
pourraient en conséquence voir leur influence
augmenter. Mais la menace peut aussi venir
des autres groupes armés. Au Nord où les
djihadistes tentent toujours d’accroître leur
implantation, rien ou presque n’a encore été
réglé. Certes, depuis le 15 juin 2015, un
« accord de paix et de réconciliation » a été
solennellement conclu entre le pouvoir central
et des groupes à base Touareg qui tiennent
toujours une partie du pays. Mais la seule
chose qui a été vraiment actée depuis est la
création de deux nouvelles régions
administratives dans le nord-est
du pays
(Ménaka et Taoudéni), qui doit s’inscrire dans
un mouvement de « décentralisation ». Le
cantonnement des groupes armés (sur des
sites désignés à cette fin) a à peine commencé,
à la mi-janvier
2016.
Les groupes armés, qui espéraient voir
certains de leurs représentants figurer au
gouvernement central du Mali, n’ont pas
bénéficié du remaniement annoncé le
15 janvier (avec la constitution du désormais
troisième gouvernement du Premier ministre
Modibo Keïta, en place depuis un an et demi).
Une curieuse alliance de circonstance a depuis
été formée, entre d’un côté la CMA
(Coordination des mouvements de l’Azawad),
formée autour des ex-séparatistes
Touareg du
MNLA [3], et de l’autre côté la « Plateforme », qui
regroupe des groupes armés « loyalistes » qui
s’étaient coalisés autour du groupe Touareg
anti-séparatiste
GATIA pour combattre ces
rebelles. Désormais alliées, la CMA et la
« Plateforme » ont exigé la formation d’un
« gouvernement de transition » qui intègre des
représentants des divers groupes armés du
Nord… Rien, décidément, n’est réglé dans la
crise malienne à laquelle la France prétendait
mettre fin avec son intervention militaire et
l’élection présidentielle d’août 2013.

BARKHANE

Cette opération extérieure (opex) a
remplacé, le 1er août 2014, l’ancienne opex
« Serval », déclenchée début 2013 au Mali.
Son quartier général est implanté à
N’Djamena, au Tchad, et son périmètre
englobe, en plus du Mali, la Mauritanie, le
Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Début
novembre 2015, soit quelques jours avant les
attentats de Paris, le ministre de la Défense,
J.Yves
Le Drian, avait porté ses effectifs de
3.000 à 3.800 soldats.

[1Certains de ces groupes poursuivent d’ailleurs des objectifs
plus proches du banditisme que de nature politico-idéologique.

[2Le « Front de libération nationale de Macina », singe ainsi
jusqu’aux détails un mouvement de libération anti-colonial.

[3Mouvement National de Libération de l’Azawad, qui
revendiquait l’indépendance du nord du Mali et s’était un
temps allié avec des groupes djihadistes (pour mettre en
échec l’armée malienne), avant de rompre leur alliance au
moment de l’intervention française.

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 254 - février 2016
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi