Survie

Les OGM filent un mauvais coton

rédigé le 1er mars 2016 (mis en ligne le 23 avril 2016) - Thomas Noirot

Le coton OGM introduit en 2003 pourrait disparaître du pays, mais le nouveau gouvernement n’y
est pour rien. Pour la société civile et les paysans, le péril demeure et les mobilisations doivent
s’intensifier.

Le Burkina Faso a autorisé la commercialisation
de semences de coton Bt à
partir de 2008. Ce type de coton OGM
tire son nom d’une bactérie du sol (le Bacillus
thuringiensis), dont un gêne a été introduit
artificiellement dans le génome de la
plante afin qu’elle produise elle-même
un insecticide.
Une innovation prétendument écolo,
puisqu’elle vise à réduire le nombre de
traitements phytosanitaires par l’agriculteur…
mais dont l’impact environnemental
reste incertain, le pesticide étant produit directement
au champ.

Héritage de Blaise

Au Burkina, une variété Bt « locale » avait
été obtenue par la multinationale Monsanto,
à partir d’une variété conventionnelle burkinabè,
et cultivée dans des « essais » dès 2003,
avant même l’adoption d’une législation supposée
encadrer le développement des biotechnologies.
Blaise Compaoré, qui dirigeait
le pays depuis 1987, ouvrait ainsi un boulevard
à la propriété intellectuelle de Monsanto
sur le coton du Burkina, mais aussi de toute
la sous-région [1],
dont les frontières poreuses
ne pouvaient limiter les risques de contamination.
Pendant des années, des cotonculteurs et
des organisations de la société civile ont tenté,
en vain, de s’opposer au rouleau compresseur
du lobby pro-OGM,
soulignant l’absence
d’une réelle évaluation des risques sur la santé
et l’environnement [2]. Résultat, « en 2014, le
Burkina réunissait le plus grand nombre de
producteurs d’OGM de tout le continent :
plus de 140 000 petits exploitants agricoles
cultivaient alors le coton BT
 » (lemonde.
fr
, 16/02).

Avec le renversement de Compaoré fin
2014, la donne a changé… mais en partie,
seulement. Contrairement au gouvernement,
les dirigeants des sociétés cotonnières et du
syndicat agricole « majoritaire » n’ont pas été
balayés avec le dictateur. Cela n’a rien de
neutre, dans un pays où l’on n’élit pas ses représentants
agricoles et où l’adhésion au syndicat
conditionne souvent l’accès aux services
de sociétés cotonnières toutes puissantes sur
leur aire géographique (la zone cotonnière
est découpée en trois grandes régions de
production : une société cotonnière a le monopole
de la collecte du coton et de l’activité
d’égrenage sur chacune d’elle, étape indispensable
consistant à séparer la fibre des
graines). Par intérêt personnel ou par conviction
sincère – bien que fondée sur une mystification
technique –, ces dirigeants ont
continué à soutenir le coton OGM, et les autorités
de la transition burkinabè n’ont pas
voulu ou pas pu, du fait des rapports de
forces, se saisir du dossier. La culture du coton
OGM est donc restée autorisée au Burkina…
mais sans être rentable.

La fibre de la guerre

Avec une productivité à l’hectare plus
faible qu’annoncée, la réduction temporaire [3]
du nombre de traitements phytosanitaires ne
permettait pas de compenser le surcoût de la
semence brevetée [4] pour les petits producteurs.
Surtout, la fibre plus courte du coton
Bt par rapport à la variété conventionnelle
cultivée jusqu’ici a conduit à la déclassification
du coton burkinabè. Autrefois prisé sur
le marché international (le pays ne dispose
plus de filature), il s’est retrouvé bradé au
prix d’autres cotons de moindre qualité. Depuis
les premières mobilisations en 2008, les
petits producteurs n’ont jamais pu faire entendre
leur voix, mais les sociétés cotonnières,
qui ont refait leurs calculs, ont bien
plus de pouvoir : en mai 2015, le directeur de
l’une d’elles reconnaissait que cela posait « à
la fois un problème commercial et un problème
de réputation pour [le coton burkinabè]
 »
, et annonçait se « donner un délai de
trois ans pour pouvoir corriger ce phénomène
avant de pouvoir revenir vers ce coton
 »
(Agence Ecofin, 12/05/2015). La
proportion d’OGM avait été réduite à la moitié
de l’ensemble des surfaces de coton du
pays l’année dernière, contre trois quarts précédemment.
Déjà, en 2012, la rumeur avait
couru que le « Burkina Faso délaiss[ait] notablement
le coton OGM »
, à cause «  [d’]une
baisse des prix de 10 % et [d’]un gros
manque à gagner pour les sociétés cotonnières
 »
(RFI, 10/05/2012). Cette fois, ces sociétés
ont annoncé que tant que Monsanto ne
résoudrait pas ce problème de raccourcissement
de la fibre, ce coton OGM serait progressivement
abandonné : bien qu’il couvre
encore environ 30 % des surfaces cette année,
il ne devrait plus être semé dès l’année
prochaine, et selon les chercheurs états-uniens
qui ont révélé cet abandon dans African
Affairs le 4 janvier, Monsanto se verrait
même réclamer par les trois sociétés cotonnières
« plus de 30 milliards de F CFA en
compensation des pertes supportées depuis
2010 »
.

Résistances

Un recul pour Monsanto… qui ne pourrait
être que provisoire : il n’est pas lié à une
décision politique des nouvelles autorités
burkinabè, qui n’ont pas modifié la législation.
Or, les projets de développement de
sorgho et de niébé (un haricot) modifiés, notamment
grâce à « l’aide » de la fondation Bill
et Melinda Gates, mais aussi de maïs OGM,
continuent de menacer l’économie agricole
et l’environnement du pays, et Monsanto a
« l’intention de proposer un nouveau cultivar
en intégrant le transgène Bt dans une
autre variété burkinabè, connue sous le
nom de FK64 »
(Inf’OGM, 3/02). Pour le Collectif
Citoyen pour l’Agro-Ecologie,
créé en
mars 2015 et regroupant plusieurs organisations
de la société civile dont un syndicat
agricole vent debout contre les OGM depuis
2003, le SYNTAP [5], il faut donc intensifier la
mobilisation contre Monsanto et exiger un
moratoire. Près d’un an après la manifestation
qui avait vu défiler 1500 personnes à
Ouagadougou en mai 2015, la capitale accueillera
donc du 22 au 24 avril les Rencontres
Internationales des Résistances aux
OGM [6], premier événement du genre sur le
continent.

[1Voir
« Compaoré livre les paysans ouest-africains
à
Monsanto », Billets d’Afrique n°204, juillet-août
2011
.

[2Voir
sur internet le documentaire « Nous sommes debout
ce matin » de Guylène Brunet
(2011, 26’)

[3L’expérience
en Inde montre qu’apparaît progressivement
une résistance chez les ravageurs de la plante.

[4Du
fait des royalties à verser à Monsanto. En 2012, la
semence de coton Bt coûtait 27 000 FCFA (41 euros) le
sac, contre 814 FCFA (1,20 euros) en conventionnel, selon
le journal spécialisé Inf’OGM, 3/02.

[6Pour
plus d’informations et pour soutenir ce projet,
contacter l’association Ingalan, partenaire en France :
ingalan.bzh [-at-] gmail.com (+
33)9 72 47 50 36

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 255 - mars 2016
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