Survie

Attaque en règle contre le droit d’asile

rédigé le 1er avril 2016 (mis en ligne le 23 avril 2016) - Marie Bazin

Passés les discours de solidarité et l’accueil des premiers réfugiés Syriens l’été dernier, l’Union
européenne (UE) a repris la route habituelle, jamais vraiment abandonnée, de sa politique
migratoire, en allant encore plus loin dans son approche sécuritaire et de sous-traitance
de ses
responsabilités.

Le 4 avril est entré en vigueur l’accord
entre l’UE et la Turquie, signé le 20 mars,
visant à empêcher les arrivées de migrant-e-s
en Europe en les repoussant en Turquie.
Qu’elles soient candidates à l’asile ou
non, l’accord prévoit d’expulser de Grèce
toutes les personnes qui y sont entrées après
le 20 mars en étant passées par la Turquie. La
Turquie s’engage à prendre les « mesures nécessaires
 » pour empêcher les départs de bateaux
de migrant-e-s
de ses côtes et l’ouverture
de nouvelles routes migratoires par la Bulgarie
ou la Roumanie. L’UE prétend vouloir « offrir
aux réfugié-e-s syrien-ne-s un accès sûr et légal à
l’UE »
mais la réalité sera toute autre. Pour
chaque Syrien-ne
renvoyé-e
de Grèce vers la
Turquie, l’UE s’engage à réinstaller un
Syrien-ne
venant d’un camp de réfugiés en Turquie
vers un pays de l’UE, mais dans une
limite de 72 000 personnes, ce qui est dérisoire
par rapport aux 2,5 millions de réfugié-e-s
syrien-ne-s
présents en Turquie actuellement.
Et c’est uniquement à la condition
d’une réduction significative des flux migratoires,
que l’UE « invitera » ensuite ses états
membres à admettre davantage de Syrien-e-s
sur leur sol, mais toujours à partir de la Turquie.
Quant aux autres nationalités candidates
à l’asile, elles semblent avoir été oubliées. Quid
des personnes ayant fui l’Irak, l’Afghanistan, le
Pakistan, le Nigeria, pour ne citer que les nationalités
les plus présentes en Turquie et
Grèce ?

Le droit d’asile sacrifié

Par cet accord, l’UE tire tout simplement
un trait sur l’un des principes fondamentaux
du droit d’asile : le non-refoulement.
La
Convention de Genève de 1951 interdit en effet
l’expulsion ou le refoulement d’une personne
réfugiée vers des territoires où sa vie ou
sa liberté pourrait être menacée. Or Amnesty
International a récemment fait état de nombreuses
expulsions effectuées par la Turquie
vers la Syrie et souligne que la politique turque
est loin d’être respectueuse de la vie ou la liberté
des réfugié-e-s : la frontière terrestre avec la
Syrie a été fermée et la police turque a déjà
ouvert le feu sur des personnes tentant de la
franchir clandestinement. Si l’on ajoute à cela
les dérives autoritaires du régime turc, la répression
à l’encontre de ses opposant-e-s
et de
la population kurde, la Turquie n’est en rien un
« pays sûr » comme le prétend l’UE pour justifier
cet accord honteux.

Si la Turquie a accepté de devenir la sous-traitante
de l’UE tant pour les contrôles aux
frontières que pour l’application du droit
d’asile (sic), c’est que le marchandage en valait
la peine : elle a obtenu la reprise des négociations
pour son entrée dans l’UE, la promesse
d’un allègement des restrictions de visas pour
les Turcs, et au total une aide européenne de 6
milliards d’euros pour soutenir le mécanisme
turc en faveur des réfugié-e-s.
L’UE n’en est pas
à sa première coopération avec un régime autoritaire
dans le domaine migratoire (voir
Billets d’Afrique juin 2015) mais cet accord
franchit un nouveau cap, pas seulement du fait
de son contenu, mais aussi par ses modalités
d’application.

Déploiement de moyens militaires et policiers

Pour empêcher la traversée de centaines
de milliers de migrant-e-s
et expulser les milliers
qui passeront entre les mailles du filet européen,
l’UE et la Turquie ont opté pour le
recours à la force. A la demande de l’Allemagne,
l’OTAN est venu à la rescousse de
l’Agence européenne Frontex pour surveiller
les frontières maritimes, en faisant des patrouilles
dans les eaux territoriales grecques et
turques, avec pour mission officielle de lutter
contre les réseaux de passeurs. Pour pouvoir
procéder aux expulsions depuis la Grèce, les
migrant-e-s
seront enfermé-e-s dans des centres
dans l’attente de leur retour par bateau. Depuis
le 20 mars, 2500 migrant-e-s sont enfermé-e-s
sur l’île de Lesbos, dans un camp prévu pour
2000 personnes, où les journalistes sont interdits
d’accès, et sans qu’aucune information ne
leur soit donnée sur leur expulsion à venir. Selon
le journal Le Monde, la Commission européenne
a décidé de consacrer un budget de
280 millions d’euros dans les 6 prochains mois
pour payer 4000 agents pour mettre en œuvre
l’accord, dont un millier de « personnel de
sécurité et militaire » et 1500 policiers grecs
et européens. Dans un communiqué du 2
avril, Bernard Cazeneuve annonçait l’arrivée
à Lesbos de 50 CRS, 50 gendarmes et 22 policiers
à Lesbos. En Turquie, les migrant-e-s expulsé-e-s
de Grèce seront placé-e-s dans des
centres de transit (qui ne sont pas encore
aménagés) puis envoyé-e-s dans des camps de
réfugié-e-s. Il y a tout lieu de s’interroger sur
les mesures que la Turquie mettra en place
pour empêcher que ces personnes tentent à
nouveau de rejoindre l’UE. Seront-ils
maintenus
par la force dans les camps ?
Cet accord fait apparaître au grand jour des
pratiques qui sont déjà celles de l’UE et de ses
Etats membres depuis plusieurs années. Il rappelle
les marchandages avec le Maroc pour
contenir les migrant-e-s
subsahariens
au-delà
des frontières européennes et fait tragiquement
écho à la situation à Calais où les migrant-e-s
sont là aussi victimes de la violence
des moyens militaires et policiers déployés à
leur encontre, parqués dans des centres quasi-fermés,
privés d’informations sur leur devenir.
Bien que visant principalement les réfugié-e-s
syrien-ne-s
et des pays du Moyen-Orient
(les
plus nombreux à arriver en Europe puisque
plus proches géographiquement) l’accord signé
avec la Turquie envoie symboliquement un
message d’hostilité clair à tous
les réfugié-e-s
des guerres menées par les pays occidentaux,
pour la plupart invisibles en Europe mais qui
se comptent en centaines de milliers dans les
pays voisins de la Centrafrique, du Mali, etc.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 256 - avril 2016
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