Alors que les résultats provisoires annoncés par la CENI et contredits par l’opposition donnent sans surprise Déby vainqueur, Paris maintient le soutien sans faille à son allié militaire.
Les résultats provisoires du premier tour de l’élection présidentielle ont donné Déby gagnant à 61,56% des voix, confirmant le « un coup KO » qu’il avait annoncé, même si ces résultats sont considérés comme non valides par une partie de l’opposition qui en a demandé l’annulation auprès du Conseil Constitutionnel et avance que Déby est arrivé en 4ème position [1]. Dénoncé par l’opposition, qui a fini par se retirer de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) avant le jour du vote, le dispositif électoral n’est guère plus crédible que pour les scrutins précédents mais les élections ont suscité un réel intérêt de la part de la population qui est allée massivement voter.
La mise en place de la biométrie [2] qui était censée sécuriser le processus électoral n’a pas comblé les espoirs de l’opposition, et n’a pas empêché les pratiques de fraude habituelles. Après des conditions d’attribution opaques du marché à la société française Morpho Safran, un recensement émaillé d’irrégularités et l’absence de contrôle biométrique pour la remise des cartes d’électeurs puis pour le vote rendent inopérant le processus de contrôle que la biométrie aurait pu permettre.
A ceci s’ajoute le trouble autour du vote des nomades, l’opacité du comptage, le manque d’observateurs réellement indépendants, la coupure des moyens de communication empêchant la diffusion de résultats et l’échange d’informations le jour du scrutin et les jours suivants.
Depuis 2 ans, la mobilisation de la société civile, exaspérée par le régime en place, prend de l’ampleur malgré la répression féroce. A quelques semaines des élections, en février, un viol collectif commis à l’encontre d’une jeune fille, Zouhoura, par des enfants de dignitaires du régime et l’impunité de ces derniers ont relancé la contestation sociale, révélant un malaise profond de la société tchadienne, fatiguée de l’impunité, de la corruption, de la violence et de la pauvreté. Dans ce contexte préélectoral, la réponse du régime aux mobilisations et revendications a été la violence : tirs à balles réelles contre manifestants, intimidations, arrestations des tête de file des différents mouvements de société civile constitués au cours des derniers mois qui appelaient à différentes formes de protestation pacifique contre le régime en février dernier.
La déferlante de violence continue de s’abattre : selon le président de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme, cité dans un rapport d’Amnesty International [3], au moins vingt militaires ont disparu. Le pouvoir tchadien affirme qu’ils sont en mission, tandis que l’opposition et la société civile s’inquiètent de savoir s’ils ont été emprisonnés ou éliminés pour avoir mal voté, leur famille restant sans nouvelle d’eux. Le vote des militaires a en effet eu lieu sans isoloir. Divers opposants tchadiens sont également portés disparus L’ambassadrice américaine à l’ONU Samantha Power a évoqué le sujet lors d’une rencontre avec Déby et s’est déclarée « préoccupée ». « Nous avons vu des irrégularités », a-t-elle également déclaré au sujet du dernier scrutin.
De son côté, Paris n’a pas commenté
plus avant les événements récents chez son
principal allié dans la guerre contre le terrorisme
au Sahel. Elle pourrait d’autant plus
s’en émouvoir que d’après Le Monde , une
source officielle française de haut niveau indique
que « quelques-uns
de ces soldats
dont on est sans nouvelles sont des interlocuteurs
des coopérants militaires français
sur place ». Avec près de mille soldats présents
sur place dans le cadre de l’opération
Barkhane, avec sa mission de renseignement,
et des coopérants qui conseillent
leurs homologues tchadiens à des niveaux
de responsabilité importants, on peut faire
l’hypothèse que l’armée française sur place
doit au moins détenir des informations
concernant ces disparitions...
Alors que des opposants ont disparu, on
ne peut que se rappeler que l’armée française,
et notamment le colonel Jean-Marc
Gadoullet, alors conseiller à la Présidence
tchadienne, est soupçonnée d’avoir joué un
rôle trouble dans la disparition d’Ibni Oumar
Mahamat Saleh [4] en 2008.
Une partie des leaders de la société civile, libérés quelques jours avant le scrutin mais condamnés à quatre mois de prison avec sursis, se sont enfuis du Tchad, une victoire pour Déby qui a par ces intimidations grandement cassé la dynamique contestataire. D’autant que le quadrillage par les forces armées de N’Djamena et Moundou le jour du scrutin et depuis lors est important et dissuasif.
Malgré cela, la diplomatie française
continue à maintenir une proximité sans
cesse réaffirmée avec le régime de Déby. En
pleine période de tension sociale et
quelques jours après la mort d’un mineur
manifestant dans la ville de Faya Largeau,
Jean-Marc
Ayrault avait rencontré Idriss
Déby, de passage à Paris le 29 février dernier.
Deux jours après l’élection, le Quai
d’Orsay commentait dans un communiqué
lapidaire et multipays – mettant sous le
même chapeau deux alliés militaires de premier
plan le Tchad et Djibouti – et les Comores
– le fait que les scrutins s’étaient
déroulés « dans l’ensemble sans incident »
et intégrant une formulation générale sur la
liberté de la presse, ce qui est bien le moins
quand les journalistes de TV5 Monde ont
été empêchés de faire leur travail sur place
et que l’ensemble des journalistes était sous
pression.
Ce 29 avril, pendant que les forces de
l’ordre empêchaient de se tenir la conférence
de presse de l’opposition où elle devait
présenter le décompte des résultats
qu’elle a opéré, Le Drian était reçu par Déby
à N’Djamena dans le cadre d’une tournée au
Nigéria, Tchad puis Côte d’Ivoire visant à
renforcer le déploiement militaire en
Afrique de l’Ouest. Car la priorité au Tchad
reste Barkhane et la lutte conjointe contre
le terrorisme comme cela était réaffirmé
dans le rapport Fromion [5] ou dans la note
secret défense du secrétariat général de la
défense nationale (SGDN) rendue publique
par Mediapart en mars dernier. Cette note
place comme prioritaires les objectifs sécuritaires,
plaidant même pour un renforcement
de la coopération avec les forces de
l’ordre et survolant les questions liées au
développement. Dans sa réponse à la lettre
ouverte de Survie qui interpellait Jean-Marc
Ayrault sur la coopération militaire avec des
régimes dictatoriaux réprimant leur population,
son cabinet avance un argument brandi
désormais systématiquement quant il
s’agit de questions militaires : « nos dispositifs
de coopération sont adaptés, afin
d’être en cohérence avec nos valeurs sans
pour autant remettre en cause nos objectifs
de lutte contre le terrorisme » !
Alors que la coopération militaire forme
depuis des décennies une armée tchadienne
violente, répressive, qui soutient son
dictateur plutôt que son peuple, avec
quelles valeurs se trouve-t-elle
en cohérence ?
_L’opération Barkhane, dans la continuité
de l’opération Epervier qui a assuré « la stabilité
» du régime Déby, le sauvant à deux
reprises, constitue un appui évident pour le
régime, d’autant plus quand la sécurisation
du nord du pays, dans la zone de la frontière
libyenne, où des groupes rebelles anti
Déby s’agitent, devient un enjeu pour Ndjamena.
Les volontés de changement de la
population tchadienne se trouvent ignorées
au nom de la lutte contre le terrorisme,
illustrant l’inquiétante militarisation de la
diplomatie française.
[1] « Tchad : l’opposition demande au Conseil constitutionnel l’invalidation de la réélection d’Idriss Déby Itno », Jeune Afrique, 29/04/2016.
[2] « Biométrie au Tchad : nouvelles technologies et vieilles recettes électorales », Marielle Debos, Theconversation.com, 27/04/2016
[3] « Tchad. Il faut faire la lumière sur le sort de plusieurs personnes portées disparues », Amnesty International, 27/04/2016.
[4] Voir notamment Billets d’Afrique n°244, mars 2015.
[5] Rapport d’observation à l’Assemblée Nationale sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et les opérations en cours, juillet 2014.