Survie

Violence et pillage

rédigé le 4 juin 2016 (mis en ligne le 27 septembre 2016) - Odile Tobner

Avec 2 350 000 km2 pour 80 millions d’habitants, la RDC s’étend sur un espace immense et peu peuplé au cœur de l’Afrique. Ce pays a connu deux désastres démographiques et connaît en ce moment le troisième.

Après avoir subi les razzias de la traite atlantique du XVIè au XIXè siècle, on estime que la RDC a perdu le tiers de sa population entre 1885 et 1930 du fait de la terreur coloniale [1]. Possession du roi Léopold II, sous le nom d’État indépendant du Congo, de 1884 à 1908, le territoire est légué ensuite à la Belgique et devient le Congo belge jusqu’en 1960. Dès le début de la colonisation il est exploité par les grandes compagnies concessionnaires, d’abord pour la récolte du caoutchouc dans la forêt équatoriale du bassin du Congo, puis pour les ressources minières qui abondent dans la savane du plateau du Sud­-Est. Tandis que la rente coloniale permet à la Belgique de se remettre de deux guerres mondiales, en 1960, aucun Congolais autochtone n’est diplômé de l’enseignement supérieur [2] , huit décennies après l’arrivée des "civilisateurs".

En 1960, le leader nationaliste Patrice Lumumba devient Premier ministre, porté par une population qui aspire à l’émancipation, que porte peu le président Kasavubu. Le jeune État est dépourvu de moyens. Sans administration, sans armée, il dépend de la tutelle de la Belgique et bientôt de celle de l’ONU, c’est­-à­-dire des puissances occidentales. Sous l’influence des colons, la sécession de la province minière du Katanga est proclamée par Moïse Tshombé, suivie de celle du Kasaï. Ainsi déstabilisé, Lumumba est renversé par un coup de force du colonel Mobutu, l’agent des USA [3] et de la Belgique, qu’il a par malheur placé à la tête de l’armée congolaise. Lumumba, le ministre Maurice Mpolo et le président du sénat Joseph Okito sont arrêtés et livrés au pouvoir katangais qui les fait exécuter en janvier 1961. L’ONU, qui avait refusé son concours à Lumumba pour mettre fin à la sécession du Katanga et du Kasaï, apporte alors son soutien à Mobutu pour le faire.

Des rébellions écrasées

De 1963 à 1966 Pierre Mulele développe au Kuilu un maquis avec des guerriers nommés Simbas, lions en swahili, suivant la tradition Mayi, un rituel d’eau miraculeuse. Plusieurs foyers gagnent le Sud Kiwu, tandis que Gaston Soumialot et Christophe Gbenyé installent en 1964 à Stanleyville (Kisangani) une République populaire du Congo qui s’étend sur tout l’Est du pays. L’année 1965, une mission cubaine, sollicitée par Soumialot et commandée par Che Guevara, débarque à Kigoma, sur la rive du lac Tanganyika. Le maquis local, dirigé par le jeune Laurent Kabila, se révèle peu efficace et difficile à organiser. Au bout de six mois la mission cubaine se retire [4]. Moïse Tshombé, devenu Premier ministre à Léopoldville, reçoit l’aide militaire britannique et américaine. Une colonne de mercenaires blancs, encadrés par Mike Hoare et Bob Dénard, se dirige sur Stanleyville tandis que les parachutistes belges sautent sur la ville pour mettre fin à cet éphémère gouvernement. D’inspiration maoïste, la révolution de Mulele organise les paysans. Pour la combattre, l’armée nationale congolaise fait à nouveau appel à des mercenaires commandés par un général belge. Entre temps, en 1965, Mobutu dépose le président Kasavubu et instaure une dictature qui durera plus de trente ans. La fin de Mulele est tragique. En 1968, traqué, il se réfugie au Congo Brazzaville, où le Conseil national de la révolution vient de prendre le pouvoir sous la direction de Marien Ngouabi. Le CNR arrête Mulele et le renvoie à Kinshasa au prétexte d’un prétendue amnistie accordée par Mobutu. Il est torturé à mort dès son retour.

Mobutu, l’ami de Paris

Pendant les années 70, alors que le régime de Mobutu se signale par la gabegie, le pillage à grande échelle et les assassinats, c’est la France qui devient son principal protecteur en pourchassant ses opposants. Le livre de Cléophas Kamitatu, La grande mystification du Congo­-Kinshasa – Les crimes de Mobutu, est interdit en 1971 et Foccart demande l’expulsion de son auteur. En 1974, celui de Jules Chomé, L’ascension de Mobutu, subit le même sort. Pendant ces années, Mobutu masque ses crimes derrière l’instauration de l’authenticité : changement du nom du Congo en Zaïre, ainsi que de ceux des principales villes, abandon des prénoms chrétiens, adoption du look avec toque en léopard. Cela n’empêche pas le président français Giscard d’Estaing de nouer des relations privilégiées avec Mobutu. En 1978, des rebelles katangais, basés en Angola, envahissent le Shaba (ex-Katanga). Des parachutistes français et belges sont largués sur Kolwezi pour anéantir la rébellion.

Héritage mitterrandien

Sous la présidence de Mitterrand Mobutu est toujours à l’honneur dans les relations avec l’Afrique, premier à être reçu à l’Élysée en 1981, premier à accueillir un sommet France­ Afrique en 1983. Il entretient des relations familières avec Jeanny Lorgeoux, Michel Rocard. Avec la fin de la guerre froide, l’opposition à Mobutu prend vigueur, à l’intérieur et à l’extérieur. En 1991, l’armée zaïroise mutinée pille Kinshasa. Deux mille militaires français et belges sont envoyés pour évacuer les 20 000 étrangers menacés. La conférence nationale qui se réunit en 1992 pour désigner un gouvernement est marginalisée par Mobutu, qui désigne son propre gouvernement. Base arrière de l’armée française lors de l’opération Turquoise en juillet 1994, à la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, le Zaïre voit se replier le régime génocidaire, ainsi que deux millions de réfugiés. Le nouveau pouvoir rwandais les poursuit en 1996 et s’allie aux opposants congolais de l’AFDL (alliance des Forces démocratiques pour la libération du Zaïre) de l’ancien maquisard Laurent Kabila pour mettre en déroute les forces zaïroises que l’arrivée de mercenaires ne sauvera pas. Mobutu s’enfuit en mai 1997, remplacé au pouvoir à Kinshasa par Kabila, encadré par ses alliés rwandais. C’est la première guerre du Congo, qui est déjà l’occasion de nombreux massacres de civils. La deuxième guerre du Congo, de 1998 à 2003, qui éclate avec la rupture de Laurent Kabila avec ses anciens alliés rwandais, et sa nouvelle alliance avec l’Angola, voit s’embraser tout l’Est du Congo et fera deux millions de victimes. Laurent Kabila est assassiné en janvier 2001 et remplacé par son fils Joseph Kabila. Devenu République Démocratique du Congo, l’immense territoire au cœur de l’Afrique n’a toujours pas cessé d’être un champ de pillage, tandis que se poursuit une guerre de basse intensité à l’Est.

[1Voir Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold. Un holocauste oublié (Belfond, 1998)

[2Une exception confirme la règle : Thomas Kanza, diplômé d’une Licence en pyscho­pédagogie à l’Université de Louvain en 1956.

[3Voir Kalidou Sy, « Les USA assassinent Lumumba... et assument ! », Billets d’Afrique n°232, février 2014

[4Expédition racontée par Ernesto Che Guevara : Passages de la guerre révolutionnaire : Le Congo (Metailié, 2000)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 258 - juin 2016
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