Survie

Fin de partie et prolongations

rédigé le 1er juillet 2016 (mis en ligne le 20 juillet 2016) - Thomas Noirot

Vingt-six
ans après son renversement par ses ex-alliés,
Hissène Habré a été reconnu coupable de
quelques uns au moins de ses crimes. Ses complices
français ne sont toujours pas inquiétés. Vingt-deux
ans après le génocide des Tutsi du Rwanda, le
(seulement !) deuxième procès à Paris a condamné deux
génocidaires. Les complices français de l’extermination
continuent leur brillante carrière militaire ou politique.

Vingt-et-un
ans après avoir renoncé pour de bon à briguer
le trône élyséen, Michel Rocard est mort et la nouvelle
a entraîné un déferlement de commentaires
laudateurs – l’ancien ministre de la Défense Pierre Joxe
allant jusqu’à évoquer un « audacieux militant anticolonialiste
 »
dans sa jeunesse –, effaçant des broutilles
telles qu’une amitié coupable
avec un autre dinosaure,
toujours au pouvoir
au Cameroun.

Quatre ans après son
arrivée au pouvoir, François
Hollande est accusé de tous
les maux dans sa politique
intérieure, ce qui se comprend,
mais presque toujours
épargné de critiques sur « sa » politique africaine
(le pronom possessif mérite des guillemets tant elle se
distingue peu de ce qui l’a précédé). Et puisque ses
concurrents et lui sont déjà en précampagne
électorale,
il faut envisager rapidement de faire l’état des lieux
de cette politique d’ici le scrutin qu’ils briguent. Car
avant ce nouveau match électoral, de quel bilan pourra
se targuer celui qui, à l’instar de son prédécesseur, promettait
de mettre fin à la Françafrique et prétend l’avoir
fait ? L’interventionnisme militaire français est à son
apogée depuis vingt ans, les institutions comme le franc
CFA et l’Agence française de développement échappent
toujours à tout débat politique. La paix n’est pas revenue
au Mali et elle semble s’éloigner chaque jour un
peu plus en Centrafrique. Au Congo-Brazzaville,
où le
dictateur Sassou Nguesso a pu compter sur le maintien
du soutien français lors de son brutal coup de force
pour rester au pouvoir, l’opposant Jean-Michel
Mokoko
croupit désormais en prison sans émouvoir la diplomatie
française, qui s’est officiellement contentée, le 21
juin, de se dire « attentive » à sa situation. Les militants
syndicaux victimes d’intimidations et de persécution judiciaire
au Cameroun n’ont même pas cet honneur.

Au
Tchad, le potentat Idriss Déby s’est tellement imposé
comme un maillon incontournable d’une prétendue
« guerre contre le terrorisme », aussi inutile qu’absurde,
que la majorité des députés de gauche comme de
droite s’étonnent et se
scandalisent que des associations
comme Survie les
invitent à demander au
gouvernement français si
ce dernier est au moins
« attentif » aux violations
répétées des droits humains
dans ce pays. Et
l’idée qu’on puisse leur demander
de suspendre notre coopération militaire avec
de tels régimes leur paraît plus saugrenue encore que
la revendication d’un meilleur contrôle des ventes
d’armes : c’est dire. A ce rythme-là,
on lira dans une
vingtaine d’années l’éloge funèbre d’un baron du PS par
un équivalent de Pierre Joxe, fustigeant a posteriori et à
bon compte le « socialisme déshonoré par les années
de compromissions politiciennes et les dérives autoritaires
nées des guerres (néo)coloniales »
 [1]. Sans que
rien ne change.

[1Citation du billet de Pierre Joxe sur Michel Rocard (Mediapart, 7
juillet), à l’exception du préfixe « néo » que nous ajoutons, actualisation
oblige...

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 259 - juillet-août 2016
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