Survie

A Faléa « Les compagnies minières viennent à l’insu des populations »

rédigé le 9 septembre 2016 (mis en ligne le 1er novembre 2016) - Pauline Tétillon

Le 8 juin 2016, Mallé Camara, maire de la commune de Faléa au Mali et Many Camara, sociologue, de passage en France, sont venus faire le point sur leur combat contre la « colonisation minière » [1] de leur commune lors d’une rencontre organisée par Survie 49 à Angers. Compte-­rendu.

Faléa regroupe 17000 habitants répar­tis en 21 villages et hameaux. Les acti­vités principales sont l’agriculture, l’élevage et l’exploitation artisanale de l’or. C’est une commune sans électricité, man­quant cruellement de services de santé, cou­pée du reste du pays par la rivière pendant la saison des pluies.

La commune de Faléa, frontalière du Sénégal et de la Guinée, est située au sud­ouest du Mali dans la région de Kayes.
La commune de Faléa, frontalière du Sénégal et de la Guinée, est située au sud­-ouest du Mali dans la région de Kayes.

La commune de Faléa, frontalière du Sénégal et de la Guinée, est située au sud­ouest du Mali dans la région de Kayes.

Mais comme le précise Many Camara, à Faléa « c’est la population qui est enclavée ». En effet, la commune regorge de res­sources minières qui attirent depuis des décennies de nombreuses compagnies mi­nières étrangères qui explorent son sous­-sol : bauxite, or, uranium, argent, cuivre. Les différents permis (prospection, exploration, recherche, exploitation) recouvrent presque la totalité du territoire de la commune, lais­sant de moins en moins de place aux activi­tés agricoles.

En 2007 la société canadienne Rockgate a obtenu de l’État malien un permis d’explo­ration de l’uranium sur le tiers de la com­mune de Faléa. La réalisation des forages était sous­-traitée à la société française Fora­co, basée à Marseille. et c’est apparemment Areva qui devait exploiter la future mine d’uranium, comme l’a déclaré l’ambassadeur de France au Mali en poste en 2011.

En 2010, face aux pratiques brutales de Rockgate et de Foraco et au risque de créa­tion d’une mine d’uranium, la population et les élus se sont mobilisés au sein de l’association des ressortissants et amis de la com­mune de Faléa (ARACF). Aujourd’hui ce projet de mine n’est plus à l’ordre du jour. L’ARACF a conscience que la chute des cours d’uranium et les déboires d’Areva (cf. Billets n°241, décembre 2014) en sont la principale cause. Mais cette mobilisation a été la première étape d’une lutte plus large qui continue à se mener contre la colonisation minière de Faléa et du Mali en général.

« Anti-développement »

L’activité des compagnies minières se fait souvent dans des conditions brutales, sans aucune considération pour les activités économiques, la culture locale, la santé et la sécurité des riverains, ni pour l’environne­ment. Elles ne produisent pas d’infrastruc­tures publiques supplémentaires, raison souvent invoquée par l’État malien pour leur accorder des permis, mais construisent leurs propres pistes d’atterrissage.

Elles ne sont pas soumises à l’impôt lors­qu’elles exercent des activités de prospection, alors même qu’elles occupent l’espace, le privatisent, utilisent – et polluent – les ressources locales (eau, air, sol). Lorsqu’elles exploitent des ressources, elles ne paient des impôts que sur la base des quantités qu’elles déclarent extraire, mais il n’y a au­cun contrôle.

A Faléa, des pistes d’avion ou des fo­rages ont été réalisés à quelques mètres de maisons ou d’écoles, sans clôtures ni protec­tions. Les compagnies s’installent sur des sites sacrés ou des cimetières. Rockgate a détruit des champs prêts à être récoltés, fai­sant perdre aux paysans le fruit de leur tra­vail sans le moindre dédommagement, selon les représentants de l’ARACF. Ces cultiva­teurs ont dû trouver des terres ailleurs, cer­tains ont abandonné l’agriculture et se sont tournés le plus souvent vers l’orpaillage tra­ditionnel. Enfin, tout ces bouleversements supplémentaires mettent en danger les équilibres biologiques du territoire alors même que la région est l’une des dernière au Mali a être particulièrement riche en bio­diversité. Elle a d’ailleurs été reconnue « aire protégée » en 2010 dans le cadre d’un pro­gramme Mali­-Programme des Nations Unies pour le Développement d’extension et de renforcement du système d’aires protégées au Mali, visant à atténuer l’impact des activi­tés humaines sur l’environnement.

La collectivité ne peut pas grand chose contre ces pratiques des compagnies minières qui ne sont soumises à aucune contrainte sociale ou environnementale lors de la phase d’exploration. L’ARACF a tout de même mis en place des actions de sur­veillance pour recenser les abus : acquisition de compteurs Geiger pour mesurer la radio­activité ; création d’une brigade communau­taire pour la surveillance et la protection de l’environnement, composée de jeunes habi­tants chargés de surveiller les activités des compagnies et de faire le lien avec la mairie. Un gros travail d’information et de sensibili­sation a également été fait grâce à la créa­tion d’une radio locale qui émet sur 50 km2. Des émissions ont été diffusées pour sensi­biliser aux dangers du nucléaires, avec ses conséquences tant sociales que sanitaires et environnementales, notamment en s’ap­puyant sur l’expérience du Niger.

Désormais à Faléa, pour l’uranium comme pour tous les autres minerais, les compagnies minières ne peuvent plus ca­cher la nature de leurs pratiques et leurs conséquences à la population. C’est déjà une première victoire selon Mallé Camara et Many Camara. Mais une autre bataille était – et reste – à mener contre les compagnies minières et le système qui leur permet d’ac­céder en toute opacité au sous-­sol de Faléa.

Minières toutes-puissantes

Lorsqu’une compagnie minière dé­barque à Faléa, les élus de la commune ne sont même pas tenus au courant. Les titres miniers d’exploration et/ou d’exploitation sont (normalement) accordés aux compa­gnies par le gouvernement malien pour des durées variables avec condi­tions de renouvellement. En ce qui concerne les autori­sations d’exploration par exemple, elles sont d’une durée de 3 ans, renouvelables 2 fois, avec une dimi­nution de moitié de la superficie explorable à chaque demande de renou­vellement. Les attributions se font souvent dans des conditions entachées de corruption et il est peu pro­bable que les conditions des titres accordés soient res­pectées ; du moins per­sonne ne les contrôle.

Les sociétés minières sont de fait toutes­-puis­santes et profitent de la fai­blesse et des dysfonctionnements de l’État malien. Dans les an­nées 1990, la réforme du code minier –sous l’impul­sion de la Banque Mon­diale– a dépossédé l’État des instruments juridiques qui lui permettaient de maîtriser les activités minières sur son territoire.

Par ailleurs, dans le cadre du processus de décentralisation, des compétences ont été transférées de l’État et ses antennes ad­ministratives locales vers les collectivités lo­cales. Mais, regrette Mallé Camara, « l’État a transféré les problèmes et a [gardé] les res­sources ». Au final les collectivités n’ont pas les moyens de mettre en œuvre leurs poli­tiques et les administrations locales se sentent dépossédées de leurs prérogatives. Cela entraîne jeux de pouvoir, problèmes de communication entre institutions et épar­pillement des moyens financiers. Les diffé­rentes institutions ne sont pas coordonnées et sont très facilement corruptibles face à des compagnies aux moyens financiers im­menses. Pour obtenir des autorisations, les entreprises utilisent en toute opacité leurs fonds dédiés au développement local dans le cadre de leurs politiques de Responsabili­té Sociétale des Entreprises (RSE), de véri­tables « caisses noires » pour corrompre selon Many Camara. Elles créent des conflits, brèches dans lesquelles elles se glissent pour exploiter les ressources sans contraintes. Les autorités traditionnelles et même de simples habitants reçoivent égale­ment de l’argent en échange de leur silence vis-à­-vis des autorités locales. Mallé Camara a par exemple été confronté à un cas où un chef de village a autorisé une société à ex­plorer le sous-­sol sur son territoire tradition­nel, situé à cheval entre deux villages administratifs. Lorsque les deux maires l’ont découvert, un conflit a éclaté entre eux pour récupérer les bénéfices financiers de cette installation, la compagnie pouvant pendant ce temps exercer son activité en toute impu­nité. Pour éviter ces situations, une autre équipe communautaire a été mise en place à Faléa pour repérer les conflits et les rappor­ter à la Mairie.

Carte officielle des titres miniers en 2009 de l’Ouest du Mali. L’ensemble du territoire est recouvert.
Carte officielle des titres miniers en 2009 de l’Ouest du Mali. L’ensemble du territoire est recouvert.

Carte officielle des titres miniers en 2009 de l’Ouest du Mali. L’ensemble du territoire est recouvert.

Mobilisations

L’ARACF a découvert ces mécanismes au fur et à mesure de sa mobilisation. Elle en a informé la population et des formations ont été organisées pour les élus. Ils ont ainsi pu découvrir le peu de moyens que leur offre la loi malienne pour lutter contre le pillage de leur sous­-sol : pas de recours, pas de ca­dastre, aucun outils pour préserver certains espaces de l’exploitation minière. Le pre­mier frein pour eux est de n’avoir aucune in­formation sur les compagnies présentes ou à venir sur le territoire, ni sur les modalités des permis qui leur sont accordés.

Avoir accès à ces informations pour bri­ser l’opacité dont bénéficient les compa­gnies minières est aujourd’hui la stratégie prioritaire de l’ARACF. Un projet de la coopération allemande d’appui au Mali sur la transparence des activités minières a été mis en place. Il comporte un volet de publica­tion en ligne des titres miniers. Un écran de fumée pour l’ARACF, qui souhaite tout de même s’appuyer dessus : via son opérateur technique et scientifique Action Solidarité Faléa 21, elle a demandé des fi­nancements pour faire un état des lieux des titres miniers exis­tant sur la commune de Faléa et organiser une table ronde sur le sujet au ministère des Mines. L’association a par exemple dé­couvert qu’un titre de prospec­tion concernant Faléa porte à lui seul sur 950 km2, alors que la commune ne fait que 400 km2.

Enfin, même si elle en at­tend peu, l’ARACF souhaite prendre part aux débats sur le projet de nouveau code foncier au Mali, notamment pour y faire reconnaître le droit coutu­mier. Elle porte également la re­vendication que les fonds des compagnies soi­-disant dédiés au développement local soient directement reversés dans les budgets des collectivités lo­cales.

« Relier les luttes ici et là-bas »

Mallé Camara et Many Camara ont insis­té sur le fait que l’avenir de Faléa doit reposer sur les ressortissants de Faléa. D’ailleurs, en parallèle de la lutte menée contre la colo­nisation minière l’ARACF met en œuvre d’autres projets pour l’économie locale, al­ternatifs à l’extraction minière : mise en place d’un bac automoteur traversier sur le fleuve pour désenclaver la région pendant la période des pluies, projet de création d’une filière bambou (production, transformation, commercialisation) en partenariat avec la coopération chinoise, étude pour rendre l’eau des sources et nappes phréatiques po­table afin de la conditionner et la commer­cialiser, etc.

La force de la résistance menée à Faléa réside dans le fait qu’elle repose sur la po­pulation locale, tout en faisant des liens avec d’autres luttes extérieures. Des alliances ont été créées au Mali, notamment avec les col­lectivités voisines, mais aussi en Europe et ailleurs, avec des associations de solidarité internationale, des mouvements anti­nu­cléaires, des médias spécialisés, etc, à l’image de l’organisation du forum Uranium Santé Environnement à Bamako en 2012 qui a permis de mobiliser un réseau internatio­nal d’acteurs antinucléaires ou militants. Mallé Camara a conclu la rencontre en appelant à ce que ces relations, fructueuses, continuent.

Plus d’informations : http://falea.eu/

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 260 - septembre 2016
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