L’élection présidentielle au Gabon a eu lieu le 27 août et Ali Bongo a sans surprise décidé de tenter un passage en force – comme en 2009. Point d’étape sur ce processus électoral très controversé et dont l’aboutissement reste inconnu au moment de boucler ce numéro.
Comme pour chaque parodie d’élection dans des dictatures, et bien que les observateurs internationaux continuent de venir dans le pays seulement quelques jours avant le scrutin, le processus de trucage des élections commence bien en amont, notamment avec l’élaboration du fichier électoral. La base de ce fichier a été élaborée par l’entreprise française Gemalto, suite à un appel d’offres lancé par le ministère de l’Intérieur en décembre 2011.
Gemalto devait notamment procéder à l’enregistrement biométrique des citoyens ainsi qu’à la création d’un programme censé servir, entre autres, à la mise à jour de ce fichier. Or, d’après un audit réalisé par l’économiste Mays Mouissi [1] publié le 7 août entre le fichier électoral et le dernier recensement de 2013, 59 localités ont plus d’électeurs inscrits que d’habitants (allant jusqu’à des ratios électeurs/habitants de 2200% !). De plus, 18 localités ont un taux d’inscrit de 80 à 100% de la population officielle, de tels ratios étant impossibles à la fois à cause de l’abstention primaire (non inscription sur les listes électorales pour des raisons volontaires ou involontaire) et du fait qu’une part importante de la population n’a pas atteint l’âge de voter ! A minima, 34% des 226 arrondissements et cantons avaient donc un nombre d’électeurs inscrits irrégulier d’après l’audit. Gemalto est en outre poursuivie devant les juridictions françaises depuis 2015 par plusieurs ONG gabonaises et françaises [2] pour « détournements de fonds publics par corruption active ou passive, de fonctionnaires nationaux »...
De plus, la machine à tricher du PDG (parti au pouvoir) est accusée d’avoir procédé à différent achats de cartes d’électeurs dans les semaines précédant le vote. Cela avait pour but de permettre de voter plusieurs fois pour certains partisans du PDG, comme l’ont repéré des « brigades anti-fraude » mises en place par l’opposition et qui ont emmené au commissariat plusieurs fraudeurs présumés pendant la journée du scrutin. Afin de faciliter ce phénomène du « multi vote », la Cour constitutionnelle (présidée par la belle-mère d’Ali Bongo) a annoncé qu’elle « autorise les militaires à voter en dehors des centres dans lesquels ils sont régulièrement inscrits, et l’ouverture de listes additives d’électeurs pour eux » (RTBF, 27/08), en dehors de tout cadre légal.
Face au président sortant, qui s’est imposé à la tête du pays à la mort de son père Omar Bongo, en 2009, l’opposition s’était rassemblée autour de Jean Ping [3] : un ancien cacique du régime d’Omar Bongo, connecté à certains réseaux françafricains (et notamment à Total) mais vers qui les Gabonais se sont massivement tournés pour espérer dégager le fils Ali. Dès la fin du vote, et pendant les jours qui ont suivi, les deux camps ont annoncé à plusieurs reprises avoir gagné l’élection, notamment l’opposition sur la base de la compilation des résultats qu’elle centralisait en parallèle de la Commission électorale nationale, via les photos des procès-verbaux (PV) que ses différents observateurs présent dans les bureaux de vote lui avaient transmis. De plus, le mardi soir, 8 gouverneurs sur les 9 provinces que compte le Gabon (pour la plupart des membres de la famille d’Ali Bongo) avaient annoncé les résultats de leur province, donnant le candidat de l’opposition gagnant avec environs 60% des voix contre près de 35% pour Ali Bongo, accusant ainsi un retard d’environ 60 000 voix, et avec un taux de participation moyen d’environ 57%. Dans la nuit du mardi au mercredi, le gouverneur de la province du Haut-Ogooué – dont est originaire la famille Bongo – donne les derniers résultats officiels de cette région : 65 000 voix d’avance pour Ali Bongo, avec un taux de participation de près de 99% et un vote en faveur d’Ali Bongo de près de 96%, ce qui permet ainsi au dictateur sortant de repasser, officiellement, d’un peu plus de 5000 voix devant son challenger (avec 49,85% contre 48,16% pour Jean Ping). D’après les PV de cette province que l’opposition a récupérés (et dont les chancelleries étrangères ont une copie), il y a déjà un nombre cumulé d’abstentions et de votes nuls suffisamment important qui, en plus d’invalider totalement les chiffres officiels proclamés par le régime en place pour cette région en termes de participation, prouverait que Jean Ping est bien gagnant au niveau national.
Les répressions de la part du régime sont allées croissant ces derniers mois à l’encontre de toutes les voies dissidentes du pays. Celles-ci ont sont encore montées d’un cran suite à l’annonce des résultats officiels.
En effet, dès l’annonce des résultats de la part de la CENAP, le mercredi 31 août, des manifestations éclatent dans plusieurs villes du pays, notamment à Libreville (capitale politique), Port Gentil (centre économique du pays), Lambaréné, Bitam, Mouila, etc. L’Assemblée nationale brûle, des barricades se mettent en place dans les rues... Mais ces différentes manifestations sont violemment réprimées par le régime, n’hésitant pas à faire tirer à balles réelles contre les civils désarmés notamment à l’aide de fusils d’assaut d’origine française de type FAMAS. Juste dans les premières 36 heures, plus de 1000 manifestants sont arrêtés dans le pays d’après le ministère de l’Intérieur... Le nombre de décès, qui continue à s’élever, est très difficile à établir, notamment du fait de la coupure d’internet (coupé le 31 août).
De plus, dans la nuit de mercredi à jeudi, le quartier général (QG) de campagne de l’opposant Jean Ping a été pris d’assaut par la garde républicaine (GR) celle-là même qui est encore solidement encadrée par des coopérants français [4] après avoir été bombardé par des hélicoptères. Pendant deux jours, 27 leaders de l’opposition et de la société civile qui se trouvaient au QG au moment de l’attaque y sont restés prisonniers, devant rester au milieu des flaques de sang (provenant des blessés et des deux morts survenues lors de l’attaque). Ce serait des gendarmes qui auraient empêché la GR de faire un massacre encore plus important... D’après Michel Ongoundou Loundah, président de l’Association des altogovéens [habitants du Haut-Ougooué] pour l’alternance, l’assaut du siège de Jean Ping a été réalisé dans « le but de récupérer les procès-verbaux », le QG ayant été totalement dévalisé par les forces de répressions du régime.
Avant même l’annonce officielle des résultats, la mission d’observation de l’Union européenne (UE) a fait état, le 29 août, de nombreuses irrégularités et d’un manque de transparence, et demandé la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote. Cette demande a été reprise et réitérée plusieurs fois au niveau d’acteurs étrangers, notamment de la part des gouvernements français et des Etats-Unis (mais aussi de représentants de l’UE et de l’ONU). A l’opposé, l’Union Africaine, qui est restée plusieurs jours sans prendre position, présidée actuellement par Idriss Déby, n’a pas appelé à une publication des résultats bureau par bureau de vote, demande que rejette par ailleurs de manière catégorique le clan Bongo, renvoyant toutes contestations vers la cours constitutionnelle, dont la présidente n’est autre que Marie-Madeleine Mbourantuso (qui a eu deux enfant avec Omar Bongo...)
L’armée étant de plus en plus divisée dans son soutien à Ali Bongo, ce dernier aurait fait appel à des mercenaires étrangers en soutien aux militaires gabonais qui lui sont restés fidèles. Les militants et médias gabonais accusent notamment des mercenaires tchadiens et burundais envoyés respectivement par Idriss Déby et le dictateur burundais Pierre Nkurunziza [5] . Certains parlent aussi de mercenaires rwandais et somaliens. Le dictateur Idriss Déby, lui-même faussement réélu en avril dernier, devrait par ailleurs prendre la tête d’une délégation de chefs d’Etat africains au Gabon début septembre afin de chercher une solution à la crise actuelle. Une initiative saluée par la France et l’Union européenne...
De son côté, Jean Ping disposerait aussi de différents soutiens au niveau de la sous-région qui ne sont pas plus des fervents démocrates que ceux d’Ali Bongo (mais qui n’ont pas envoyé, eux, des mercenaires tirer sur la population), notamment du côté de l’Equato-Guinéen Obiang Nguema (doyen des chefs d’États africains depuis la mort d’Omar Bongo, et « réélu » en avril dernier avec 93,7% des voix...) et du Congolais Sassou Nguesso [6] (grand expert en coups de force électoraux, comme il l’a encore prouvé dans le sang à l’automne dernier).
La présence des mercenaires étrangers et cagoulés dans les villes gabonaises au côté des militaires gabonais serait l’une des raisons principale de la démission du chef d’Etat-major des armées Auguste Roger Bibaye Itandas. Cette démission de ce très proche d’Ali Bongo fait suite à d’autres démissions au sein du PDG et du gouvernement, notamment le patron du PDG en France, Dieudonné Tahiro Aperano, et celui au Etats-Unis, Ony Obame Nzé, ou encore celle du ministre de la Justice Séraphin Moundounga, autre très proche de Bongo fils.
En France, de nombreuses voix d’acteurs et de partis politiques (tant de gauche que de droite) ont aussi mis en doutes les résultats officiels (avec par contre un silence remarqué de N. Sarkozy, lui qui avait été l’un des premiers présidents à féliciter Ali Bongo il y a 7 ans suite à son putsch électoral). Les autorités françaises, de par leur appel au calme et à la transparence des résultats, essayent d’adopter aujourd’hui une posture de soutien à la démocratie. Pourtant, elles n’ont fait que soutenir, depuis 50 ans et jusqu’à cette élection présidentielle, le clan Bongo. Ce soutien s’est fait notamment via la coopération militaire, qui se perpétue, mais aussi via des interventions directes du pouvoir français par rapport aux problèmes judiciaires du clan Bongo.
Certains acteurs politiques français, tels que J.L. Mélenchon, vont même jusqu’à demander une intervention des soldats français (sous mandat de l’ONU et au côté d’autres troupes africaines). Intervention française que réclame d’ailleurs, de manière à peine voilée, Jean Ping, alors que la France est de loin le pays le moins bien placé, du fait justement de son passif d’ingérence : les trois présidentsdictateurs qu’a connus jusqu’à alors le Gabon ont été placés puis soutenus par la France. Comme en écho, afin d’augmenter la pression sur le régime d’Ali Bongo, Paris a décidé d’envoyer le 7 septembre le deuxième régiment de parachutistes à Libreville, officiellement pour protéger les 15000 ressortissants français...
Alors que certains médias hexagonaux, pronostiquant qu’Ali Bongo n’arrivera pas à se maintenir au pouvoir, parlent déjà de la fin de la Françafrique, tout laisse pourtant croire que le Gabon est loin d’être débarrassé de l’ingérence de la France dans les affaires du pays. Le soutien de la France jusqu’au dernier moment au régime dictatorial d’Ali Bongo (notamment via sa coopération militaire et le fait que la France peut décider selon son désir du renforcement de la présence des militaires français sur le sol gabonais comme si « la France y [était] chez elle » [7] , comme l’a encore montré cet envoi récent de renforts) et les liens qu’a quasiment l’ensemble de la classe politique gabonaise du PDG comme de l’opposition avec des réseaux françafricains laissent au contraire craindre fortement la perpétuation de cette relation malsaine entre les dirigeants français et gabonais. Ce sera encore la population gabonaise qui la subira dans sa chair.
Coopération militaire et sécuritaire
Alors que la France possède depuis l’ « indépendance » une base militaire, un nouvel accord a été signé en 2010, qui permet à l’ambassadeur français d’affirmer que « La France y est chez elle » tellement les avantages sont nombreux : « les forces françaises stationnées ont la faculté de circuler sur le territoire de la République gabonaise, y compris dans sa mer territoriale et son espace aérien. La liberté de déplacement dans les eaux territoriales gabonaises comprend notamment l’arrêt et le mouillage en toutes circonstances ». Aucune taxe ni loyer n’est par ailleurs demandé aux Forces Françaises au Gabon, à l’inverse de ce qu’il est de coutume dans la plupart des pays... L’accord consacre aussi une totale impunité des militaires français en poste au Gabon, même si ces derniers entraînent la mort pendant leur activité (un vrai permis de tuer, donc...).
Le Gabon est l’un des deux pays d’Afrique subsaharienne ayant le plus de coopérants français, que l’on retrouve notamment au sein de la Garde Républicaine, mais aussi auprès du chef de la police nationale en tant que conseillé spécial.
Des formations très nombreuses sont aussi délivrées (4000 soldats gabonais formés en 2014), couplé à la formation de nombreux officiers au sein de Ecole d’état-major (à vocation régionale) de Libreville.
Présence aussi de la mission navale Corymbe, depuis 1990, qui a été conçue pour préserver les intérêts économiques français dans cette zone, notamment ceux liés à l’exploitation pétrolière.
[1] Gabon : Ces curiosités de la liste électorale qui font douter de sa fiabilité, Mays Mouissi, 07/08/2016.
[2] Voir notamment l’interview de Marc Ona sur l’entreprise Gemalto, Billets n°233, mars 2014.
[3] Plusieurs candidats, dont notamment 2 des 3 challengers principaux de l’opposition, se sont désistés début août pour augmenter les chances de gagner cette élection à un tour.
[4] Voir la Lettre du Continent n°649 du 19/12/2012, Hollande, garde du corps en chef d’Ali.
[5] Gabon : Démission du chef d’étatmajor des armées Auguste Roger Bibaye Itandas, RTS.sn, 06/09/2016.
[6] Sassou N’guesso et Obiang N’guema demandent à Ali Bongo de quitter le pouvoir, Radio Kankan, 29/08/2016
[7] Phrase de l’ambassadeur français au Gabon (voir encadré).