Survie

Ali Bongo en force

rédigé le 9 septembre 2016 (mis en ligne le 1er novembre 2016) - Thomas Bart

L’élection présidentielle au Gabon a eu lieu le 27 août et Ali Bongo a sans surprise décidé de tenter un passage en force – comme en 2009. Point d’étape sur ce processus électoral très controversé et dont l’aboutissement reste inconnu au moment de boucler ce numéro.

Comme pour chaque parodie d’élec­tion dans des dictatures, et bien que les observateurs internationaux conti­nuent de venir dans le pays seulement
quelques jours avant le scrutin, le processus de trucage des élections commence bien en amont, notamment avec l’élaboration du fi­chier électoral. La base de ce fichier a été élaborée par l’entreprise française Gemalto, suite à un appel d’offres lancé par le minis­tère de l’Intérieur en décembre 2011.

Fraudes avérées

Gemalto devait notamment procéder à l’enregistrement biométrique des citoyens
ainsi qu’à la création d’un programme censé servir, entre autres, à la mise à jour de ce fi­chier. Or, d’après un audit réalisé par l’éco­nomiste Mays Mouissi [1] publié le 7 août entre le fichier électoral et le dernier recensement de 2013, 59 localités ont plus d’électeurs ins­crits que d’habitants (allant jusqu’à des ra­tios électeurs/habitants de 2200% !). De plus, 18 localités ont un taux d’inscrit de 80 à 100% de la population officielle, de tels ra­tios étant impossibles à la fois à cause de l’abstention primaire (non inscription sur les listes électorales pour des raisons volon­taires ou involontaire) et du fait qu’une part importante de la population n’a pas atteint l’âge de voter ! A minima, 34% des 226 arrondissements et cantons avaient donc un nombre d’électeurs inscrits irrégulier d’après l’audit. Gemalto est en outre pour­suivie devant les juridictions françaises de­puis 2015 par plusieurs ONG gabonaises et françaises [2] pour « détournements de fonds publics par corruption active ou passive, de fonctionnaires nationaux »...

De plus, la machine à tricher du PDG (parti au pouvoir) est accusée d’avoir procédé à différent achats de cartes d’électeurs dans les semaines précédant le vote. Cela avait pour but de permettre de voter plu­sieurs fois pour certains partisans du PDG, comme l’ont repéré des « brigades anti­-fraude » mises en place par l’opposition et qui ont emmené au commissariat plusieurs fraudeurs présumés pendant la journée du scrutin. Afin de faciliter ce phénomène du « multi vote », la Cour constitutionnelle (présidée par la belle­-mère d’Ali Bongo) a annoncé qu’elle « autorise les militaires à voter en dehors des centres dans lesquels ils sont régulièrement inscrits, et l’ouverture de listes additives d’électeurs pour eux »
(RTBF, 27/08), en dehors de tout cadre légal.

Résultats officiels truqués

Face au président sortant, qui s’est im­posé à la tête du pays à la mort de son père
Omar Bongo, en 2009, l’opposition s’était rassemblée autour de Jean Ping [3] : un ancien cacique du régime d’Omar Bongo, connecté
à certains réseaux françafricains (et notam­ment à Total) mais vers qui les Gabonais se sont massivement tournés pour espérer dé­gager le fils Ali. Dès la fin du vote, et pen­dant les jours qui ont suivi, les deux camps ont annoncé à plusieurs reprises avoir gagné l’élection, notamment l’opposition sur la base de la compilation des résultats qu’elle centralisait en parallèle de la Commission
électorale nationale, via les photos des pro­cès­-verbaux (PV) que ses différents observa­teurs présent dans les bureaux de vote lui avaient transmis. De plus, le mardi soir, 8 gouverneurs sur les 9 provinces que compte le Gabon (pour la plupart des membres de la famille d’Ali Bongo) avaient annoncé les résultats de leur province, donnant le candi­dat de l’opposition gagnant avec environs 60% des voix contre près de 35% pour Ali Bongo, accusant ainsi un retard d’environ
60 000 voix, et avec un taux de participation moyen d’environ 57%. Dans la nuit du mardi au mercredi, le gouverneur de la province du Haut­-Ogooué – dont est originaire la fa­mille Bongo – donne les derniers résul­tats officiels de cette région : 65 000 voix d’avance pour Ali Bongo, avec un taux de participation de près de 99% et un vote en faveur d’Ali Bongo de près de 96%, ce qui permet ainsi au dictateur sortant de repas­ser, officiellement, d’un peu plus de 5000 voix devant son challenger (avec 49,85% contre 48,16% pour Jean Ping). D’après les PV de cette province que l’opposition a ré­cupérés (et dont les chancelleries étrangères
ont une copie), il y a déjà un nombre cumu­lé d’abstentions et de votes nuls suffisam­ment important qui, en plus d’invalider totalement les chiffres officiels proclamés par le régime en place pour cette région en termes de participation, prouverait que Jean Ping est bien gagnant au niveau national.

Manifestations réprimées dans le sang

Les répressions de la part du régime sont allées croissant ces derniers mois à
l’encontre de toutes les voies dissidentes du pays. Celles­-ci ont sont encore montées d’un cran suite à l’annonce des résultats offi­ciels.

En effet, dès l’annonce des résultats de la part de la CENAP, le mercredi 31 août, des manifestations éclatent dans plusieurs villes du pays, notamment à Libreville (capitale politique), Port Gentil (centre économique du pays), Lambaréné, Bitam, Mouila, etc. L’Assemblée nationale brûle, des barricades se mettent en place dans les rues... Mais ces différentes manifestations sont violem­ment réprimées par le régime, n’hésitant pas à faire tirer à balles réelles contre les civils désarmés ­ notamment à l’aide de fusils d’assaut d’origine française de type FAMAS. Juste dans les premières 36 heures, plus de 1000 manifestants sont arrêtés dans le pays d’après le ministère de l’Intérieur... Le nombre de décès, qui continue à s’élever, est très difficile à établir, notamment du fait de la coupure d’internet (coupé le 31 août).

De plus, dans la nuit de mercredi à jeu­di, le quartier général (QG) de campagne de
l’opposant Jean Ping a été pris d’assaut par la garde républicaine (GR)­ celle-­là même qui est encore solidement encadrée par des coopérants français [4]­ après avoir été bom­bardé par des hélicoptères. Pendant deux jours, 27 leaders de l’opposition et de la so­ciété civile qui se trouvaient au QG au mo­ment de l’attaque y sont restés prisonniers, devant rester au milieu des flaques de sang (provenant des blessés et des deux morts survenues lors de l’attaque). Ce serait des gendarmes qui auraient empêché la GR de faire un massacre encore plus important... D’après Michel Ongoundou Loundah, pré­sident de l’Association des altogovéens [ha­bitants
du Haut-­Ougooué] pour l’alternance, l’assaut du siège de Jean Ping a été réalisé dans « le but de récupérer les procès-­verbaux », le QG ayant été totale­ment dévalisé par les forces de répressions du régime.

Le jeu de la « communauté internationale »

Avant même l’annonce officielle des ré­sultats, la mission d’observation de l’Union
européenne (UE) a fait état, le 29 août, de nombreuses irrégularités et d’un manque de transparence, et demandé la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote. Cette demande a été reprise et réitérée plu­sieurs fois au niveau d’acteurs étrangers, no­tamment de la part des gouvernements français et des Etats­-Unis (mais aussi de re­présentants de l’UE et de l’ONU). A l’oppo­sé, l’Union Africaine, qui est restée plusieurs jours sans prendre position, présidée actuel­lement par Idriss Déby, n’a pas appelé à une publication des résultats bureau par bureau de vote, demande que rejette par ailleurs de manière catégorique le clan Bongo, ren­voyant toutes contestations vers la cours constitutionnelle, dont la présidente n’est autre que Marie­-Madeleine Mbourantuso
(qui a eu deux enfant avec Omar Bongo...)

L’armée étant de plus en plus divisée dans son soutien à Ali Bongo, ce dernier aurait fait appel à des mercenaires étrangers en soutien aux militaires gabonais qui lui sont restés fidèles. Les militants et médias gabo­nais accusent notamment des mercenaires tchadiens et burundais envoyés respective­ment par Idriss Déby et le dictateur burun­dais Pierre Nkurunziza [5] . Certains parlent aussi de mercenaires rwandais et somaliens. Le dictateur Idriss Déby, lui­-même fausse­ment réélu en avril dernier, devrait par ailleurs prendre la tête d’une délégation de chefs d’Etat africains au Gabon début sep­tembre afin de chercher une solution à la crise actuelle. Une initiative saluée par la France et l’Union européenne...

De son côté, Jean Ping disposerait aussi de différents soutiens au niveau de la sous­-région qui ne sont pas plus des fervents dé­mocrates que ceux d’Ali Bongo (mais qui n’ont pas envoyé, eux, des mercenaires tirer sur la population), notamment du côté de l’Equato­-Guinéen Obiang Nguema (doyen des chefs d’États africains depuis la mort d’Omar Bongo, et « réélu » en avril dernier
avec 93,7% des voix...) et du Congolais Sas­sou Nguesso [6] (grand expert en coups de force électoraux, comme il l’a encore prouvé dans le sang à l’automne dernier).

La présence des mercenaires étrangers et cagoulés dans les villes gabonaises au
côté des militaires gabonais serait l’une des raisons principale de la démission du chef d’Etat­-major des armées Auguste Roger Bi­baye Itandas. Cette démission de ce très proche d’Ali Bongo fait suite à d’autres dé­missions au sein du PDG et du gouverne­ment, notamment le patron du PDG en France, Dieudonné Tahiro Aperano, et celui au Etats-­Unis, Ony Obame Nzé, ou encore celle du ministre de la Justice Séraphin Moundounga, autre très proche de Bongo fils.

En France, de nombreuses voix d’acteurs et de partis politiques (tant de gauche que de droite) ont aussi mis en doutes les résul­tats officiels (avec par contre un silence re­marqué de N. Sarkozy, lui qui avait été l’un des premiers présidents à féliciter Ali Bongo il y a 7 ans suite à son putsch électoral). Les autorités françaises, de par leur appel au calme et à la transparence des résultats, es­sayent d’adopter aujourd’hui une posture de soutien à la démocratie. Pourtant, elles
n’ont fait que soutenir, depuis 50 ans et jus­qu’à cette élection présidentielle, le clan Bongo. Ce soutien s’est fait notamment via la coopération militaire, qui se perpétue, mais aussi via des interventions directes du pouvoir français par rapport aux problèmes judiciaires du clan Bongo.

Certains acteurs politiques français, tels que J.L. Mélenchon, vont même jusqu’à de­mander une intervention des soldats fran­çais (sous mandat de l’ONU et au côté
d’autres troupes africaines). Intervention française que réclame d’ailleurs, de manière à peine voilée, Jean Ping, alors que la France est de loin le pays le moins bien placé, du fait justement de son passif d’ingérence : les trois présidents­dictateurs qu’a connus jus­qu’à alors le Gabon ont été placés puis sou­tenus par la France. Comme en écho, afin d’augmenter la pression sur le régime d’Ali Bongo, Paris a décidé d’envoyer le 7 sep­tembre le deuxième régiment de parachu­tistes à Libreville, officiellement pour protéger les 15000 ressortissants français...

Alors que certains médias hexagonaux, pronostiquant qu’Ali Bongo n’arrivera pas à
se maintenir au pouvoir, parlent déjà de la fin de la Françafrique, tout laisse pourtant croire que le Gabon est loin d’être débarras­sé de l’ingérence de la France dans les af­faires du pays. Le soutien de la France jusqu’au dernier moment au régime dictato­rial d’Ali Bongo (notamment via sa coopéra­tion militaire et le fait que la France peut décider selon son désir du renforcement de la présence des militaires français sur le sol gabonais comme si « la France y [était] chez elle » [7] , comme l’a encore montré cet envoi récent de renforts) et les liens qu’a quasiment l’ensemble de la classe politique gabonaise ­ du PDG comme de l’opposition avec des réseaux françafricains laissent au contraire craindre fortement la perpétuation de cette relation malsaine entre les diri­geants français et gabonais. Ce sera encore la population gabonaise qui la subira dans sa chair.

Coopération militaire et sécuritaire

Alors que la France possède depuis l’ « indépendance » une base militaire, un
nouvel accord a été signé en 2010, qui per­met à l’ambassadeur français d’affirmer
que « La France y est chez elle » tellement les avantages sont nombreux : « les forces françaises stationnées ont la faculté de circuler sur le territoire de la République gabonaise, y compris dans sa mer territo­riale et son espace aérien. La liberté de déplacement dans les eaux territoriales gabonaises comprend notamment l’arrêt et le mouillage en toutes circonstances ». Aucune taxe ni loyer n’est par ailleurs de­mandé aux Forces Françaises au Gabon, à l’inverse de ce qu’il est de coutume dans la plupart des pays... L’accord consacre aus­si une totale impunité des militaires fran­çais en poste au Gabon, même si ces derniers entraînent la mort pendant leur activité (un vrai permis de tuer, donc...).

Le Gabon est l’un des deux pays d’Afrique subsaharienne ayant le plus de
coopérants français, que l’on retrouve no­tamment au sein de la Garde Républicaine, mais aussi auprès du chef de la police na­tionale en tant que conseillé spécial.

Des formations très nombreuses sont aussi délivrées (4000 soldats gabonais formés en 2014), couplé à la formation de nombreux officiers au sein de Ecole d’état­-major (à vocation régionale) de Libreville.

Présence aussi de la mission navale Co­rymbe, depuis 1990, qui a été conçue pour
préserver les intérêts économiques fran­çais dans cette zone, notamment ceux liés
à l’exploitation pétrolière.

[1Gabon : Ces curiosités de la liste électorale qui font douter de sa fiabilité, Mays Mouissi, 07/08/2016.

[2Voir notamment l’interview de Marc Ona sur l’en­treprise Gemalto, Billets n°233, mars 2014.

[3Plusieurs candidats, dont notamment 2 des 3 chal­lengers principaux de l’opposition, se sont désistés début août pour augmenter les chances de gagner
cette élection à un tour.

[4Voir la Lettre du Continent n°649 du 19/12/2012, Hollande, garde du corps en chef d’Ali.

[5Gabon : Démission du chef d’état­major des armées Auguste Roger Bibaye Itandas, RTS.sn, 06/09/2016.

[6Sassou N’guesso et Obiang N’guema demandent à Ali Bongo de quitter le pouvoir, Radio Kankan,
29/08/2016

[7Phrase de l’ambassadeur français au Gabon (voir encadré).

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 260 - septembre 2016
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