Survie

Reconnaissance française contre dénonciation européenne

rédigé le 6 février 2017 (mis en ligne le 3 décembre 2017) - Thomas Bart

Alors que la France a de nouveau reconnu le coup de force d’Ali Bongo du 27 août 2016, l’Union européenne et les eurodéputés dénoncent cette caricature d’élection, les répressions qui ont suivi celle-ci, et pointent du doigt la responsabilité de la France.

Ali Bongo, lors de la dernière parodie d’élection présidentielle gabonaise, aurait recueilli dans la province du Haut Ogooué (région de naissance du clan Bongo), selon le ministère de l’Intérieur gabonais, 95,47 % des suffrages, avec un taux de participation de 99,93 %. Ce résultat avait permis de faire basculer le vote en faveur d’Ali Bongo Ondimba au niveau national, avec un écart de moins de 5 600 voix. Victoire qu’a entérinée le 23 septembre la Cour constitutionnelle gabonaise, institution présidée par la belle-mère du dictateur, Mme Mborantsuo. Cette dernière fut d’ailleurs décorée en France le 28 novembre dernier par Jean-Claude Marin, le procureur général de la Cour de cassation de Paris, « en signe d’amitié entre les deux cours » [1]

Diplomatie du chiffre

Du fait de la tricherie tellement flagrante, la diplomatie française avait émis quelques doutes sur la réalité de la victoire d’Ali Bongo juste après l’annonce des résultats et dire attendre la publication du rapport final de la mission d’observation de l’Union européenne (MoUE). Mais dès le 31 octobre à Abidjan, Manuel Valls a fait une déclaration qui a ravi la présidence gabonaise : « Le Gabon a un président. Et le seul souhait que nous pouvons émettre, c’est qu’il y ait un dialogue, une réconciliation ». Le ministère français des Affaires étrangères a confirmé cette reconnaissance trois semaines plus tard, tout cela juste avant la sortie du rapport de la MoUE. Souhait de dialogue et de réconciliation donc, mais sûrement aucun souhait pour que les résultats concordent avec la volonté du peuple gabonais et que justice soit faite contre les commanditaires des répressions mortelles des manifestants !

Le 12 décembre, le rapport de la MoUE fut donc publié, et indiqua sans détour que les « anomalies » observées dans le Haut-Ogooué « mettent en question l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection ». La Cour constitutionnelle n’est pas non plus épargnée par les critiques de l’UE, tant pis pour la médaille française de « l’amie » de Jean-Claude Marin. Les auteurs du rapport pointent en effet « l’opacité dans laquelle la procédure contentieuse des résultats a eu lieu » et déplorent que la confrontation des procès-verbaux n’ait « pas été autorisée ». « Le traitement du contentieux par la Cour n’a pas permis de rectifier les anomalies observées lors de la phase de consolidation des résultats ».

Demande de sanctions

Suite à ce rapport, les députés européens ont adopté une résolution le 3 février dernier qui de nouveau déplait au plus haut point au clan d’Ali Bongo et au PDG (parti au pouvoir), mais aussi sûrement au gouvernement français. En effet, dans leur résolution, les eurodéputés soulignent que les « résultats de l’élection présidentielle de 2016 au Gabon ont été "non transparents" », sont « hautement douteux » et remettent « en cause la légitimité du Président Bongo » [2]. Ils pointent aussi du doigt le non-respect des droits de l’Homme et l’absence d’élection transparente en expliquant que c’est ce qui a fait plonger le pays « dans une longue période d’instabilité politique et de violence » [3]. Ils rappellent aussi que les manifestations ont été « violemment réprimées » et ont entraîné « la mort de plusieurs personnes », que les répressions continuent contre les militants de l’opposition et de la société civile, et déplorent que la liberté des médias se soit encore plus détériorée. Mais surtout, la résolution invite le Conseil Européen à « envisager d’imposer des sanctions ciblées aux responsables des violences post-électorales, des abus des droits de l’homme et du sabotage du processus démocratique dans le pays », et ce au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou.

Protection française

Mais si cela s’avère être une vraie avancée pour l’UE, les eurodéputés ont bien conscience que le soutien de la France envers et contre tout apporté au clan Bongo risque de bloquer de fait toute sanction contre les responsables du régime, comme cela a été bien visible lors des débats parlementaires4.

C’est ainsi que par exemple Jo Leinen (eurodéputé allemand), lors des débats parlementaires, après avoir appelé à des sanctions ciblées contre Ali Bongo et son entourage, a dit espérer que la France ne « va pas bloquer de telles démarches et mesures ». Appel renouvelé sur son compte Twitter. Selon l’eurodéputée française Marie-Christine Vergiat, la MoUE n’a pas pu tirer toutes les conséquences de ces observations du fait de la « reconnaissance implicite des résultats par le gouvernement français. » Michèle Rivasi, autre eurodéputée française, considère pour sa part que l’Europe est présente vis-à-vis de Kabila en République Démocratique du Congo, mais qu’au Gabon celle-ci est « assez absente. Peut-être parce qu’il y a la présence française qui n’est pas assez dynamique pour montrer les aberrations qu’il y a eu au niveau de ces élections » ajoute-t-elle, ce qui en langage diplomatique signifie en fait aucune critique…

Beau succès : en plus de s’être aliéné la population gabonaise et d’avoir -a minima- validé cinq nouvelles années de dictature au Gabon, le gouvernement français reçoit de plus en plus de critiques de la part des parlementaires européens.

[2Communiqué de presse du Parlement européen, le 2 février 2017.

[3Résolution adoptée par le Parlement européen, le 2 février 2017.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 265 - février 2017
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