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Migrations Europe-Afrique : surenchère et marchandages : les exilés pris au piège

rédigé le 10 avril 2017 (mis en ligne le 25 décembre 2020) - Association Migreurop

Afin de revenir sur les derniers développements des relations entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Afrique concernant les migrations et sur la mise en œuvre de nouveaux accords migratoires, les « Migration Compacts » -notamment avec le Niger-, nous publions ici un article et un encadré de la note Migreurop n°5, d’avril 2017, intitulée « Externalisation tous azimuts : de l’arrangement UE - Turquie aux Migration Compacts en Afrique ».

Migreurop est un réseau européen et africain de militants et chercheurs dont l’objectif est de faire connaître et de lutter contre la généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps, dispositif au cœur de la politique d’externalisation de l’Union européenne.


Les cadres de coopération établis pour externaliser la politique migratoire de l’UE vers les pays africains sont nombreux : accords de Cotonou avec les pays « Afrique, Caraïbes, Pacifique » (2000), processus de Rabat avec l’Afrique de l’Ouest (2006) et celui de Khartoum avec les pays de la Corne d’Afrique (2014). Une nouvelle stratégie a été lancée lors du Sommet euro-africain de La Valette (2015) avec la mise en place d’un Fonds fiduciaire doté de 1,8 milliards d’euros.
Cette superposition montre l’inefficacité des instruments jusqu’ici mis en œuvre, et une surenchère de l’UE, prête à investir toujours plus de moyens pour endiguer les migrations africaines vers l’Europe. Véritables outils de chantage, les contreparties mises sur la table organisent le dévoiement des fonds publics supposément consacrés au développement : ils visent surtout au renforcement du contrôle des frontières africaines et à favoriser l’implantation des entreprises privées européennes.

Répliquer 
un accord scandaleux

L’Italie est à l’avant-garde de cette vision sécuritaire de la coopération en matière de migration. Pour bloquer les arrivées en Méditerranée, elle souhaite répliquer en Afrique le modèle de la Déclaration UE-Turquie [1]. Elle a ainsi proposé à la Commission un nouveau cadre de partenariat, les « Migration Compacts », et conclut en parallèle des accords bilatéraux (Gambie 2015, Soudan 2016 et Libye/Egypte 2017).
En se basant sur les pactes conclus avec chacun des pays cibles (notamment le Mali, le Sénégal et le Niger), les « Compacts » – lancés le 8 juin 2016 – combinent l’ensemble des instruments existants pour « mieux gérer les migrations ». Huit milliards d’euros d’ici 2020 seront affectés aux « pactes » conclus avec les pays « prioritaires ». Des récompenses pour les États qui coopèrent et des sanctions pour les autres sont également prévues.

Droits bafoués

Or le renforcement des capacités répressives de ces pays bafoue les droits des personnes en migration, qui, au sein d’un espace de libre circulation régionale (la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest – CEDEAO), doivent faire face aux contrôles renforcés, au fichage, à la biométrie et à la détention. Cela encourage également les renvois entre pays tiers, comme entre le Soudan et l’Erythrée, ou entre la Mauritanie et le Mali ou le Sénégal.
Bien plus, fin 2016, les institutions européennes ont adopté le document de voyage unique européen (ou laissez-passer) qui facilitera les expulsions depuis l’Europe de personnes sans documents de voyage valides, en court-circuitant la vérification de leur identité par les autorités consulaires de leur pays d’origine présumé. Si au Sommet de La Valette en 2015 les États africains s’y sont opposés, l’UE cherche à leur imposer par une politique du fait accompli et par sa mise au centre de toute négociation commerciale ou diplomatique.

Association 
Migreurop

Le Niger, vigie de l’Europe

Pays de transit clé, le Niger est devenu un laboratoire privilégié de la lutte contre les migrations. L’EUCAP, mission civile de l’UE dans le cadre de sa politique de sécurité et de défense commune, y est présente depuis 2012 afin de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Or, depuis 2015, elle offre aussi aux autorités nigériennes « un soutien pour la prévention de l’immigration clandestine » et dispose pour cela d’une antenne permanente à Agadez. Dans cette ville se situe également un centre de l’OIM dont les objectifs sont de dissuader les départs, de favoriser les retours et d’afficher – par l’invisibilisation des personnes en migration – l’efficacité de cette collaboration.
Le gouvernement du Niger, qui bénéficiera de 140 millions d’euros sur les fonds fiduciaires de La Valette, se montre très coopératif. Une loi contre le trafic illicite des migrants a été adoptée en mai 2015. L’intensification de la répression génère des risques plus importants pour les personnes en migration qui s’engagent sur la route du Sahara. Elle entérine aussi la violation généralisée des règles de libre circulation dans l’espace CEDEAO.

[1NDLR : L’accord entre l’UE et la Turquie, signé en mars 2016 et entré en vigueur le mois suivant, vise à empêcher les arrivées de migrant-e-s en Europe en les repoussant en Turquie. Qu’elles soient candidates à l’asile ou non, l’accord prévoit d’expulser de Grèce toutes les personnes qui y sont entrées après le 20 mars 2016 en étant passées par la Turquie (voir Billets n°256, avril 2016). Les « Migration Comptacts » visent à répliquer, depuis 2016, ce type d’accord avec des pays africains. Cinq pays ont été identifiés comme « prioritaires » en 2016 par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE : le Nigéria, le Niger, l’Éthiopie, le Sénégal et le Mali (Euractiv.fr, 21/10/16).

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 267 - mai 2017
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