Pour faire face à l’ensablement de l’opération Barkhane et à l’impuissance de la Minusma (cf. Billets n°268, juin 2017), Emmanuel Macron nous refait le coup de la « force africaine »… impulsée depuis Paris.
Macron l’avait annoncé avant même d’être élu (Jeune Afrique, 05/05) : « Je réunirai le plus rapidement possible le G5 Sahel ». Aussitôt dit, aussitôt fait. En visite aux militaires de la force Barkhane au lendemain de son élection, le nouveau président français « a ainsi demandé à son homologue malien d’organiser une réunion des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) à laquelle il assisterait personnellement pour élaborer une stratégie commune. » (France 24, 19/05). Le G5 Sahel est une structure de coordination entre les armées du Tchad, du Burkina, du Niger, de la Mauritanie et du Mali, mise en place - officiellement à l’initiative des Africains – pour épouser le périmètre de l’opération Barkhane et au sein de laquelle les militaires français n’occupent théoriquement qu’une position d’observateur. Pour Macron, il s’agissait de réactiver l’idée d’une force régionale africaine, lancée le 6 février dernier lors d’un précédent sommet. Celle-ci aurait pour mission d’occuper le terrain et ainsi de permettre à la France d’alléger le dispositif Barkhane, qui a atteint 4200 hommes, contre 3000 initialement, et qui lui revient de plus en plus cher en troupes mais aussi en matériels que les conditions difficiles du terrain contribuent à détériorer plus rapidement.
Conformément à une tradition bien établie, la France a toutefois beaucoup de mal à faire partager le coût de ses interventions militaires africaines par ses « partenaires ». Cette fois, ce n’est pas l’Union européenne (UE) qui a fait faux bond, mais le Conseil de sécurité de l’ONU, où Américains et Britanniques se sont opposés au premier projet de résolution proposé par la France début juin. Celui-ci prévoyait de conférer à cette force un mandat sous chapitre VII (utilisation de la force) ouvrant la porte à un financement onusien. Cette résolution qui devait passer « comme une lettre à la poste » (La Tribune Afrique, 12/06) a donc été retoquée, les Américains excluant de contribuer financièrement. Il aura fallu 15 jours de négociations supplémentaires pour obtenir « à l’arraché », après des « débats [qui] auront été âpres et longs » (La Tribune Afrique, 23/06) une résolution (n°2359) qui confère uniquement à la force en gestation du G5 la couverture juridique minimale, sans chapitre VII ni financement.
Même après son lancement officiel au sommet de Bamako le 2 juillet dernier, en présence de Macron (« Au Sahel, Macron lance une force militaire africaine contre les djihadistes », titrait le Figaro sans y voir aucun paradoxe), la question du financement reste entière. Si l’UE a promis de contribuer à hauteur de 50 millions d’euros, la France pour 8 et chacun des pays africains pour 10 millions, on est encore loin des 423 millions officiellement avancés pour déployer les 5000 hommes annoncés (10 000 prévus à terme). D’autant que certains pays, à commencer par le Tchad, renâclent pour obtenir des compensations supplémentaires. « Nous n’avons pas du tout été soutenu sur le plan financier, économique. Si rien n’est fait, si ça continue, le Tchad sera dans l’obligation de se retirer » des opérations extérieures sur le continent, a menacé le dictateur Idriss Déby dans un entretien à RFI, TV5 Monde, et le quotidien Le Monde, affirmant ne pas pouvoir « avoir 1.400 hommes au Mali (…) et dans le même temps avoir 2.000 soldats dans le G5 Sahel » (26/06). Pour l’instant, rien ne garantit donc que le projet de force « africaine » de la France connaisse plus de succès que les différentes versions de forces de réaction rapide de l’Union africaine qu’elle avait soutenues précédemment (cf.Billets n°231, janvier 2014)
Côté français, l’argument de la lutte contre le terrorisme a également donné un coup de fouet au projet de hausse du budget militaire à hauteur de 2 % du PIB, réclamé depuis longtemps par l’OTAN (un pourcentage qui peut paraître faible ramené au PIB, mais qui dissimule une autre réalité plus parlante : si l’on considère plutôt la proportion de la Défense dans le budget de l’État, c’est d’au moins 10 % qu’il faut parler). Ainsi l’un des derniers rapports de la commission de Défense du Sénat, prompte à devancer les désirs des militaires, plaide-t-il pour ces fameux « 2 % du PIB pour la défense » (rapport du 24 mai 2017). Un document épinglé par l’Observatoire des armements qui, dans un communiqué du 15 juin, rapporte les conclusions d’un autre « rapport d’experts qui pointe une gestion défaillante de la maintenance aéronautique militaire (MCO), source de clientélisme. À mille lieux du rapport publié par le Sénat qui, pour justifier une hausse du budget de la défense, se borne à un diagnostic sommaire au lieu d’exercer son rôle de contrôle ». Mais Macron, qui a fait la part belle aux militaires dans la réorganisation des services secrets et autres dispositifs de lutte contre le terrorisme, devrait rapidement entériner la hausse voulue via une nouvelle loi de programmation militaire. Certes, l’opération Barkhane ne pèse « que » pour 800 millions d’euros par an (contre 600 initialement) dans les dépenses militaires françaises. Une broutille rapportée aux 32 milliards du budget de la Défense, font valoir les partisans des opérations extérieures (opex). Mais là encore, les chiffres sont trompeurs : comme l’ont déjà reconnu quelques rapports parlementaires, ne considérer que les « surcoûts » des opex ne rime à rien, puisque la vocation même de l’armée française n’est plus la défense du territoire national, mais la projection à l’extérieur de ses frontières. C’est donc bien une très large part du budget militaire qui concourt à cet objectif. Avec les résultats calamiteux qu’on sait, au Mali aujourd’hui, en Libye ou en Centrafrique hier…